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12.

Être brave n'est pas trop vain2; car c'est montrer qu'un grand nombre de gens travaillent pour soi; c'est montrer par ses cheveux qu'on a un valet de chambre, un parfumeur, etc.; par son rabat, le fil, le passement', etc.

Or, ce n'est pas une simple superficie, ni un simple harnais, d'avoir plusieurs bras. Plus on a de bras, plus on est fort. Être brave, est montrer sa force ".

13.

Cela est admirable: on ne veut pas que j'honore un homme vêtu de brocatelle, et suivi de sept ou huit laquais'! Eh quoi! il me fera donner les étrivières, si je ne le salue. Cet habit, c'est une force. C'est bien de même qu'un cheval bien enharnaché, à l'égard d'un autre ! Montaigne est plaisant de ne pas voir quelle différence il y a, et d'admirer qu'on y en trouve, et d'en demander la raison. De vrai, dit-il, d'où vient, etc...

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Être brave.

232. Manque dans P. R. En titre dans le manuscrit, Opinions du peuple saines. Brave, c'est-à-dire bien mis; il est encore pris en ce sens dans le langage populaire.

2 « N'est pas trop vain. » Dans le même sens du mot vain que nous avons vu plusieurs fois (11, 5; 111, 5; iv, 4; v, 2), et tout à l'heure encore; c'est-à-dire n'est pas quelque chose qui soit illusoire, creux, sans valeur.

3 « Le fil, le passement. » C'est montrer par son rabat, par la qualité du fil et du passement, qu'on paye les meilleurs marchands et les meilleurs ouvriers. Voir Mascarille, dans les Précieuses, détaillant tout son ajustement.

vant.

« Un simple harnais.

Voir le passage de Montaigne cité au paragraphe sui

« C'est montrer sa force.» Pascal cherche toujours, comme on voit, la Raison des effets. Le danger de cette analyse savante, c'est qu'en expliquant tout on prétende justifier tout. Tout a sa raison, mais ce n'est pas toujours une bonne raison.

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• « Cela est admirable. » 231. Manque dans P. R. En titre : Raison des effels. Sept ou huit laquais. » Et non sept à huit laquais, comme mettent les édi-. tions. On dit sept à huit, quand il peut y avoir une fraction entre deux.

8 « Les étrivières. » Notre âme imprégnée du sentiment de l'égalité, a peine à supporter aujourd'hui cette amère ironie. Nous souffrons de penser qu'un duc et pair, si Pascal ne l'eût salué, eût pu faire insulter Pascal, sinon lui donner les étrivières. Et encore pourquoi serait-ce là une hyperbole? Voltaire, cinquante ans plus tard, n'a-t-il pas été bâtonné par les gens d'un Rohan?

« De vrai, dit-il. » Pascal, citant de mémoire, ne cite pas exactement; voici le texte de Montaigne, 1, 42, p. 481: « Mais à propos de l'estimation des hommes, >> c'est merveille que, sauf nous, aulcune chose ne s'estime que par ses propres » qualitez nous louons un cheval de ce qu'il est vigoureux et adroict, non de son » harnois; un levrier de sa vistesse, non de son collier; un oyseau de son aile, non » de ses longes et sonnettes [il s'agit d'un oiseau de chasse, d'un faucon]: pourquoy » de mesme n'estimons-nous un homme par ce qui est sien? » etc.

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14.

Le peuple a les opinions1 très-saines : par exemple : 1o D'avoir choisi le divertissement et la chasse plutôt que la poésie 2. Les demi-savants s'en moquent, et triomphent à montrer là-dessus la folie du monde; mais, par une raison qu'ils ne pénètrent pas, on a raison. 2o D'avoir distingué les hommes par le dehors, comme par la noblesse ou le bien le monde triomphe encore à montrer combien cela est déraisonnable; mais cela est très-raisonnable'. 3° De s'offenser pour avoir reçu un soufflet, ou de tant désirer la gloire. Mais cela est très-souhaitable, à cause des autres biens essentiels qui y sont joints. Et un homme qui a reçu un soufflet sans s'en ressentir est accablé d'injures et de nécessités. 4° Travailler pour l'incertain; aller sur la mer; passer sur une planche".

1 « Le peuple a les opinions. » 224. P. R., XXIX. Voir la note sur le paragraphe 2 de cet article.

