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d'elle-même une idée assez basse, ni en concevoir une assez relevée de ce bien souverain, elle fait de nouveaux efforts pour se rabaisser jusqu'aux derniers abîmes du néant, en considérant Dieu dans des immensités qu'elle multiplie sans cesse1. Enfin dans cette conception, qui épuise ses forces 2, elle l'adore en silence, elle se considère comme sa vile et inutile créature, et par ses respects réitérés l'adore et le bénit, et voudrait à jamais le bénir et l'adorer. Ensuite elle reconnaît la grâce qu'il lui a faite, de manifester son infinie majesté à un si chétif vermisseau3; et après une ferme résolution d'en être éternellement reconnaissante, elle entre en confusion d'avoir préféré tant de vanités à ce divin maître; et dans un esprit de componction et de pénitence elle a recours à sa pitié pour arrêter sa colère dont l'effet lui paraît épouvantable. Dans la vue de ces immensités.

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Elle fait d'ardentes prières à Dieu pour obtenir de sa miséricorde que comme il lui a plu de se découvrir à elle, il lui plaise de la conduire à lui, et lui faire connaître les moyens d'y arriver. Car comme c'est à Dieu qu'elle aspire, elle aspire encore à n'y arriver que par des moyens qui viennent de Dieu même, parce qu'elle veut qu'il soit lui-même son chemin3, son objet et sa dernière fin. Ensuite de ces prières, elle commence d'agir, et cherche entre

ceux. •

Elle commence à connaître Dieu, et désire d'y arriver; mais comme elle ignore les moyens d'y parvenir, si son désir est sincère et véritable, elle fait la même chose qu'une personne qui désirant arriver en quelque lieu, ayant perdu le chemin, et connaissant son égarement, aurait recours à ceux qui sauraient parfaitement ce chemin'.

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1 « Sans cesse. » C'est la même antithèse que Pascal développe dans le premier fragment des Pensées, mais là son point de vue est plutôt philosophique, ici il est surtout religieux. Là il contemple en silence (p. 6), ici il adore en silence; là il songe plus à rabaisser l'homme, ici à exalter Dieu.

2

« Epuise ses forces. » Même expression dans le fragment des Pensées, page 5.

3 « Vermisseau. » Ainsi dans les Pensées, imbécile ver de terre, vIII, 4, page 419.

4 « De Dieu même. » Et non par des moyens humains, tels que la morale des philosophes.

5

« Son chemin. » C'est l'expression de l'Écriture, via. Cf. Pensées, XXV, 43. « Elle commence à... » Pascal s'est interrompu, n'étant pas content de son ex

pression, et il reprend les mêmes choses d'une autre manière.

7 « Ce chemin. » Il désigne ses maîtres dans la piété, ses directeurs, M. Singlin, M. de Saci. 11 emploie des expressions semblables dans un passage fameux des

Elle se résout de conformer à ses volontés le reste de sa vie; mais comme sa faiblesse naturelle, avec l'habitude qu'elle a aux péchés où elle a vécu, l'ont réduite dans l'impuissance d'arriver à cette félicité, elle implore de sa miséricorde les moyens d'arriver à lui, de s'attacher à lui, d'y adhérer éternellement.

Ainsi elle reconnaît qu'elle doit adorer Dieu comme créature1, lui rendre grâce comme redevable 2, lui satisfaire comme coupable', le prier comme indigente".

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Pensées, x, 1, p. 154: « Vous voulez aller à la foi, et vous n'en savez pas le che » min... Apprenez de ceux qui ont été liés comme vous... Ce sont gens qui savent » ce chemin que vous voudriez suivre, et guéris d'un mal dont vous voulez guérir.» Mais là c'est lui-même, pécheur converti, que Pascal propose à d'autres pécheurs comme un exemple des miracles de la grâce.

