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logie avec d'autres paroles de Jésus-Christ du même genre, mais dont le sens est évidemment déterminé à des faits particuliers, à des événements passagers.

Bossuet discute avec sa dialectique accoutumée, tous ces faits et tous ces exemples; et il démontre combien ils ressemblent peu à cette déclaration magnifique, par laquelle Jésus-Christ, prêt à s'élever au ciel, prononce que toute puissance lui a été donnée au ciel et sur la terre; et que c'est en vertu de cette toute puissance qu'il a posé sur des fondements inébranlables cette Eglise qu'un Dieu a cimentée de son sang.

Ce qui caractérise d'une manière particulière tous les ouvrages de controverse de Bossuet, et ce qui fait disparoître la sécheresse, qu'on craint toujours de rencontrer dans les discussions polémiques, où l'on est souvent obligé de ramener les lecteurs sur les mêmes matières et sur les mêmes difficultés; c'est l'art admirable avec lequel, sans jamais sortir de son sujet, et en ne paroissant que céder à la nécessité de répondre à ses adversaires, il trouve le moyen de rappeler les faits les plus importants de l'histoire ecclésiastique, et de les dégager de tous les nuages dont on cherche trop souvent à les envelopper.

C'est ce qu'on peut observer dans cette Instruction pastorale de Bossuet, comme dans ses autres écrits du même genre.

Basnage avoit cité Paschase Radbert comme l'auteur d'une grande innovation dans l'Eglise sur le sacrement de l'eucharistie: il avoit prétendu que l'église grecque n'a jamais reconnu la primauté du pontife de Rome; que l'assistance du Saint-Esprit n'avoit été accordée qu'aux apôtres, et non à leurs successeurs. Il affectoit de confondre les dons extraordinaires dont Jésus-Christ avoit favorisé les apôtres, tel que celui des miracles, avec le ministère ordinaire des pasteurs; il supposoit, contre sa propre conviction, que l'Eglise romaine attribue à chaque pasteur une infaillibilité, qu'elle ne reconnoît que dans le corps même de l'Eglise; il dé

naturoit tous les monuments de l'histoire, pour faire entendre que l'Eglise entière avoit partagé l'erreur d'Arius; il osoit même accuser ses plus célèbres prophètes d'avoir professé le schisme des dix tribus d'Israël; enfin, il imputoit à Bossuet d'enseigner que l'Ecriture sainte étoit inutile.

De pareilles imputations ne pouvoient être accueillies par les hommes instruits; mais elles pouvoient séduire la multitude ignorante. Il n'étoit pas difficile de les réfuter; il l'étoit peut-être davantage de donner à une discussion, nécessairement minutieuse par tous les détails qu'elle embrassoit, assez d'intérêt pour exciter l'attention publique, dans un temps où elle pouvoit ètre fatiguée de cinquante ans de controverse sur les mêmes questions et les mêmes matières.

C'est ce talent si rare et si difficile que Bossuet a possédé jusqu'au dernier moment de sa vie. Il est souvent obligé de revenir sur des points qu'il a déjà traités. Mais telle est la fécondité de son génie, telle est l'abondance des faits et des témoignages que sa vaste érudition mettoit toujours à sa disposition, que jamais il ne représente le même fait, jamais il ne reproduit le même raisonnement; et lors même que, déjà instruit par lui, on croit n'avoir plus rien à apprendre sur la question dont il vient entretenir ses lecteurs, ils voient avec étonnement s'ouvrir devant eux de nouvelles sources d'instruction.

Un passage de cette Instruction pastorale fit beaucoup de sensation dans le temps où elle parut. Bossuet s'y étoit exprimé de la manière la plus forte sur une question qui venoit récemment d'être agitée avec la plus vive chaleur.

XXI.- Affaire des cérémonies chinoises.

C'étoit au sujet de la religion et du culte des Chinois, que des missionnaires jésuites vouloient représenter comme une copie imparfaite et défigurée de la doctrine des Juifs sur le culte du vrai Dieu.

Sans traiter directement cette question, Bossuet s'élève avec indignation contre cette opinion: Basnage avoit dit que l'église des Chinois étoit ancienne.

« Etrange sorte d'église 1, répond Bossuet, sans foi, » sans promesse, sans alliance, sans sacrements, sans » la moindre marque de témoignage divin; où l'on »> ne sait ce que l'on adore et à qui l'on sacrifie, ci ce » n'est au ciel ou à la terre, ou à leurs génies, comme » à celui des montagnes et des rivières, et qui n'est » après tout qu'un amas confus d'athéisme, de politique » et d'irréligion, d'idolâtrie, de magie, de divination » et de sortilége. »

Une déclaration si précise et si forte faisoit assez voir que Bossuet ne s'étoit point laissé éblouir par les magnifiques peintures qu'on avoit transmises en Europe sur la religion, les lois et les vertus morales de ce peuple lointain, si difficile à aborder, et dont il est peut-être plus difficile encore de juger les institutions civiles et religieuses à travers les barrières que la politique ombrageuse de son gouvernement et la complication des signes de son langage opposent à la curiosité des étrangers.