2 « Plutôt que la poésie. » Je ne pense pas que Pascal veuille dire, plutôt que de faire de la poésie; il ne serait nullement à propos que tout le monde se mêlåt de faire des vers. S'il veut dire seulement, plutôt que d'en lire et d'en écouter, il me semble qu'on doit désirer d'être capable du plus grand nombre de plaisirs possibles; et que les esprits délicats, qui par-dessus celui des divertissements, ont encore celui de la poésie, sont dans une meilleure condition que d'autres qui n'y seraient pas sensibles. Mais ceux qui voudraient qu'on ne s'amusat jamais qu'à lire des vers seraient des pédants. Je ne sais à qui Pascal en veut dans ce passage; mais Voltaire s'est senti attaquer dans sa vanité de poëte (genus irritabile vatum), et s'emporte vivement en cet endroit. Il a d'ailleurs raison de dire que le vulgaire ne choisit pas; il prend ce qu'il peut.

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3 « Est très-raisonnable. » Cf. 6 et 43. P. R. s'arrête ici. Pascal a mis après coup en cet endroit la note suivante : Cannibales se rient d'un enfant roi. C'est encore un souvenir de Montaigne (1, 30, p. 73), qui raconte que des sauvages, présentés à la cour de Charles IX, dirent qu'ils trouvoient en premier lieu fort estrange que tant de grands hommes portant barbe, forts et armez, qui estoient autour du roy (il est vraisemblable qu'ils parloient des Souisses de sa garde), se soubmissent à obeir à un enfant, et qu'on ne choisissoit plustost quelqu'un d'entre eulx pour commander.

4 « Sans s'en ressentir. » P. R. a craint de publier cette pensée, qui semble autoriser le préjugé du duel, et favoriser ces condescendances coupables à l'esprit du monde, si énergiquement combattues dans les Provinciales (voir la quatorzième). Mais Pascal réserve toujours l'autorité de la religion.-Remarquons au reste que du temps même de Pascal, un ecclésiastique, un magistrat, pouvait ne pas se ressentir d'un soufflet, de la façon dont il l'entend, sans être accablé d'injures et de misères. Et il n'est pas bien difficile de concevoir un état de société où il en serait de même de tout citoyen.

5 Travailler pour l'incertain. » Cf. 9, et XXIV, 88.

6 « Passer sur une planche. » Pascal veut dire, je pense, qu'il y a aussi une bonne raison à la répugnance qu'on éprouve à marcher sur une planche au-dessous de laquelle est le vide, même quand elle est plus large qu'il ne faut. Cf. 111, 3.

15.

C'est un grand avantage1 que la qualité, qui, dès dix-huit ou vingt ans, met un homme en passe 2, connu et respecté, comme un autre pourrait avoir mérité à cinquante ans : c'est trente ans' gagnés sans peine.

16.

N'avez-vous jamais vu des gens qui, pour se plaindre du peu d'état que vous faites d'eux, vous étalent l'exemple de gens de condition qui les estiment? Je leur répondrais à cela: Montrez-moi le mérite par où vous avez charmé ces personnes, et je vous estimerai de même.

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17.

5

Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir? Non; car il ne pense pas à moi en particulier. Mais celui qui aime une personne à cause de sa beauté, l'aime-t-il? Non; car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on, moi? Non; car je puis perdre ces qualités sans me perdre, moi. Où est donc ce мor', s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme? Et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le mor, puisqu'elles sont périssables? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement

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« C'est un grand avantage. » 397. P. R., XXIX.

« Met un homme en passe.» Terme emprunté à certains jeux. Etre en passe, signifie être en mesure de faire passer sa boule ou sa bille par ce qu'on appelle la passe. D'où figurément, être en mesure d'arriver aux emplois, aux honneurs.

3 « C'est trente ans. » Que cette façon de réduire la qualité à un chiffre est originale! Et quand on pense à ce que c'est que trente ans dans la vie, quelle amertume dans cette réflexion, pour l'homme supérieur qui pourrait mériter!

4a N'avez-vous jamais vu. » 440. P. R., XXIX. P. R. écrit, Il y a des gens, effaçant toujours scrupuleusement les formes dramatiques.

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5 « Un homme qui se met à la fenêtre. » Manque dans P. R. Ce fragment, conservé dans la Copie, ne se trouve plus dans l'autographe.

6 « Et si on m'aime. » Remarquer la progression; le jugement, l'intelligence, semble encore plus inséparable de la personne que la beauté.

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7 « Où est donc ce MO1?» Il est dans un ensemble, et non dans telle ou telle partie qu'on peut détacher.

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des qualités1. Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées.

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18.

Les choses qui nous tiennent le plus, comme de cacher son peu de bien, ce n'est souvent presque rien. C'est un néant que notre imagination grossit en montagne. Un autre tour d'imagination nous le fait découvrir sans peine.

19.