1

« Comme créature. » Voir plus haut: « Elle se considère comme sa vile et >> inutile créature, etc. »>

2 « Comme redevable. » Voir plus haut : « Ensuite elle reconnaît la grâce qu'il » lui a faite, etc. »

3 « Comme coupable. » Voir plus haut: « Et dans un esprit de componction et

» de pénitence, elle a recours à sa pitié pour arrêter sa colère, etc. »

4 « Comme indigente. >> Voir ci-dessus : « Mais comme sa faiblesse naturelle, » avec l'habitude qu'elle a aux péchés où elle a vécu, l'ont réduite dans l'impuis»sance, etc. >>

1.

3

... Pour répondre 2 à tous vos articles, et bien écrire 3 malgré mon peu de temps.

1 « De Roannez.» Mlle de Roannez (Charlotte Gouffier), depuis duchesse de la Feuillade, était la sœur du duc de Roannez. Elle subit, comme son frère, l'ascendant de Pascal; mais femme, et d'une âme faible, ce fut pour le malheur et le déchirement de toute sa vie qu'elle fut exposée à l'influence contagieuse de ce terrible génie, et au zèle farouche de Port Royal. Nous avons pour l'histoire de Mlle de Roannez trois sources principales: 4° Une notice qui se trouve dans les manuscrits de Marguerite Perier, notice publiée pour la première fois par M. Cousin dans la Bibliothèque de l'École des chartes (septembre et octobre 1843); 2° Son article, sous le nom de Mme la duchesse de la Feuillade, dans le Nécrologe de Port Royal, au 13 février; 3° Une note du Recueil d'Utrecht, page 301. Tous ces documents ne sont encore ni assez complets, ni assez exacts. Il suffira de dire ici que Mlle de Roannez vivait dans le monde, et pensait à se marier, lorsqu'elle fut touchée de la grâce, et résolut de se donner à Dieu. Elle s'échappa de chez sa mère, et entra à Port Royal, où elle fut reçue comme novice. Sa mère obtint une lettre de cachet pour l'en faire sortir. Elle obéit avec douleur, mais sa ferveur ne faisant que s'irriter par ces obstacles, elle fit avant de sortir des voeux simples de virginité. Rentrée chez sa mère, elle y vécut dans la retraite, soutenue dans sa dévotion par celui qui l'y avait attirée. Plus d'un an après la mort de Pascal, il se présenta une circonstance qui la troubla. Une rencontre préparée lui fit revoir l'homme qui la recherchait en mariage à l'époque où elle s'était jetée à Port Royal. « Cet homme lui marqua les mêmes empresse>>ments qu'il avait fait il y a six ou sept ans. Mlle de Roannez fut touchée. » Mais à défaut de Pascal, Mme Perier, et M. Singlin avec elle, ressaisirent cette âme qui se laissait aller à la douceur d'être aimée, et la firent rentrer dans la voie étroite qu'on lui avait faite. Mais M. Singlin mourut, Mme Perier quitta Paris, et Mile de Roannez fut livrée à d'autres conseils. Son frère, renonçant au monde, avait vendu son gouvernement, et s'était retiré à la maison des Pères de l'Oratoire. Ses deux sœurs étaient religieuses. Mile de Roannez devenait un grand parti, et avec l'agrément de la cour, pouvait porter avec elle dans une autre maison le duché de son frère. Un conseil de conscience l'autorisa à se faire relever de son vou, et elle devint, en 1667, duchesse de la Feuillade (les relations ne parlent plus de celui qui avait pensé à elle en d'autres temps). Dès que Port Royal avait senti sa conquête lui échapper et retourner au monde, il avait été indigné. Le Recueil d'Utrecht (p. 309) a transcrit une lettre d'Arnauld à Mme Perier, de mars 1666, où se lisent ces dures paroles : « Ce n'est pas que les exemples dont vous me parlez ne soient » de terribles leçons... Celui que vous laissez entendre sans le marquer expressé»ment est le plus effroyable, n'y ayant rien de plus touchant que ce qu'a écrit au>>trefois de ses dispositions cette personne, lorsqu'elle s'engageait à Dieu par tant

2

« Pour répondre. » C'est la fin d'une phrase. Pascal disait sans doute peu près Je vais faire tous mes efforts pour répondre, etc.

