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celui des Pères qui l'ont précédé; elle tient uniquement à ce qu'ayant à s'expliquer depuis que Pélage avoit attaqué le dogme du péché originel et la nécessité de la grâce, il s'étoit vu obligé d'établir avec plus de soin et d'exactitude des principes que les premiers Pères de l'Eglise n'avoient fait qu'indiquer légèrement, parce qu'ils n'avoient jamais été contestés.

C'est à cette occasion que Bossuet censure 1, « l'excès insou>> tenable avec lequel Jansénius, évêque d'Ypres, s'est per>> mis d'écrire que saint Augustin est le premier qui a fait en» tendre aux fidèles le mystère de la grâce. »

C'est ce mystère qui, depuis l'origine du monde, a le plus tourmenté l'esprit humain. La difficulté de concilier la prescience et la toute-puissance de Dieu avec la liberté de l'homme, a exercé la méditation des philosophes. La difficulté d'expliquer les opérations et le concours de la grâce avec le libre arbitre a également enfanté d'innombrables controverses entre les théologiens.

<< La doctrine de la grâce 2, dit Bossuet, qui atterre tout >> orgueil humain, et réduit l'homme à son néant, aura tou>> jours des contradicteurs; et ce qui fait que quelquefois elle >> en trouve même dans de saints personnages, c'est la diffi>> culté de la concilier avec le libre arbitre, dont la créance » est si nécessaire. De là donc il est arrivé que la doctrine de >> saint Augustin a souvent été l'occasion de grands démêlés » dans l'Eglise, les uns l'ayant affoiblie, les autres l'ayant » outrée ; et tout cela étant l'effet naturel de sa sublimité. »

S'il a jamais existé un théologien digne de pénétrer dans la sublimité de ce mystère; s'il avoit pu être donné aux hommes d'entrer dans les secrets que Dieu s'est réservés, c'eût été sans doute à Bossuet. Mais c'est précisément parce qu'il fut le plus grand génie et le plus grand théologien qui ait peut-être jamais existé, qu'il crut devoir respecter cette borne sacrée, contre laquelle tant de théologiens, bien moins éclairés que lui, sont venus se briser, en essayant de la franchir.

C'est par cette admirable circonspection que cet ouvrage de Bossuet doit servir de modèle à tous les théologiens. Bossuet n'y professe aucun système; il ne proscrit, il ne condamne, il ne taxe d'hérésie aucune des opinions que l'Eglise n'a ni condamnées, ni proscrites.

1 Défense de la Tradition et des saints Pères, tom. 11. 1. 1. c. 5. . Ibid., 1. v. c. 14. P. 82.

p. 5.

1

Il s'attache uniquement à démontrer que l'Eglise grecque, et l'Eglise latine, l'Orient et l'Occident n'ont jamais varié, et ont eu constamment la même doctrine; que si Richard Simon a voulu abuser de quelques passages de saint Chrysostome et de quelques autres Pères de l'Eglise grecque, pour les opposer à saint Augustin, ce n'a été qu'en dénaturant l'esprit de leurs maximes habituelles répandues dans tout le corps de leurs ouvrages; que d'ailleurs il y a peu de bonne foi à se prévaloir de quelques expressions vagues et trop générales, que des Pères de l'Eglise auroient hasardées sur des questions qui n'avoient encore été ni agitées, ni éclaircies; que la raison et l'esprit du christianisme invitent à accorder une juste préférence au sentiment des Pères qui se sont expliqués depuis la naissance des hérésies; que cette préférence devient même une règle de croyance, lorsque leur doctrine a été consacrée par les jugements des conciles, des papes et du corps des évêques.

Telle est en effet la gloire de saint Augustin, d'avoir été dans son temps le plus fidèle interprète des sentiments que l'Eglise avoit professés avant lui, et d'être devenu, depuis sa mort, l'oracle invariable des décisions que l'Eglise a eu à prononcer sur ces mêmes questions.

