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fait de ce psaume l'objet particulier de ses méditations; et sa situation présente l'attachoit encore plus sensiblement aux consolations qu'il y puisoit. Bossuet disoit aux personnes qui l'entouroient qu'il regardoit ce psaume comme une préparation à la mort; et il y ramenoit tous ses entretiens. C'est ce qui l'engagea à mettre par écrit les réflexions qu'une méditation habituelle lui avoit suggérées. Il y trouvoit, avec tous les Pères de l'Eglise, la prédiction de la passion et du délaissement. de Jésus-Christ dans cette terrible agonie qui précéda sa mort de quelques heures; et il pensoit que ce n'étoit pas sans une intention particulière de la bonté divine que Jésus-Christ avoit voulu se représenter dans cet état de foiblesse et d'abandon, afin que l'exemple de la résignation qu'il montra pût servir d'exemple aux hommes condamnés par la nature à n'arriver à la mort que par de cruelles épreuves et une longue suite de souffrances. Le repos de l'esprit et les consolations de l'âme qu'il avoit ressenties en écrivant ces pieuses méditations, lui firent présumer qu'elles pourroient ètre utiles à tous ceux qui se trouvoient soumis comme lui à ces longs tourments de la maladie et de la douleur; et il se détermina à les faire imprimer sous le titre d'Explication littérale du Psaume XXI, sur la Passion et le délaissement de Notre-Seigneur *.

Les trois lettres de Bossuet à M. de Valincour, et la Paraphrase du psaume xxi, ne furent imprimées que très-peu de jours avant sa mort; c'est le dernier ouvrage que Bossuet ait consenti à publier; c'est le dernier monument de sa religion et de sa piété, « le dernier sou » pir de son éloquence mourante 1. »

Tandis que ce travail remplissoit une partie des intervalles de calme qui lui étoient encore accordés, l'activité de son génie le portoit sans cesse à de nouvelles

Les trois lettres de Bossuet à M. de Valincour, qu'il venoit de faire imprimer, n'offrant que la matière d'un très-petit volume, il prit: le parti de faire imprimer à la suite cette Paraphrase du psaume XXI. Eloge funèbre de Bossuet, par le père de La Rue.

études. Il se faisoit relire ses Méditations sur l'Evangile et ses Elévations sur les Mystères, pour y faire entrer les nouvelles pensées qu'une lecture assidue de l'Evangile avoit pu lui offrir. « Il y corrigeoit toujours » quelque chose, disoit-il à l'abbé Ledieu; mais c'étoit >> sans besoin, et seulement pour s'occuper. Il parois>> soit même encore indécis sur la forme qu'il donne>> roit à cet ouvrage. »

Mais l'ouvrage qu'il désiroit le plus de conduire à sa perfection étoit, comme nous l'avons déjà dit, sa Défense de la tradition et des saints Pères sur la grace.

Quand il n'avoit point de visites dans les soirées, il demandoit la Vie de saint Augustin, par Tillemont. Il fit même venir de Meaux l'exemplaire qui lui appartenoit, pour avoir la liberté, disoit-il, d'y marquer ce qu'il lui plairoit.

Depuis que Bossuet n'étoit plus en état de dire la messe, il se la faisoit dire tous les jours, et communioit les dimanches et fêtes.

Ce fut à ces exercices de piété et à ces études continuelles sur la religion qu'il consacra tout le mois de janvier et presque tout le mois de février. Au commencement du carême de cette même année 1704, il envoya l'abbé Ledieu prévenir le curé de sa paroisse (de Saint-Roch) de la nécessité où il se trouvoit de faire gras: il vouloit montrer jusqu'à son dernier soupir son respect pour les règles de l'Eglise.

XVII.

· Dernier période de la maladie de Bossuet.

La maladie de Bossuet n'avoit point encore fait des progrès assez alarmants pour donner la crainte d'une catastrophe prochaine; et telle étoit même la force de son excellente constitution, que Dodard et Tournefort, qui le voyoient habituellement, osoient quelquefois concevoir l'espérance de prolonger ses jours.

Mais, dans la nuit du 2 au 3 mars, les douleurs de la pierre se firent ressentir avec les plus sinistres accidents; il perdit la parole, la connoissance et même la faculté

d'entendre; il ne répondoit à aucune question, et il retomba dans un profond assoupissement. Il eut de la fièvre toute la journée suivante, et Tournefort, qui ne le perdoit presque pas de vue, crut que son dernier jour étoit arrivé.

Cependant quelques heures d'un sommeil favorable firent renaître l'espérance. Bossuet recouvra la connoissance; ses idées furent plus claires et plus suivies, et sa tête parut aussi libre que dans l'état de la plus parfaite santé. Il voulut se lever; mais il étoit si foible, qu'on put à peine le porter sur son fauteuil. Il parla de son état, des soins et de l'habileté de Tournefort avec une entière présence d'esprit ; il parut seulement n'avoir conservé aucun souvenir de tout ce qui s'étoit passé les deux jours précédents; mais on put reconnoître facilement quelles étoient ses pensées habituelles dans les moments mêmes où l'on auroit pu croire que les facultés de son esprit étoient obscurcies ou effacées. On l'entendoit dire tout-à-coup qu'il avoit été fortement occupé de ce passage de l'Evangile : « Positus est hic » in ruinam et in resurrectionem multorum. »