:

3 « Bien écrire. » C'est-à-dire d'une bonne écriture. Mal écrit se trouve plus loin dans le même sens.

Je suis ravi de ce que vous goûtez le livre de M. de Laval 1 et les Méditations sur la Grâce 2; j'en tire de grandes conséquences pour ce que je souhaite'.

Je mande le détail de cette condamnation qui vous avait effrayée*; cela n'est rien du tout ', Dieu merci, et c'est un miracle de ce qu'on

» de vœux, et n'y ayant rien au contraire de plus scandaleux que l'oubli où elle » paraît être aujourd'hui de toutes ces grâces de Dieu. Mais la frayeur salutaire » que ces exemples causent nous est un puissant moyen pour éviter de semblables » chutes. Il y a deux choses principalement qui ont pu contribuer à la perte de cette » personne, etc. » Mais elle était à peine mariée qu'elle reconnut sa faute, dit le Recueil d'Utrecht, et commença à en faire pénitence. Dieu lui offrit dans la suite divers moyens de la faire, qu'elle accepta avec joie. En effet, cruellement frappée dans ses enfants (a), atteinte elle-même profondément dans sa santé, elle mourut d'un cancer au sein, en 1683, après quinze ans d'une vie qui ne fut pas seulement consumée par tous ces maux, mais par les scrupules et les tourments d'une conscience troublée. Elle disait, suivant le Nécrologe, qu'elle eût été plus heureuse de vivre paralytique à Port Royal, que comme elle vivait dans l'éclat de sa fortune. Elle laissa trois mille livres à l'abbaye, en demandant qu'on y reçût une religieuse converse (c'est-à-dire de celles qui font l'office de servantes), qui remplirait la place qu'elle y devait tenir elle-même, tâchant de perpétuer ainsi son expiation. Et ce pendant Port Royal, dans son impitoyable zele, n'a pas eu pour elle une parole

d'attendrissement.

Les lettres à M1le de Roannez, ou plutôt ces Extraits, étaient entre les mains des premiers éditeurs des Pensées. Ils en ont détaché un grand nombre de fragments qu'ils ont mêlés aux pensées proprement dites dans les titres XXVII et XXVI de leur édition, Pensées sur les Miracles, et Pensées chrétiennes, sans en indiquer l'origine particulière. Cf. Bossut, II, xvi et xvII. M. Cousin en a recherché la source et l'a retrouvée, il a publié le premier les neuf Extraits (b). Ils sont sans date, mais on voit facilement qu'ils ont été écrits en 1656. Si le Nécrologe de Port Royal ne s'est pas trompé en disant que la duchesse de la Feuillade est morte à cinquante ans (en 1683), elle était donc née vers 1633, et elle avait à l'époque de ces lettres

23 ans.

1 « M. de Laval » Pseudonyme sous lequel le duc de Luynes a écrit divers ou vrages de piété. Si les dates données dans la Biographie universelle sont exactes, les Sentences tirées de l'Écriture sainte et des Pères (1648) étaient le seul de ces ou vrages qui eût paru en 4656.

« Sur la Grâce. » Je pense qu'il s'agit du livre de la Gráce victorieuse de JésusChrist, par le sieur de Bonlieu (Noël de la Lane), 4651.

3

» Ce que je souhaite. » C'est-à-dire la conversion de Mlle de Roannez, son entrée en religion.

Effrayée. » Il semble naturel de rapporter cela à la censure prononcée contre Arnauld par la Sorbonne à la fin de janvier 1656 (ce qui donne approximativement la date de cette lettre). Le duc de Roannez était probablement alors avec sa sœur dans son gouvernement de Poitou, et ignorait les détails.

« Rien du tout. » Une telle parole ne peut s'expliquer que par la chaleur de la polémique; c'est l'époque des Provinciales. Il affecte de ne se troubler de rien; il a peur aussi peut-être que ses amis ne se laissent décourager par une défaite. (a) « Le premier enfant qu'elle eut ne reçut point le baptême. Le second vint au monde tout contrefait. Le troisième fut une fille naine qui mourut à l'âge de dix-neuf ans.