L'opinion de Bossuet étoit conforme à celle de la faculté de théologie de Paris, qui avoit condamné le 18 octobre 1700, sous différentes qualifications, quelques propositions tirées des Mémoires sur l'état présent de la Chine, par le père Lecomte, et de l'Histoire de l'édit de l'empereur de la Chine, par le père Le Gobien, l'un et l'autre jésuites.

On trouvoit dans ces deux ouvrages des assertions que l'enthousiasme le plus extraordinaire pour les Chinois avoit pu seul hasarder.

On y lisoit que le peuple de la Chine a conservé près de deux mille ans la connoissance du vrai Dieu, et l'avoit honoré d'une manière qui peut servir d'exemple et d'instruction, même aux chrétiens.

1 Deuxième Instruction pastorale, OEuvres de Bossuet, tom. VII. pag. 748.

Que la Chine a sacrifié au Créateur dans le plus ancien temple de l'univers.

Que la pureté de la morale, la sainteté des mœurs, la foi, le culte du vrai Dieu, intérieur et extérieur, les prêtres, les sacrifices, des saints, des hommes inspirés de Dieu, des miracles, l'esprit de la religion, la charité la plus pure, qui est la perfection et le caractère de la religion, et l'esprit de Dieu, ont subsisté autrefois chez les Chinois pendant deux mille ans.

Qu'aucune nation de la terre n'a été plus constamment favorisée par la Providence divine, que la nation chinoise.

Cette censure avoit passé à la pluralité de cent quatorze voix; quarante-six docteurs avoient été d'une opinion différente, sans s'expliquer sur les propositions. Ils pensoient qu'il eût été plus convenable d'attendre le jugement de Rome, déjà saisie de toutes les contestations qui s'étoient élevées au sujet des cérémonies chinoises. Plusieurs même d'entre eux avoient avancé que les propositions ne méritoient ni la censure, ni les qualifications dont on les avoit frappées.

Parmi ces derniers, un docteur de la maison de Sorbonne, bibliothécaire du collége Mazarin *, ne s'étoit pas borné à faire imprimer son avis, entièrement contraire à celui qui avoit prévalu; il s'étoit engagé dans une nouvelle question du même genre, et qui étoit de nature à exciter les plus vives contradictions. Il exaltoit la pureté de la religion des anciens Perses avec le mème enthousiasme que les missionnaires jésuites avoient montré pour celle des Chinois.

Il entreprenoit d'établir, par l'autorité de l'Ecriture, que les anciens Perses avoient connu le vrai Dieu, et même le Messie;

Que Cyrus a reconnu que le Dieu des Juifs étoit le vrai Dieu.

Enfin, que Cyrus et les rois de Perse ses successeurs
Le sieur Couleau.

n'ont changé le culte qu'ils rendoient au vrai Dieu, que depuis qu'ils ont été subjugués par les Grecs.

Et comme l'auteur ne pouvoit ni dissimuler, ni se dissimuler à lui-même que les anciens Perses n'eussent rendu un culte au soleil, il prétendoit que ce culte n'étoit que l'expression de leur admiration pour le plus bel ouvrage de la création divine.

« En général, disoit Bossuet, l'auteur abusoit, pour >> établir son système, de deux doctrines très-orthodoxes, >> dont l'une est, qu'il y a eu des fidèles dispersés çà » et là, hors de l'enceinte du peuple juif; et la seconde, » que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. »

Cet écrit parut vers le milieu de l'année 1701, et Bossuet s'empressa de réclamer hautement contre des paradoxes qui lui parurent dangereux pour la religion. Mais, occupé alors de son grand travail pour la réunion des luthériens, il n'avoit ni le temps ni la liberté de s'engager lui-même dans cette nouvelle controverse. Cependant, il écrivit trois lettres doctrinales * à M. Brisacier, supérieur des missions étrangères, pour l'exciter à provoquer la censure de la faculté de théologie de Paris.

« Ce livre, lui écrivoit Bossuet, est fait pour appuyer >> l'indifférence des religions, qui est la folie du siècle » où nous vivons. Cet esprit règne en Angleterre et >> en Hollande très-visiblement. Mais par malheur » pour les âmes, il ne s'introduit que trop parmi les ca>> tholiques. Ce livre autorise ce sentiment, en faisant >> tous les hommes capables de salut, de quelque reli>> gion qu'ils soient. L'auteur fait servir à cette doc>> trine la volonté générale de Dieu de sauver tous les >> hommes; d'où il conclut que la religion véritable a » pu être dans tous les peuples; et comme cette vo>> lonté subsiste toujours, il doit tirer la même consé>>quence du temps présent, comme il a fait de celui » qui a précédé l'Evangile.

*On les trouve au tome XI, pag. 76 et suiv. des OEuvres de Bossuet. Elles sont datées des 30 août, 8 et 13 septembre 1701.

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