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XXIV.-L'Oraison funèbre de Bossuet est prononcée à
Rome devant les cardinaux.

Ce ne fut point en France seulement qu'on rendit à la mémoire de Bossuet les justes honneurs qui lui étoient dus. Rome elle-même s'honora par les regrets publics et les éloges funèbres qu'elle décerna à Bossuet. Rome étoit trop éclairée pour ne pas sentir toute l'étendue de la perte que la catholicité entière venoit de faire. Elle avoit acquis la conviction qu'au milieu des mouvements et des orages qui avoient excité tant d'inquiétudes, Bossuet s'étoit toujours montré comme l'ange de la paix, et l'interprète éclairé des saines maximes de l'antiquité.

L'oraison funèbre de Bossuet fut prononcée à Rome au mois de janvier 1705, devant la congrégation de la Propagande, en présence des cardinaux qui en étoient membres, et d'un concours prodigieux de tout ce que le clergé séculier et régulier de Rome avoit de plus distingué. C'étoit en effet devant une assemblée chargée de propager la foi du christianisme dans toutes les contrées de la terre, qu'il convenoit de parler dignement d'un évêque qui avoit si bien défendu la religion et l'Eglise, et dont le nom avoit été porté avec ses ouvrages dans les contrées les plus éloignées.

Si la peinture ne nous avoit pas conservé la noble image de Bossuet, et cette inspiration sublime que son regard semble annoncer, on les retrouveroit dans ses écrits, comme on retrouve le caractère de ses écrits et de son génie dans la noble et sublime expression de sa figure. Au mois de novembre 1702, environ deux ans et demi avant la mort de Bossuet, le célèbre Rigaud fit le voyage de Germigny pour y faire ce portrait, qui a été regardé depuis comme son chefd'œuvre, et que la gravure a su multiplier avec un égal succès, pour en orner le cabinet de tous les admirateurs de Bossuet. Rigaud l'avoit déjà peint plu

sieurs fois; mais il conçut la pensée de le peindre sous une autre forme.

Pendant son séjour à Meaux, il avoit été frappé de ce que pouvoit offrir de favorable aux grands effets de la peinture l'habit de chœur d'hiver des chanoines de cette cathédrale; ct il se proposa de peindre Bossuet sous ce costume, qu'il portoit en effet toutes les fois qu'il assistoit aux offices de son église. Rigaud le jugea plus propre à faire ressortir sa belle et noble taille; et c'est ce qui donne à ce beau portrait, et aux gravures qui le représentent, un caractère de grandeur qui montre encore Bossuet aux yeux et à l'imagination. Il passa quatre jours à Germigny; et il ne s'attacha qu'à peindre la tête de Bossuet, et à saisir ses traits si nobles et si réguliers, que la vieillesse avoit rendus encore plus imposants. Ce fut ensuite à Paris qu'il acheva les détails de cette magnifique composition *.

Bourdaloue suivit de bien près Bossuet au tombeau, il ne lui survécut que quelques semaines **.

Aussi disparoissoient peu à peu tous les grands hommes qui avoient environné si longtemps Louis XIV, et auxquels il étoit destiné à survivre, Louis XIV devoit rester scul de son siècle pour réunir en lui seul cette admiration, dont il ne fut jamais plus digne qu'au moment même où ses sujets commençoient à la lui refuser, et lorsque le malheur montroit cette grande âme sous ses plus nobles traits.

* Rigaud fit graver lui-même ce portrait par Edelinck, sous un format in-4. L'abbé Bossuet acheta, en 4705, la planche de cette gravure pour le prix de 250 livres, qu'il paya à Rigaud, libraire, frère du peintre. Il la destina à servir de frontispice aux ouvrages posthumes de son oncle. Mais plusieurs années après, il traita avec le fameux Drevet, qui se chargea de reproduire ce beau portrait dans toute sa magnificence; et c'est au talent de cet habile graveur que l'on doit cette belle image de Bossuet dont chaque année semble augmenter le mérite.

**Bourdaloue mourut le 13 mai de la même année 1704, un mois el un jour après la mort de Bossuet.

XXV.- Etat de l'Eglise de France à la mort de Bossuet.

Quand Bossuet mourut, l'Eglise de France offroit sans doute quelques hommes destinés à en perpétuer la gloire. Fénélon vivoit, et Massillon commençoit à jeter cet éclat si pur dont il brilla dans les chaires chrétiennes. Mais un nouveau siècle s'ouvroit; et déjà se répandoit cet esprit inquiet et novateur, dont le nom de Bossuet avoit pu seul jusqu'alors contenir l'audace et les témérités.