Recueil d'Utrecht.

(b) Rectifions ici une faute commise dans la note 1 de la page 405. M. Cousin n'a pas seulement retrouvé et fait connaître la Lettre sur la mort de Pascal le père, il l'a aussi

publiée le premier intégralement.

n'y fait pas pis, puisque les ennemis de la vérité ont le pouvoir et la volonté de l'opprimer. Peut-être êtes-vous de celles qui méritent que Dieu ne l'abandonne pas1, et ne la retire pas de la terre, qui s'en est rendue si indigne; et il est assuré que vous servez à l'Église par vos prières, si l'Église vous a servi par les siennes. Car c'est l'Église qui mérite, avec JÉSUS-CHRIST qui en est inséparable, la conversion de tous ceux qui ne sont pas dans la vérité 2; et ce sont ensuite ces personnes converties qui secourent la mère qui les a délivrées. Je loue de tout mon cœur le petit zèle que j'ai reconnu dans votre lettre pour l'union avec le pape3. Le corps n'est non plus vivant sans le chef, que le chef sans le corps. Quiconque se sépare de l'un ou de l'autre n'est plus du corps, et n'appartient plus à JÉSUS-CHRIST. Je ne sais s'il y a des personnes dans l'Eglise plus attachées à cette unité du corps que ceux que vous appelez nôtres. Nous savons que toutes les vertus, le martyre, les austérités et toutes les bonnes œuvres sont inutiles hors de l'Église, et de la communion du chef de l'Église, qui est le pape. Je ne me séparerai jamais de sa communion, au moins je prie Dieu de m'en faire la grâce; sans quoi je serais perdu pour jamais ".

Je vous fais une espèce de profession de foi, et je ne sais pourquoi; mais je ne l'effacerai pas ni ne recommencerai pas,

2

M, Du Gas 5 m'a parlé ce matin de votre lettre avec autant d'éton

1 « Ne l'abandonne pas. » La vérité.

« Dans la vérité. » C'est-à-dire ici dans la pure doctrine de la Grâce.

3 << Avec le pape. » Mlle de Roannez, toujours en proie aux scrupules et aux incertitudes, avait sans doute été troublée de la crainte que ses amis ne se séparassent du chef de l'Église. Pascal se montre tendre et même impatient sur ce point, où il sent bien qu'est le côté faible du parti. Il y a un peu d'humeur dans sa vive réponse. Le petit zèle, ce n'est pas le peu de zèle, c'est une expression qui avertit Mlle de Roannez de ne pas prendre ce zèle trop au sérieux. Il lui parle comme à un enfant à qui on sait gré d'un bon mouvement, même peu raisonnable. » Pour jamais. » Ainsi dans la xvine Provinciale: « Je n'ai d'attache sur la » terre qu'à la seule Eglise catholique, apostolique et romaine dans laquelle je veux » vivre et mourir, et dans la communion avec le pape, son souverain chef, hors de » laquelle je suis très-persuadé qu'il n'y a point de salut. » C'était donc sans prétendre se séparer de la communion du pape, qu'il écrivait les dures paroles qu'on a lues dans les Pensées, XXIV, 66. De Maistre a relevé fortement cette situation fausse du jansénisme (De l'Eglise gallicane, I, 3 et 9). Cf. Sainte-Beuve, tome III, page 26 et page 157.

5 << M. Du Gas. » Je n'ai trouvé ce nom ni dans le Nécrologe de Cerveau, ni ailleurs. Je suis porté à croire que c'est un faux nom, qui désigne probablement quelqu'un des directeurs de Port Royal, M. Singlin, ou M. de Rebours. Car Pascal n'était point un directeur, et n'avait pas autorité pour cela. C'est un pénitent qui appelle d'autres âmes à la pénitence, et les pousse aux pieds du pasteur. Port Royal était réduit à s'envelopper de mystère en toutes choses. Voici ce qu'on lit dans une

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