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Dieu sans pouvoir sur la volonté des hommes, une prédestination sans mystère, une Rédemption sans certitude!

84.

Unité1, multitude. En considérant l'Église comme unité, le pape quelconque est le chef, est comme tout. En la considérant comme multitude, le pape n'en est qu'une partie. Les Pères l'ont considérée, tantôt en une manière, tantôt en l'autre. Et ainsi ont parlé diversement du pape. Saint Cyprien : Sacerdos Dei 2. Mais en établissant une de ces deux vérités, ils n'ont pas exclu l'autre. La multitude qui ne se réduit pas à l'unité est confusion; l'unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie. Il n'y a presque plus que la France où il soit permis de dire que le concile est audessus du pape.

85.

Dieu ne fait point' de miracles dans la conduite ordinaire de son Église. C'en serait un étrange, si l'infaillibilité était dans un; mais d'être dans la multitude, cela paraît si naturel', que la conduite de Dieu est cachée sous la nature, comme en tous ses autres ouvrages.

86.

Sur ce que la religion chrétienne n'est pas unique. - Tant s'en faut que ce soit une raison qui fasse croire qu'elle n'est pas la véritable, qu'au contraire, c'est ce qui fait voir qu'elle l'est.

1

2

<< Unité. » 251. En titre : Eglise, Pape. Manque dans P. R. Cf. 77.

«Sacerdos Dei. » Le prêtre de Dieu (par excellence). Saint Cyprien appelle ainsi le pape, dont il soutient fortement la prééminence dans son livre sur l'Unité de l'Église. Mais le même saint Cyprien combattit énergiquement le pape saint Etienne sur un point de doctrine, et refusa de céder à son autorité. Il aurait cédé, dit saint Augustin, si la vérité avait été manifestée par un concile universel. Voir sur ce dissentiment entre saint Cyprien et le pape la Défense de l'Eglise gallicane de Bossuet, dissertation préliminaire, 67 sqq. et livre IX, chap. 3.

4

2 « Dieu ne fait point. » 437. Manque dans P. R.

<< Si naturel. » Il est naturel en effet de mettre l'autorité plutôt dans le consentement général, et dans une majorité, que dans un seul homme. Mais l'autorité n'est pas l'infaillibilité; celle-ci n'appartient naturellement ni à un, ni à plusieurs, ni à tous; elle ne saurait jamais être que chose surnaturelle, et miracle.

5

« Sur ce que. 243. Manque dans P. R.

« Qu'elle l'est. » Parce qu'elle-même enseigne qu'il y aura toujours des croyances contraires oportet et hæreses esse (I Cor., XI, 49). Mais Pascal s'est mal exprimé, et c'est peut-être pourquoi P. R. a supprimé ce fragment. Il veut dire seulement que, sans cela, la religion ne serait pas vraie; et non que cela suffise pour qu'elle le soit.

87.

L'éloquence' est un art de dire les choses de telle façon, 1o que ceux à qui l'on parle puissent les entendre 2 sans peine, et avec plaisir; 2° qu'ils s'y sentent intéressés, en sorte que l'amour-propre les porte plus volontiers à y faire réflexion. Elle consiste donc dans une correspondance qu'on tâche d'établir entre l'esprit et le cœur de ceux à qui l'on parle d'un côté, et de l'autre les pensées et les expressions dont on se sert; ce qui suppose qu'on aura bien étudié le cœur de l'homme pour en savoir tous les ressorts, et pour trouver ensuite les justes proportions du discours qu'on veut y assortir3. Il faut se mettre à la place de ceux qui doivent nous entendre", et faire essai sur son propre cœur du tour qu'on donne à son discours, pour voir si l'un est fait pour l'autre, et si l'on peut s'assurer que l'auditeur sera comme forcé de se rendre. Il faut se renfermer, le plus qu'il est possible, dans le simple naturel; ne pas faire grand ce qui est petit, ni petit ce qui est grand'. Ce n'est pas assez qu'une chose soit belle, il faut qu'elle soit propre au sujet, qu'il n'y ait rien de trop ni rien de manque.