Richard Simon prétendoit, à l'exemple de Grotius et des sociniens modernes, que le « péché originel1 n'est pas ce » qu'on pense; que saint Augustin, et après lui les Occiden>> taux l'ont poussé trop loin, que les Grecs et saint Chrysos>> tome l'ont mieux entendu, en expliquant plutôt de la peine » due au péché, c'est-à-dire, de la mort, que du péché même, >> ces paroles de saint Paul : Le péché est entré dans le monde » par un seul homme.... »

Bossuet montre que cette proposition ainsi énoncée, est formellement condamnée par le concile de Trente 2, et que ce concile n'a fait que renouveler le décret du concile d'Orange adopté par toute l'Eglise.

Bossuet observe ensuite que l'action de Dieu, dans la permission du péché, ne doit pas être considérée, ainsi que l'ont prétendu Luther et Calvin, qui détruisoient le libre arbitre, comme une impulsion, une nécessité inévitable, par laquelle Dieu force les hommes à pécher; mais comme une soustraction de certaines grâces, qui attirent un consentement infail

'Défense de la Tradition et des saints Pères, t. 11. 1. vII. ch. 10. p. 114. .2 Sess. v. cap. II.

lible; et par ces grâces Bossuet entend la grâce efficace. Dieu fait servir souvent à sa gloire et à l'accomplissement de ses desseins éternels la soustraction de ces grâces toutespuissantes, sans lesquelles l'homme devient criminel.

« C'est ainsi qu'il a accompli, par les violences des persé» cuteurs, la gloire qu'il vouloit donner à l'Eglise et à ses >> saints. Tout cela, et les autres choses de cette sorte, dit Bos>> suet, sont des ressorts incompréhensibles de sa Providence, >> nul que lui ne pouvant savoir jusqu'où tombent les pé>> cheurs, lorsqu'il leur ôte ce qu'il ne leur doit pas, ni jus» qu'où il est capable de pousser le bien qu'il veut tirer de leur » désordre... >>

«< Ceux à qui Dieu 2 ne donne pas ces grâces singulières » qui mènent infailliblement ou à la foi, ou même au salut et » à la persévérance finale, n'ont point à se plaindre. La rai>> son en est, dit saint Augustin, qu'il ne les doit à personne. >>> Il pouvoit laisser tous les hommes dans l'état de réprobation où le péché de leur premier père les avoit condamnés. S'il en a tiré quelques-uns par sa pure grâce; s'ils se sont ensuite personnellement rendus coupables, et s'ils ont ainsi mérité d'ètre abandonnés de Dieu, ils sont d'autant moins fondés à se plaindre, « que Dieu 3 ne leur a pas refusé les grâces absolument » nécessaires, pour conserver la justice qu'il leur avoit don>>née; ils ne doivent donc imputer leur perte qu'à eux>> mêmes. >>

Mais en quoi consiste cette sorte de grâce, qui ne produit jamais son effet? «Ne le demandez pas, répond Bossuet; et si >> vous êtes sages, ne prétendez pas le trouver. >>

«Et si ces murmurateurs disent encore que cela est diffi>>cile à concilier avec la préférence gratuite que Dieu accorde » à ses élus, il faudra leur fermer la bouche avec cette parole » de saint Augustin: Faut-il nier ce qui est certain, à cause » qu'on ne peut comprendre ce qui est caché? Faudra-t-il dire » que ce qu'on voit clairement ne soit pas, à cause qu'on ne » trouve pas la raison pourquoi il est ? »

Enfin Bossuet adresse à tous ses lecteurs ces paroles, par lesquelles on devroit peut-être toujours commencer et finir tant de vaines recherches, tant de controverses inutiles sur un mystère inexplicable :

« Si l'autorité et la raison de saint Augustin ne suffisent

1 Défense de la Tradition et des saints Pères, t. III. liv. XI. ch. 13. pag. 180.-2 Ibid., liv. XII. ch. 18. pag. 194.-3 Ibid.· 4 Ibid.

» pas, qu'a-t-on à répondre à ces paroles de l'Apôtre : Qui » connoît les desseins du Seigneur, ou qui est entré dans ses » conseils? O hommes, qui êtes-vous, pour disputer contre » Dieu? Ne savez-vous pas que ces conseils sont impénétrables, » et ses voies incompréhensibles ? »

En un mot, sur toutes les questions de cette nature, qui ont souvent exercé, et quelquefois égaré tant de théologiens, le plus sûr comme le plus conforme à l'esprit du christianisme, 'est de s'en tenir à deux maximes incontestables: l'une que Dieu a clairement révélé tout ce qui est nécessaire pour régler notre croyance, notre conduite et nos mœurs; l'autre que, dans toutes les questions sur lesquelles il n'a point révélé ce que l'on peut appeler le secret de sa providence, il faut croire à sa justice et à sa miséricorde, et tenir fortement à ces deux extrémités de la chaîne des desseins de Dieu sur le genre humain, sans s'occuper des anneaux intermédiaires.

