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premier plan, ainsi que l'enchaînement des raisons et des preuves. Il l'avoit entrepris pour venger saint Augustin des suppositions injurieuses que Grotius et Richard Simon avoient hasardées contre la doctrine de ce Père de l'Eglise.

Lorsque l'abbé Ledieu lui fit la lecture de l'extrait qu'il lui avoit demandé de cette grande composition théologique, il observa avec admiration combien ce grand homme s'appliquoit profondément à se rappeler et à suivre l'enchainement de ses premières idées.

<< Loin de s'ennuyer 1 d'une telle lecture, il ne pou>> voit la quitter ni s'en rassasier. Il s'écrioit souvent: » Bon, voilà qui est bien; vous me faites un grand >> plaisir; il faut que vous m'aidiez à finir cet ou» vrage; je sens ma tête ferme; j'entre dans tout cela >> très-aisément : j'ai bien envie d'achever ma Poli» tique; mais il faut avouer que ceci me sera encore >> plus aisé, parce que j'en sais mieux la matière; je puis » y mettre la dernière main sans beaucoup de peine.»

Il se faisoit relire aussi son Discours sur l'Histoire universelle, et il se proposoit d'y ajouter de nouveaux développements. « C'est se proposer bien du travail » à la fois, observe tristement l'abbé Ledieu, et se >> flatter d'une longue vie, quand il n'y a pas grande >> apparence. Dieu veuille nous le conserver, et nous >> verrons encore quelque bel ouvrage de lui. »

Jamais homme ne sut mieux que Bossuet réprimer ses mouvements naturels; il ne laissoit jamais échapper le plus léger signe d'impatience au milieu de ses plus cruelles souffrances. « Sa seule peine2, disoit-il, » étoit que ses maux lui ôtant la liberté de s'occuper » à son ordinaire, il ne vînt à tomber dans l'ennui el >> l'abattement. Je sens bien, ajoutoit-il, que je paierai » cher la vie sérieuse que j'ai menée. Je n'ai jamais » pu, et je vois bien que je ne pourrai jamais m'a» muser de tout ce qui remplit ordinairement la vie » de la plupart des hommes. >>

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Il avouoit naïvement « que le monde lui avoit tou» jours déplu, à cause de la désoccupation qui y ré»gnoit, et des bienséances qu'on étoit obligé de garder >> avec lui; que, depuis plusieurs années surtout, il s'en»nuyoit beaucoup de l'espèce de nécessité qu'on lui imposoit d'aller et de paroître à la cour, ne trouvant >> de plaisir et ne recevant de consolation qu'avec les » gens de bien. »

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XV.- Lettres de Bossuet à M. de Valincour, sur la prophétie d'Isaïe.

Bossuet dans le même temps se laissa engager à rendre publiques quelques lettres qu'il avoit écrites à M. de Valincour*, et qui, dans l'origine, n'avoient pas été destinées à voir le jour 1.

Il avoit envoyé sa seconde Instruction contre Richard Simon à quelques-uns de ses amis, et entre autres à M. de Valincour, qui se trouvoit alors à Toulon.

M. de Valincour étoit homme de lettres; il étoit homme du monde par sa position et ses emplois. Mais, dans ce siècle remarquable, les gens de lettres et les hommes du monde étoient familiarisés avec les études sérieuses, et l'étude des vérités de la religion tenoit une grande place dans l'emploi de leur vie et dans les objets de leurs méditations.

M. de Valincour lui ayant adressé des observations et demandé des éclaircissements sur quelques points de son explication de la prophétie d'Isaïe, Bossuet lui écrivit deux lettres, où l'on reconnoît sa dialectique, et cette connoissance profonde des livres saints, dont il s'étoit nourri toute sa vie. Il finit la dernière de ces lettres par ces paroles pleines d'une bonté paternelle :

*Jean-Baptiste-Henri du Trousset de Valincour, né en 1653, mort en 1730, âgé de soixante-dix-sept ans. Bossuet l'avoit fait entrer en 4685 chez M. le comte de Toulouse; et il fut nommé secrétaire général de la marine, lorsque ce prince obtint le titre de grand amiral.

Voyez les Œuvres de Bossuet, tom. I. pag. 357 et suiv.

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« Au surplus, ne croyez pas, je vous prie, que cette réponse m'ait peiné, dans l'obligation où je suis » de ménager mes forces. Au contraire, elle m'a donné >> une particulière consolation; et j'avoue que je suis >> bien aise de voir perpétuer dans l'Eglise la sainte >> coutume qui faisoit consulter les docteurs aux laïques, >> et aux femmes mêmes, sur l'intelligence des Ecri>>tures. >>

Bossuet a expliqué lui-même avec simplicité comment il se détermina à faire imprimer ces lettres, qui n'avoient été écrites que pour satisfaire l'édifiante sollicitude de M. de Valincour: « Dieu ayant mis, dit-il, » dans le cœur de plusieurs personnes pieuses d'en de» mander des copies, on a eu plus tôt fait de les im» primer; et les voilà, telles quelles, sorties d'une » étude qui n'a rien eu de pénible.

