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lesquels nous sommes entrés, en faveur de l'intérêt que mérite celui des ouvrages de Bossuet qui a été peut-être le plus utile à l'Eglise.

Nous avons cru aussi satisfaire au vœu des principaux bibliographes de l'Europe, en leur apprenant l'existence certaine de deux pièces importantes qui étoient restées inconnues jusqu'à présent.

On trouve parmi les papiers de Bossuet un grand nombre d'écrits qu'il avoit composés d'avance, pour justifier toutes les parties de la doctrine de son Exposition, si les ministres protestants tentoient de les combattre; mais comme ils se réduisirent toujours à prétendre que la doctrine de l'Exposition seroit certainement condamnée par l'Eglise romaine, Bossuet se trouva dispensé de répondre à cette accusation, lorsque le saint Siége et toutes les églises de la catholicité eurent donné, avec le concert le plus unanime, la sanction la plus honorable à la doctrine du livre de l'Exposition.

Cependant le travail immense que Bossuet avoit préparé pour la défense de cet ouvrage ne fut pas entièrement perdu; il l'a fait entrer en grande partie dans les différents écrits de controverse qu'il a ensuite publiés contre les protestants,

LIVRE QUATRIÈME.

No 1. DU LIVRE DE LA POLITIQUE SACRÉE.

Bossuet n'avoit achevé que la première partie * de sa Politique sacrée, pendant l'éducation de monseigneur le Dauphin. Les grandes opérations de l'assemblée de 1682, le gouvernement du diocèse de Meaux, l'Histoire des Variations, et une multitude de travaux de tous les genres, ne lui permirent pas de s'occuper de la suite de cet ouvrage.

En 1692, il communiqua cette première partie au duc de Beauvilliers, et l'autorisa à en faire usage pour l'instruction du duc de Bourgogne. Nous avons déjà vu que Bossuet leur avoit communiqué avec la même confiance son Traité de la Connoissance de Dieu et de soi-même.

Beauvilliers et Fénélon, frappés de cette grande idée d'attacher la politique à la religion par les mêmes liens qui attachent la terre au ciel, pressèrent Bossuet de mettre la dernière main à un travail si noble et si utile.

* Elle comprend les six premiers livres.

III.

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Il venoit de publier (en 1691) ses Notes sur les Psaumes. Il étoit alors occupé de ses notes sur les livres Sapientiaux, qu'il regardoit comme nécessaires pour la suite de son traité de la Politique sacrée, dont il vouloit appuyer toutes les preuves sur l'autorité des livres de Salomon, et ces notes parurent en effet en 1693. Cependant il céda aux instances du duc de Beauvilliers et de Fénélon, et il leur promit d'achever sa Politique dans le cours de l'année suivante : « Oui, leur dit» il, dans le langage familier d'un architecte qui parle d'un >> bâtiment qu'il s'oblige d'achever dans un temps marqué : » Oui, dans un an, vous aurez toute ma politique, et je » vous en mettrai la clef à la main. »

Mais ce fut précisément à cette époque que s'engagea la malheureuse controverse du quiétisme, qui consuma cinq années entière de la vie de Bossuet.

A peine le jugement du saint Siége eut-il mis fin à ces tristes débats, que l'assemblée de 1700, dont Bossuet fut le mobile et l'oracle, attira toute son attention et occupa tous ses moments.

Nous voyons avec autant de surprise que d'admiration dans le journal de l'abbé Ledien, « que deux jours seulement » après la clôture de cette assemblée, Bossuet se remit à tra>> vailler à son ouvrage de la Politique, pour y mettre la der>>nière main. >>

Il avait cru devoir céder aux vives instances du duc de Bourgogne, qui l'avoit conjuré de ne pas laisser imparfait un ouvrage destiné à servir de code sacré pour les rois que leur caractère et leur puissance élèvent au-dessus des lois humaines.