Les douleurs s'étoient un peu calmées; cependant on ne le soutenoit plus que par le quinquina, et la diminution rapide et progressive de ses forces ne permettoit plus de se faire illusion sur sa fin prochaine. Sa voix étoit aussi très-foible; mais sa tête, quoique fatiguée, restoit saine et libre. Cette intelligence, dont il conservoit encore l'exercice, servit à lui faire reconnoître l'approche du danger; et il dit à Dodard et à Tournefort: « Au moins, Messieurs, vous êtes sages; vous m'aver>> tirez quand il faudra recevoir les sacrements. >>

Il continua les jours suivants à être dans le même abattement. Ses souffrances, non interrompues depuis près d'un an, l'avoient réduit au dernier degré de foiblesse et de maigreur. Mais, dans cet état même de dépérissement, il trouvoit quelquefois un sommeil doux et tranquille. La nature du pouls annonçoit que le sang avoit repris un mouvement plus régulier. Ses yeux

avoient un regard perçant et presque sublime; il fut même en état, le 15 mars, d'aller à pied de son lit jusqu'à son fauteuil. Toutes les personnes dont il étoit entouré s'empressoient de le flatter sur ces trompeuses apparences. Bossuet leur répondit avec tranquillité : « Cessez de me tromper; que la volonté de Dieu soit » faite je sens toute ma foiblesse. >>

*

L'impression de ses deux derniers ouvrages étoit achevée; et le cardinal de Noailles, prévoyant que Bossuet ne seroit plus en état de les présenter au Roi et à la famille royale, jugea qu'il étoit convenable que l'abbé Bossuet allât lui-même à Versailles remplir ce devoir au nom de son oncle. Les pieuses réflexions répandues dans la Paraphrase du psaume XXI se rapportoient à la passion de Jésus-Christ; et l'on se trouvoit précisément à l'époque de l'année consacrée par l'Eglise à en rappeler la mémoire. Elles devoient offrir un sujet de méditation d'autant plus touchant, qu'elles étoient les derniers accents d'une voix accoutumée pendant tant d'années à faire retentir la cour de Louis XIV des grandes vérités de la religion. Ce fut le 17 mars que l'abbé Bossuet présenta à Louis XIV et à la famille royale ce dernier témoignage du dévouement et de la piété d'un évêque qui avoit couvert de tant de gloire le plus beau siècle et le plus beau règne de la monarchie.

Tandis que Bossuet rendoit, par le ministère de son neveu, ce dernier hommage aux grandeurs de la terre, il accomplissoit lui-même des devoirs plus sacrés envers un maitre plus puissant et un juge plus redoutable.

Dès la veille, 16 mars, après une nuit tranquille, il avoit fait connoître à l'abbé Ledieu l'intention où il étoit de recevoir le viatique, et il l'avoit chargé de prier de sa part le vicaire de la paroisse de Saint-Roch de venir le lendemain l'aider à remplir ce dernier devoir de la religion II parla ensuite à l'abbé Ledieu, avec un calme affectueux, du bonheur qu'il trouvoit de mourir avec Jésus-Christ dans le temps de sa passion.

* L'explication de la prophétie et la Paraphrase du psaume XXI.

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« Le lundi saint, 17 mars, Bossuet se leva un peu >> avant onze heures, et s'habilla entièrement. Son visage » étoit serein, son maintien étoit calme et noble. Le >> vicaire de Saint-Roch reçut sa confession, et monta » à l'autel pour célébrer la messe. Bossuet l'entendit » sans ressentir aucune incommodité; il reçut la com>> munion en viatique, après avoir récité le Credo avec » une force et un courage admirables. A la fin de la » messe il récita le Te Deum en action de grâces, pro» nonçant lui-même chaque verset alternativement >> avec tous les assistants. Il eut ensuite la force d'en>> tendre une seconde messe, et de rester levé jusqu'à » trois heures, sans aucune altération. »

On observa que son pouls étoit dans l'état naturel, que sa tête étoit ferme, et qu'il ne ressentit aucune douleur pendant cette triste et religieuse cérémonie.

Le mercredi saint et les trois jours suivants il voulut encore entendre la liturgie, et se fit réciter la passion des quatre évangélistes. Après cette lecture, il dit qu'il étoit charmé de ce grand mystère: Un Dicu persécuté jusqu'à la mort pour la vérité. »

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Nous avons déjà parlé de la modestic de Bossuet : il en donna des preuves bien remarquables dans les derniers temps de sa vie. L'abbé de Saint-André rapporte qu'il arrivoit souvent à ce grand évêque de le consulter, ainsi que le supérieur de son séminaire, sur des points qui regardoient sa conscience. Il y mettoit tant de simplicité, que l'un et l'autre en étoient aussi surpris qu'édifiés. Ils ne pouvoient s'empêcher de lui montrer leur étonnement « de ce qu'un homme à qui >> Dieu avoit donné de si grandes et de si vives lumiè>> res; qu'un homme qui avoit en lui-même un fonds si inépuisable de science et de doctrine, crût devoir » recourir à des hommes qui lui étoient si inférieurs en >> lumières et en instruction. »>

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Mts. de Ledieu,

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