L'éloquence est une peinture de la pensée; et ainsi, ceux qui, après avoir peint, ajoutent encore, font un tableau, au lieu d'un portrait".

1

a L'éloquence. » Ce morceau, publié par Bossut, ne se retrouve ni dans le manuscrit autographe ni dans les copies.

2

Les entendre. » Dans le sens de les comprendre. Il faut d'abord que l'on nous comprenne, sans peine, et avec plaisir; ce qui suppose des idées justes et claires et des raisonnements bien faits. Τὸ γαρ μανθάνειν ῥᾳδίως ἡδὺ φύσει πᾶσιν ἐστι, disait Aristote (Rhét., III, 40). Voilà pour l'esprit, ce qui suit est pour le cœur.

3 « Y assortir. » Cette rhétorique philosophique est la même dont Platon a le premier exposé les principes dans le Phèdre : « Puisque l'œuvre de l'éloquence est > une espèce d'évocation des âmes (doyayoria), celui qui veut être orateur doit né>> cessairement connaître à fond l'âme humaine, » etc. (page 271).

4 « Nous entendre. » C'est aussi le précepto de Cicéron: de Oratore, II, 24. 5 « Ce qui est grand.» « L'art se décrédite lui-même; il se trahit en se mon>>trant. Isocrate, dit Longin, est tombé dans une faute de petit écolier... Et voici » par où il débute [dans le Panégyrique] : Puisque le Discours a naturellement la vertu » de rendre les choses grandes petites, et les petites grandes; qu'il sait donner les » grâces de la nouveauté aux choses les plus vieilles, et qu'il fait paraître vieilles » celles qui sont nouvellement faites... En faisant de cette sorte l'éloge du Discours, >> il fait proprement un exorde pour avertir ses auditeurs de ne rien croire de ce » qu'il va dire. » FENELON, Lettre sur les occupations de l'Académie française, § IV.

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Voir Méré, Discours de la Conversation, p. 59: « On com

88.

S'il ne fallait rien faire que pour le certain, on ne devrait rien faire pour la religion; car elle n'est pas certaine. Mais combien de choses fait-on pour l'incertain, les voyages sur mer, les batailles ! Je dis donc qu'il ne faudrait rien faire du tout, car rien n'est certain; et qu'il y a plus de certitude 2 à la religion, que non pas que nous voyions le jour de demain : car il n'est pas certain que nous voyions demain, mais il est certainement possible que nous ne le voyions pas. On n'en peut pas dire autant de la religion. Il n'est pas certain qu'elle soit; mais qui osera dire qu'il est certainement possible qu'elle ne soit pas3? Or, quand on travaille pour demain, et pour l'incertain, on agit avec raison. Car on doit travailler pour l'incertain, par la règle des partis qui est démontrée".

» pare souvent l'éloquence à la peinture; et je crois que la plupart des choses qui se » disent dans le monde sont comme autant de petits portraits, qu'on regarde à part >> et sans rapport, et qui n'ont rien à se demander. On n'a pas le temps de faire de >> ces grands tableaux, » etc. Cette pensée n'est pas du tout la même que celle de Pascal, qui est que l'éloquence doit être le portrait exact de la pensée, et non un tableau d'imagination. Mais Pascal a peut-être pris à Méré l'idée de cette comparaison entre l'éloquence et la peinture, et ces expressions de tableau et de portrail.

«S'il ne fallait. » 430. Manque dans P. R. Les éditeurs de P. R. ont craint qu'on ne pût supporter ces propositions, que la religion n'est pas certaine, qu'il n'est pas certain qu'elle soit. Cf. v, 9, page 66.

2 << Plus de certitude. » La certitude n'a pas de plus et de moins.