Ce travail l'occupa tellement, et il mit tant d'intérêt à le conduire à sa fin, « que, le 20 août 1701, il dit à l'abbé Ledieu >> qu'il n'avoit plus besoin, pour éviter les redites qui auroient » pu lui échapper, que de revoir exactement la première >> partie de cet ouvrage, sur laquelle il n'avoit pas même » jeté les yeux depuis vingt-deux ans qu'elle étoit composée. » Il se proposoit de le dédier au Roi *. C'est ce qu'il annonça » à M. Anisson qui étoit chargé de l'imprimer. >>

Mais il fut encore distrait par sa correspondance avec Leibnitz, pour la réunion des luthériens d'Allemagne à l'Eglise

On n'a pas de peine à comprendre que Bossuet désirat de dédier cet ouvrage à Louis XIV. Si l'on observe tous les caractères qu'il donne au gouvernement monarchique, et toutes les qualités qu'il se plait à réunir dans l'idée d'un grand monarque, on voit aisément qu'il avoit toujours Louis XIV et la France présents à sa pensée,

romaine, et par la nécessité où il se trouva de combattre Richard Simon.

A peine eut-il publié ses deux Instructions contre la Version de Trévoux, qu'il se remit à sa Politique. « Il y tra>> vailloit encore le 16 août 1703. » Ce fut le lendemain que Bossuet fut frappé à Versailles d'une maladie qui le conduisit aux portes du tombeau. Les soins et l'habileté de Fagon et de Maréchal l'arrachèrent à la mort. Mais il portoit déjà depuis longtemps le principe de la maladie bien plus grave sous laquelle il devoit succomber; et nous ne voyons pas que, pendant les huit mois qu'il survécut encore, en proie aux souffrances les plus cruelles, il ait une seule fois ramené sa pensée sur un ouvrage qui avoit été depuis deux ans son occupation favorite.

Bossuet l'avoit conduit au point qu'il n'y manquoit plus que cette espèce de .conclusion générale, par laquelle il étoit dans l'usage de terminer tous ses grands ouvrages, pour ramener sous un seul point de vue tous les principes et tous les raisonnements qu'il y avoit développés

*

Dans les derniers temps de sa vie, l'abbé Bossuet, son neveu, le pressa souvent de mettre ces derniers traits à un si bel ouvrage; il lui répondit constamment « qu'il avoit besoin » de toute la force de son esprit; qu'il n'attendoit qu'un » rayon de santé, et que, comme il avoit seul tout l'ensemble >> des idées dont son ouvrage étoit le résultat, lui seul pouvoit » les exposer dans leur ordre naturel. »

Ce fut dans cet état que l'abbé Bossuet trouva le manuscrit de son oncle. L'ouvrage étoit achevé dans ses darties essentielles, et personne ne fut assez téméraire pour oser ajouter un seul coup de crayon à un dessein original de la main de Bossuet. On crut seulement se conformer à sa pensée, en plaçant à la fin le fragment d'un discours de saint Augustin, adressé aux empereurs chrétiens **.

La Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture sainte fut imprimée pour la première fois en 1709, cinq ans après la mort de Bossuet. L'abbé Bossuet, son neveu, la dédia au

* On voit en effet que tel étoit son projet ; car, à la fin de son manuscrit original, on lisoit ces mots écrits de sa main: Abrégé et Conclusion de ce discours.

On remarqua que dans le manuscrit original, à côté de ces mots Abregé et Conclusion de ce discours, Bossuet avoit également écrit de sa main ces autres mots en abrégé : Saint Augustin, de la Cité de Dieu, d'où ce passage est emprunté.

Dauphin, fils de Louis XIV, pour qui elle paroissoit avoir été d'abord composée.

No 2.- DES ÉDITIONS AD USUM DELPHINI.

L'éducation de monseigneur le Dauphin sera toujours une époque remarquable dans l'histoire des lettres, parce qu'elle fit naître l'idée d'une des plus belles entreprises qui aient honoré le siècle de Louis XIV. Ce fut pour l'instruction de ce jeune prince qu'on rédigea l'utile collection des éditions ad usum Delphini. Quoique Bossuet, occupé de travaux encore plus importants, n'ait pris aucune part active aux détails particuliers d'une entreprise qui exigeóit des recherches et des soins incompatibles avec ses fonctions et ses devoirs, on ne peut douter que M. de Montausier ne l'ait consulté sur le plan et l'exécution de ce grand travail.