... C'est l'effet de la force 5, non de la coutume; car ceux qui sont capables d'inventer sont rares; les plus forts en nombre ne veulent que suivre, et refusent la gloire à ces inventeurs qui la cherchent par leurs inventions. Et s'ils s'obstinent à la vouloir obtenir, et mépriser ceux qui n'inventent pas, les autres leur donneront des noms ridicules, leur donneraient des coups de bâton '. Qu'on ne se

1 « Mais seulement des qualités. » C'est réaliser des abstractions; il n'existe pas de qualités séparées des choses.

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« Qu'on ne se moque donc plus. » Cet alinéa donne le sens de tout le reste, et montre où Pascal voulait en venir. Il a uni dans cette pensée, comme dans plusieurs autres, une logique d'une force et d'une subtilité merveilleuses avec un sentiment faux de ce qui est. Quelle analogie entre des charges et des honneurs, et les qualités de la figure ou de l'esprit? L'hommage qu'on rend aux dignités se détache de la personne avec les dignités elles-mêmes, et passe à une autre; mais quand on aime quelqu'un pour sa beauté, on ne peut la séparer de lui; on n'aime peut-être pas la personne sans la beauté, mais on n'aime pas non plus la beauté dans une autre per. sonne. Il y a là une étrange méprise, à laquelle Pascal a été conduit par l'envie de trouver en tout ce qu'il appelle la raison des effets, c'est-à-dire la raison des préjugés.

3 Les choses qui nous tiennent. » 442. P. R., XXIX.

4 « Nous le fait découvrir. » C'est-à-dire nous fait découvrir que c'est un néant. 5 « C'est l'effet de la force.» 444. P. R. xxxI. P. R. commence à, ceux qui sont capables. Ce qui précède se rapporte à quelque chose qui manque; mais on voit qu'il s'agit de la difficulté qu'il y a à produire des nouveautés, difficulté qui ne vient pas seulement de la coutume que les nouveautés ont contre elles.

• « Des coups de bâton. » P. R. épargne au sage ces coups de bâton, qui ne sont pourtant qu'au conditionnel, et met seulement, On les traite de visionnaires. P. R. fait comme Sosie:

Pour des injures,

Dis-m'en tant que tu voudras.

Mais Pascal n'a pas peur de se figurer les penseurs maltraités grossièrement par la force brutale. Cf. 43. C'est ainsi que Platon nous représente le philosophe souffleté par le méchant (Gorgias, pages 486, 527). Remarquez qu'après avoir parlé de noms ridicules, visionnaires serait bien faible.

pique donc pas de cette subtilité', ou qu'on se contente en soimême 2.

ARTICLE VI.

1.

Toutes les bonnes maximes' sont dans le monde ; on ne manque qu'à les appliquer. Par exemple, on ne doute pas qu'il ne faille exposer sa vie pour défendre le bien public, et plusieurs le font; mais pour la religion, point *.

Il est nécessaire qu'il y ait de l'inégalité parmi les hommes, cela est vrai; mais cela étant accordé, voilà la porte ouverte nonseulement à la plus haute domination, mais à la plus haute tyrannie. Il est nécessaire de relâcher un peu l'esprit; mais cela ouvre la porte aux plus grands débordements. Qu'on en marque les limites. Il n'y a point de bornes dans les choses: les lois y en veulent mettre, et l'esprit ne peut le souffrir.

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2.

La raison nous commande' bien plus impérieusement qu'un maître car en désobéissant à l'un on est malheureux, et en désobéissant à l'autre on est un sot'.

1 « De cette subtilité. » De cette subtilité qui fait les inventeurs, qui fait qu'on secoue l'opinion commune.

2 « Qu'on se contente en soi-même. » C'est-à-dire qu'on se satisfasse dans son for intérieur, dans la conscience qu'on a de son génie, sans essayer de le produire au dehors.

3 « Toutes les bonnes maximes. » 444. P. R., XXIX.

« Mais pour la religion, point. » Plainte d'un janséniste, d'un sectaire, qui accuse le monde de ne pas se sacrifier pour ce qu'il regarde comme la vraie et pure foi. 5 « Il est nécessaire qu'il y ait. » 441. Manque dans P. R.

« Il n'y a point de bornes. Horace a dit tout le contraire: Est modus in rebus. A la rigueur, le corps non plus ne peut souffrir de bornes (comment fixer absolument la mesure du marcher, du manger? etc.). Cependant nous lui en fixons tous les jours. Il est donc possible d'en fixer aussi dans les choses de l'esprit, et Horace a eu raison.

« La raison nous commande. » 270. Manque dans P. R. A-t-on eu peur de l'esprit d'indépendance qui est dans cette pensée?

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8 « On est un sot. Combien ce tour est piquant! On attend ce qui peut être pire que d'être malheureux, et on trouve que c'est d'être un sot; et on s'en étonne d'abord, et à la réflexion on sent que cela est juste. Voir le petit conte de Voltaire, le bon Bramin.

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