3 « Qu'elle ne soit pas. » Il y a ici une confusion manifeste. Pascal transporte la considération du possible dans un ordre de choses qui ne la comporte pas. Pour les faits, pour les choses accidentelles, ou, comme on dit en philosophie, contingentes, il y a être, il y a n'être pas, il y a, avant l'événement, être possible. Mais pour les principes absolus et indépendants de tout événement, ils sont simplement vrais ou faux; là la considération du possible n'a plus lieu. Pour être certain qu'un fait quelconque peut n'être pas, il n'y a pas besoin d'être certain que ce fait n'est pas en effet; car telle chose est, qui pourrait ne pas être. Mais pour être certain que Dieu peut ne pas être, il faudrait être certain qu'il n'est pas; car s'il est, il ne pouvait pas ne pas être. Etre incertain s'il est, ou être incertain s'il peut-être, c'est la même chose, c'est un seul et même doute, et non deux degrés de doute différents. L'argument de Pascal mènerait jusqu'à l'absurde. Supposons qu'on présente à un homme cette proposition: Les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits et demi; et que cet homme ne sache pas assez de géométrie pour affirmer que cette proposition n'est pas vraie; dès lors, et par cela seul, il est également incapable d'affirmer qu'elle peut n'être pas vraie. Lui dira-t-on : Voici une proposition douteuse pour vous, mais qui pourtant doit vous paraître plus sûre qu'il n'est sûr que vous viviez demain; car vous êtes certain que vous pouvez ne pas vivre demain, et vous n'êtes pas certain que cette proposition puisse n'être pas vraie?

4

« Des partis. >> Voir le second fragment du paragraphe v, 9, et x, 1, page 449. 5 « Démontrée. » Si elle est démontrée, il ne faut donc pas dire que rien n'est certain. Cela même, qu'on doit agir pour l'incertain, il faut que ce soit une certitude. Et si la règle des partis était incertaine, Pascal ne pourrait nous proposer d'agir d'après la règle des partis.

89.

La nature de l'homme n'est pas d'aller toujours, elle a ses allées et venues. La fièvre a ses frissons et ses ardeurs, et le froid montre aussi bien la grandeur de l'ardeur de la fièvre que le chaud même. Les inventions des hommes de siècle en siècle vont de même. La bonté et la malice du monde en général en est de même2: Plerumque gratæ principibus vices3.

90.

Il faut avoir une pensée de derrière, et juger de tout par là, en parlant cependant comme le peuple.

91.

La force' est la reine du monde, et non pas l'opinion; mais l'opinion est celle qui use de la force'.

1 « La nature. « 83. Manque dans P. R.

2 << En est de même. » C'est-à-dire, il en est de même de la bonté et de la malice du monde. Il n'y a que trop de vérité dans cette pensée de Pascal; elle n'est pas cependant, nous l'espérons, toute la vérité. Si la nature de l'homme n'est pas d'aller toujours; si, à mesure qu'il avance, il recule ensuite, du moins il ne recule pas toujours autant qu'il avance. La cause de la raison et de la justice avait bien gagné déjà dans le monde au temps de Pascal, elle a gagné depuis davantage. Que ceux qui emploient leurs forces à servir cette cause ne se flattent donc pas, mais qu'ils ne désespèrent pas non plus.

3 a Principibus vices. » HORACE, Od., III, XXIX, 43: « Les grands se plaisent » à essayer tour à tour des contraires. » Le texte dit, les riches, divitibus. C'est la seconde citation d'Horace que nous trouvons dans Pascal. - On lit, à la page 251

-

du manuscrit, cet autre fragment: « La nature agit par progrès (et par retraites?], »itus et reditus. Elle passe et revient, puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais, etc. Le flux de la mer se fait ainsi, le soleil semble marcher » ainsi. » Ces derniers mots sont suivis d'un zigzag, pour figurer cette marche apparente du soleil.

4 « Il faut avoir. » 231. En titre, Raison des effets (voir l'article v). Manque dans P. R.

5 « De derrière. » Cf. v, 2. On lit encore, page 163 du manuscrit : « J'aurai » aussi mes pensées de derrière la tête. »>

a

2.

« Le peuple. » Sur ce que Pascal entend par le peuple, voir les notes sur v, « La force. » 142. Manque dans P. R. Pascal contredit ici ou du moins modifie ce qu'il avait dit ailleurs (v, 5).