Huet nous apprend que ce fut le duc de Montausier qui en conçut le premier l'idée. Passionné dès sa jeunesse pour les grands écrivains du beau siècle de la littérature latine, le duc de Montausier en avoit fait une étude particulière. Mais souvent il s'étoit vu arrêté dans leur explication par l'obscurité de quelques mots, et par le défaut d'une connoissance suffisante des mœurs, des usages et des détails de la vie habituelle des anciens. Les devoirs du service militaire l'appelant souvent aux armées, il lui étoit impossible d'avoir toujours à sa disposition tous les ouvrages des commentateurs qui s'étoient livrés à ces utiles recherches d'érudition et de critique. A peine fut-il nommé gouverneur du Dauphin, qu'il conçut le projet d'un monument utile et honorable à la gloire de l'éducation qui lui étoit confiée. Il crut devoir inviter les hommes de son temps les plus familiarisés avec les beautés et les difficultés de la langue latine, à donner des éditions des principaux auteurs classiques, qui pussent réunir le mérite d'offrir l'explication littérale du texte original, d'éclaircir les difficultés qu'il peut souvent présenter, et de faire connoître dans des notes critiques et historiques, les usages et les détails domestiques auxquels les anciens font souvent allusion dans leurs écrits.

Le duc de Montausier fit part de cette idée à Huet. Il étoit peu d'hommes qui possédassent au même degré toutes les connoissances nécessaires pour diriger avec succès une pareille entreprise. Ce fut Huet qui en choisit tous les collaborateurs,

Commentarius Huetii,lib. v. p. 286.

et qui distribua à chacun d'eux les auteurs latins qui devoient être l'objet de leur travail particulier.

Huet venoit tous les quinze jours de Saint-Germain à Paris, pour examiner leur travail, en accélérer les progrès, et leur communiquer ses observations.

Mais ce fut Huet seul qui eut l'heureuse pensée de placer à la fin des ouvrages de chaque auteur le vocabulaire de tous les mots employés dans chaque ouvrage. A la faveur de ce vocabulaire, il suffit au lecteur de se rappeler un seul mot d'un vers ou d'une phrase, pour retrouver par une simple indication toutes les parties du texte original où l'auteur l'a employé. Un travail du même genre avoit déjà été entrepris et exécuté avec succès par des savants étrangers sur les principaux écrivains et l'antiquité grecque et latine.

L'expérience de tous les avantages que l'on recueilloit des célèbres Concordances de la Vulgate et des Bibles grecque et hébraïque, justifioit suffisamment l'utilité du plan de Huet; et tous les amateurs de la latinité lui devoient de la reconnoissance du service qu'il a rendu à la république des lettres, en faisant participer la France à la gloire d'un genre d'érudition, dont les écrivains étrangers paroissoient s'être emparés presque exclusivement.

Huet avoit même voulu donner à sa première pensée une exécution bien plus vaste, et dont les avantages auroient été incalculables.

Il s'étoit proposé de composer de tous les vocabulaires particuliers un vocabulaire général, où l'on auroit trouvé, pour ainsi dire, l'histoire de la naissance, de la faveur et de la disgrace de chaque mot latin, depuis l'époque où la langue latine avoit commencé à se former, jusqu'à celle où elle avoit atteint toute sa perfection. Ce vocabulaire auroit pu servir à préserver la langue latine d'une nouvelle décadence, semblable à celle qu'elle éprouva successivement dans les siècles qui suivirent celui d'Auguste.

Mais les coopérateurs de Huet furent effrayés de la grandeur de l'entreprise, et des dépenses qu'elle exigeoit. Cependant il est à croire qu'une pareille difficulté n'auroit pas arrêté Louis XIV, toujours porté à favoriser avec sa magnificence accoutumée tout ce qui pouvoit accroître la prospérité des sciences et des lettres. Huet nous apprend en effet que les éditions ad usum Delphini avec de simples vocabulaires particuliers, coûtèrent à ce prince plus de deux cent mille francs. Ces éditions parurent successivement pendant toute la durée

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