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Mais, en consentant à les rendre publiques, il crut devoir y ajouter une troisième lettre, qui contient une explication approfondie de la prophétie d'Isaïe. 11 y montre une érudition plus étendue et plus recherchée; il ne se borne pas à expliquer la naissance du Messie dans le sein d'une vierge; il reprend toutes les paroles de cette prophétie; il explique en quel sens le nom d'Emmanuel convient à Jésus-Christ, et comment tous les titres qu'Isaïe donne au Messie reçoivent une juste application à tous les caractères de la mission que Jésus Christ est venu exercer sur la terre.

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Après avoir donné au développement de ces révélations prophétiques toute la clarté qui suffit à l'exercice de la raison soumise à l'empire de la foi, Bossuet montre comment les saintes obscurités de la foi peuvent elles-mêmes régler notre intelligence et notre conduite pendant cette vie d'incertitude et de ténèbres. Il rappelle ces belles paroles de saint Pierre, qui a dit « que nous n'avons rien de plus ferme que le discours » prophétique, et que nous devons y être attentifs, » comme à un flambeau qui reluit dans un lieu obscur » et ténébreux. »

« C'est donc un flambeau, dit Bossuet, mais qui >> reluit dans un lieu obscur dont il ne dissipe pas toutes » les ténèbres. Si tout étoit obscur dans les prophéties, >> nous marcherions comme à tâtons dans une nuit » profonde, en danger de nous heurter à chaque pas, >> et sans jamais pouvoir nous convaincre. Mais aussi, >>> si tout y étoit clair, nous croirions être dans la patrie » et dans la lumière de la vérité, sans reconnoître le >> besoin que nous avons d'être guidés, d'être instruits, » d'être éclairés dans l'intérieur par le Saint-Esprit, et >> au dehors par l'autorité de l'Eglise.... »

Cette troisième lettre porte la date du 8 novembre 1703.

Quoique ses douleurs fussent presque continuelles et toujours très-violentes, quoiqu'il dépérît chaque jour à vue d'œil, Bossuet conservoit toute sa présence d'esprit et toute sa mémoire : c'étoit le sujet de l'étonnement et de l'admiration de tous ceux qui l'entouroient. L'abbé de Saint-André rapporte qu'il avoit souvent été chargé par Bossuet, dans les moments où il dictoit à son secrétaire quelque composition sur des questions de doctrine, de chercher, dans les ouvrages qu'il vouloit citer, les passages dont il avoit besoin, en indiquant les chapitres et jusqu'aux pages des livres, comme s'ils avoient passé sous ses yeux peu de jours auparavant. Les hommes les plus remarquables par la science et l'érudition, qui venoient le voir, étoient frappés de la facilité et de la précision qu'il montroit dans le rapprochement des faits les plus éloignés, et dans la discussion des questions les plus épineuses. Cette facilité, cette présence d'esprit, cette puissance de raisonnement, leur paroissoient, dans un tel état d'infirmité, une espèce de prodige.

C'est ainsi que Bossuet remplit les trois derniers mois de l'année 1703. Telles étoient ses seules distractions sous la main de Dieu, qui l'éprouvoit par de si cruelles souffrances. Sa foi et sa piété s'entretenoient dans cette contemplation continuelle des grandes v

III.

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rités de la religion, et la confiance d'être utile à l'Eglise jusqu'à son dernier soupir soutenoit et ranimoit ses forces.

Mais le 1er janvier 1704 s'annonça par une crise violente, qui fit craindre que ce jour ne fût le dernier de sa vie. L'abbé Ledieu le trouva dans le même assoupissement qui avoit paru si effrayant à l'époque de sa maladie du mois d'août précédent. Les douleurs causées par la pierre se mêloient à l'ardeur de la fièvre. Tournefort accourut au bruit du danger, et ordonna l'usage du quinquina. La fièvre se calma dans la soirée; mais il étoit dans une telle foiblesse et un tel assoupissement, qu'il n'avoit pas même la force d'articuler des plaintes et des gémissements. On ne jugeoit l'irritation de la souffrance que par l'altération de ses traits.

Heureusement cette crise fut très-courte. Tournefort, à son grand étonnement, le trouva le lendemain tranquille, sans aucune émotion, la tète libre, parlant avec plaisir.

Tout le mois de janvier et une partie de celui de février s'écoulèrent dans une espèce de calme qui ne fut troublé que par des crises assez légères. Bossuet fut même en état le 1er février de recevoir, en qualité de conservateur des priviléges de l'université et de supérieur de la maison de Navarre, les députations, et d'entendre les harangues des députés de ces deux compagnies. Il leur répondit en latin avec sa facilité accoutumée. Il eut la force de rester debout pendant cette cérémonie, qui dura près d'une heure, et de recevoir dans la soirée un grand nombre de visites. Ce souvenir du monde paroissoit le réjouir, écrit l'abbé Ledieu.

XVI. Paraphrase du psaume xxi par Bossuet.

C'est à la même époque que Bossuet mit la dernière main à sa Paraphrase du psaume xx1: Deus, Deus meus, respice in me1. Il y avoit déjà quelques années qu'il avoit OEuvres de Bossuet, tom, 1. pag. 363 et suiv,

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