8 « De la force. » On lit à la suite dans le manuscrit : « C'est la force qui fait » l'opinion. La mollesse est belle, selon notre opinion. Pourquoi? Parce que qui » voudra danser sur la corde, sera seul; et je ferai une cabale plus forte, de gens » qui diront que cela n'est pas beau. » Ces lignes sont bien bizarres. C'est une singulière antithèse que celle de la mollesse et de danser sur la corde. 11 choisit sans doute cet acte parce qu'on s'y donne beaucoup de mouvement, et du mouvement le plus pénible. - Mais pourquoi estime-t-on peu honorable la condition de celui qui se donne tout ce mouvement, tandis qu'on regarde comme noble le loisir de celui qui reste tranquille? C'est, dit Pascal, que celui qui voudra danser sur la

92.

[Le hasard1 donne les pensées, le hasard les ôte; point d'art pour conserver ni pour acquérir.]

93.

Est fait prêtre qui veut l'être, comme sous Jéroboam3. C'est une chose horrible qu'on nous propose la discipline de l'Église d'aujourd'hui pour tellement bonne, qu'on fait un crime de la vouloir changer. Autrefois elle était bonne infailliblement, et on trouve qu'on a pu la changer sans péché; et maintenant, telle qu'elle est, on ne la pourra souhaiter changée! Il a bien été permis de changer la coutume de ne faire des prêtres qu'avec tant de circonspection, qu'il n'y en avait presque point qui en fussent dignes'; et il ne sera pas permis de se plaindre de la coutume, qui en fait tant d'indignes'!

corde sera seul. Il dit là, tout Pascal qu'il est, une chose puérile. Car pourquoi sera-t-il seul? C'est là qu'il faut remonter, et ce ne sera pas chose bien difficile.

1 « Le hasard. » 442. Manque dans P. R. Pascal avait barré ce fragment. Il y a réellement un art pour conserver les pensées, c'est-à-dire un art de la mémoire ; et un autre pour les acquérir, c'est ce qu'on appelle la méthode. Seulement l'un et l'autre sont peu de chose en comparaison de la nature.

2 << Est fait prêtre. » 249. Manque dans P. R.

3 « Jéroboam.

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III, Rois, XII, 31: « Et il prit des prêtres dans les derniers

» du peuple, qui n'étaient pas des enfants de Lévi. »

D

4 « Qui en fussent dignes. » Qu'il n'y avait presque point de fidèles qui fussent dignes d'être prêtres.

5 << Tant d'indignes. » Ce fragment appartient encore à la polémique contre la religion relâchée. Les jansénistes reprochaient à la discipline ecclésiastique de leur temps d'avoir abaissé et comme dégradé, avec la grâce même de Jésus-Christ, les instruments de cette grâce, la direction des consciences, les sacrements de la Pénitence et de l'Eucharistie, et le caractère auguste du prêtre, dispensateur de la parole, des sacrements, de la grâce même. Il faut voir dans le Port Royal de M. SainteBeuve, t. I, page 454 et suivantes, l'idée que le maître du jansénisme français, Saint-Cyran, se faisait du sacerdoce. Il croit que c'est à peine si on peut trouver un bon prêtre sur dix mille. Le prêtre est plus qu'un ange; combien donc doit-il être pur! Les hommes de Port Royal ne redoutaient rien tant que ce fardeau de la prêtrise; ils ne le recevaient que forcés. Voici enfin ce qu'on lit dans l'interrogatiore de Saint-Cyran à Vincennes (Recueil d'Utrecht, p. 438, no 207): « Interrogé s'il » n'a pas dit qu'un homme qui a une fois péché contre la chasteté ne doit point se >> porter au sacerdoce, a dit... qu'il sait assez qu'il y a des canons qui veulent » qu'on reçoive des pénitents lorsqu'on ne trouve pas des innocents. Avoue avoir » dit à quelques-uns, afin de tempérer l'ardeur qu'ils avaient de se faire prêtres, » que l'Eglise n'a reçu, jusqu'au septième siècle, que ceux qui avaient conservé >> leur innocence (a)... et c'est peut-être un des sujets pour lesquels il a tant relevé

(a) Saint-Cyran a-t-il pu oublier tant de pénitents devenus prêtres et Saints, et saint Augustin avant tous?

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