No 1.

LIVRE TREIZIÈME.

PRÉCIS D'UN OUVRAGE MANUSCRIT DE BOSSUET.

DE L'AUTORITÉ DES JUGEMENTS ECCLÉSIASTIQUES, OU SONT NOTES LES AUTEURS DES SCHISMES ET DES HÉRÉSIES.

Il revient de beaucoup d'endroits des plaintes amères, qui font sentir que plusieurs sont scandalisés de l'autorité qu'on donne aux jugements ecclésiastiques, où sont flétris et notés les auteurs des schismes et des hérésies, avec leur mauvaise doctrine. Plusieurs gens doctes, éblouis du savoir et de l'éloquence d'un certain auteur célèbre parmi nous 1, croient rendre service à Dieu en affoiblissant l'autorité de ces jugements. A les entendre, on croiroit que les Formulaires et les souscriptions sur la condamnation des hérétiques, sont choses nouvelles dans l'Eglise de Jésus-Christ; qu'elles sont introduites pour opprimer qui on voudra, ou que l'Eglise n'a pas toujours exigé, selon l'occurrence, que les fidèles passassent des actes qui marquassent leur consentement et leur approbation expresse, ou de vive voix ou par écrit, aux jugements dout nous parlons, avec une persuasion entière et absolue dans l'in

1 Le docteur Arnauld.

térieur. Le contraire leur paroît sans difficulté; ils prennent un air de décision qui semble fermer la bouche aux contredisants; et ils voudroient faire croire qu'on ne peut soutenir la certitude des jugements sur les faits, sans offenser la pudeur et la vérité manifeste. Cependant toute l'histoire de l'Eglise est remplie de semblables actes et de semblables soumissions dès l'origine du christianisme.

Il m'est venu dans l'esprit qu'il seroit utile au bien de la paix de représenter ces actes, à peu près dans l'ordre des temps, en toute simplicité et vérité. Je pourrois en faire l'application aux matières contentieuses du temps; mais j'ai cru plus pacifique de la laisser faire à un chacun. Loin donc de ce discours tout esprit de contention et de dispute. Je ne veux ici produire que des faits constants, que des actes authentiques de l'Eglise, que des exemples certains, qui autorisent le droit perpétuel d'exiger le consentement et l'approbation des actes dont il s'agit.

Je soutiens donc, 1o qu'elle a exercé ce droit sacré dès L'origine du christianisme, et que cette vérité est incontestable. Je passe encore plus avant; elle peut être démontrée en une ou deux pages, d'une manière à ne laisser aucune réplique. Par exemple, j'exposerai par avance ce fait tiré du concile de Constance, lequel ayant défini plusieurs faits contre Jean Viclef et Jean Hus, dans les sessions huitième et quinzième, comme « qu'ils étoient hérétiques, et avoient préché et » soutenu plusieurs hérésies, et notamment que Viclef étoit » mort, opiniâtre et impénitent, anathematisant lui et sa mé» moire; » le Pape Martin V ordonne, dans ce concile, avec son approbation expresse (sacro approbante concilio, ) « que >> tous ceux qui seroient suspects d'adhérer à ces hérétiques, >> sans aucune distinction, soient obligés de déclarer en parti>> culier qu'ils croient que la condamnation faite par le saint » concile de Constance, de leurs personnes, de leurs livres et » de leurs enseignements, a été très-juste, et doit être re» tenue et fermement assurée pour telle par tous les catholi>>ques, et qu'ils sont hérétiques, et doivent être crus et >> nommés tels. »

Arrêtons-nous là, et supposons, si vous voulez, qu'il n'y ait que ce seul fait à produire et à discuter: je dis que par ce seul fait la chose est décidée, et toutes les objections qu'on peut faire tombent par terre sans ressource.

Ce jugement est prononcé par un concile œcuménique, toutes les obédiences, comme on parloit, étant réunies, le

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