Ce fut peut-être cette disposition trop générale à de nouvelles mœurs et à de nouvelles maximes, qui fut cause que la perte de Bossuet ne fut pas aussi vive-ment sentie qu'on devoit le croire et l'attendre. Deux partis divisoient alors l'Eglise de France. Tous les deux en affectant de respecter l'autorité de Bossuet, étoient impatients de se soustraire à l'espèce de dictature que l'opinion publique lui avoit déférée. Il avoit toujours su réprimer leurs écarts, et les contenir dans des bornes qu'ils n'auroient jamais dû franchir pour leur propre intérêt.

Les événements apprirent bientôt à quel point Bossuet eût été nécessaire. Tant qu'il vécut, le cardinal de Noailles se dirigea constamment par ses avis et par ses lumières. Mais aussitôt après sa mort, il se laissa gouverner par des conseils qui remplirent d'amertume sa vieillesse. En perdant Bossuet, il perdit celui qui pouvoit seul le sauver de ses amis et de ses ennemis; celui qui lui eût rappelé sans cesse qu'à son exemple il devoit rester supérieur à tous les partis, sans se rendre le protecteur de l'un, ni l'esclave de l'autre. Il l'avoit déjà garanti des piéges où sa facilité l'avoit engagé. Il auroit également su concilier ses convenances et ses devoirs dans l'affaire du livre du père Quesnel. Louis XIV, accoutumé à consulter Bossuet, et à déférer à son opinion sur toutes les questions religieuses, s'en seroit reposé sur lui du soin d'éclairer et de ramener le cardinal de Noailles, et tout porte à croire que ce prince

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se seroit alors trouvé dispensé de recourir à l'intervention de Rome. Que de troubles el de divisions une disposition aussi simple dans l'ordre naturel des événements auroit pu épargner à l'état, à l'Eglise de France, à l'Eglise universelle!

Mais dans l'agitation où se trouvoient tous les esprits à la mort de Louis XIV, le cardinal de Noailles, déjà entraîné dans de fausses démarches, donna, par l'autorité de son nom et de ses vertus, de l'éclat et de l'importance à des controverses prêtes à s'éteindre dans l'obscurité. De là se prolongèrent pendant cinquante ans ces tristes démêlés, qui ont montré l'imprévoyance de tous les partis, et préparé de grands malheurs.

Si de la considération des suites affligeantes qu'entraina la mort de Bossuet, on ramène sa pensée sur l'ensemble d'une vie si pleine et si noble, Bossuet se présente à l'imagination comme un de ces hommes prodigieux qu'il est facile d'admirer, et qu'il est difficile de montrer aussi grands qu'ils l'ont été.

Son génie le place au premier rang des hommes qui ont le plus honoré l'esprit humain dans le siècle le plus éclairé. Ses ouvrages révèlent l'étendue et la profondeur de ses connoissances dans les genres les plus divers. C'est un Père de l'Eglise par la parole et l'instruction; c'est le modèle et le vengeur de la morale chrétienne par la sainte austérité de ses mœurs. Né dans une condition ordinaire, il se place, sans effort et sans orgueil, à côté de tous les grands de la terre; appelé à la cour des rois, il obtient l'estime et le respect de celui qui étoit le plus Roi entre les rois. Il n'a ni la faveur, ni le crédit, et il est tout-puissant par le génie et la vertu. Instituteur de l'héritier du trône, il apprend à tous les rois la science de régner; il soumet les peuples au frein des lois; et il fait trembler les puissances au nom d'un Dieu vengeur des lois. Il place leur trône dans le lieu le plus inaccessible aux révolutions, dans le sanctuaire de la religion, et dans la conscience de leurs sujets. Pontife éclairé,

citoyen zélé, sujet fidèle, il pèse d'une main ferme les droits des deux puissances; il les unit sans les confondre. Plus habile défenseur de Rome que ses défenseurs mêmes, il asseoit la grandeur du Siége apostolique sur des fondements inébranlables, en donnant à son autorité la plénitude et les bornes que les canons de l'Eglise elle-même lui ont données. Il a des adversaires, et il n'a point d'ennemis. Il combat les ennemis de l'Eglise romaine, et il conquiert l'estime des protestants eux - mêmes; simple évêque de l'une des églises les plus obscures de la catholicité, il est le conseil de l'Eglise toute entière. Sa vie publique offre le plus grand et le plus noble caractère; et sa vie privée, la facilité des mœurs les plus simples et les plus modestes. Après avoir été le grand homme d'un grand siècle, il prévoit et il dénonce les malheurs du siècle qui doit le suivre. Tant qu'il lui reste un souffle de vie, il est l'appui et le vengeur de la religion pour laquelle il a combattu cinquante ans. Mais il voit les orages et les tempètes se former; ses derniers jours sont troublés par la prévoyance d'un avenir menaçant; et il fixe en mourant ses tristes regards sur cette Eglise gallicane dont il fut la gloire et l'oracle!

FIN DE L'HISTOIRE DE BOSSuet.

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