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vous l'avoue; car pour Monfieur votre Vicomte, quoique Vicomte de province, c'est toujours un Vicomte, & il peut faire un voyage à Paris, s'il n'en a point fait; mais un confeiller & un receveur font des amans un peu bien minces, pour une grande Comteffe comme vous.

LA COMTESSE. Ce font gens qu'on menage dans les provinces pour le befoin qu'on en peut avoir; ils fervent au moins à remplir les vuides de la galanterie, à faire nombre de foupirans. Il eft bon, Madame, de ne pas laiffer un amant feul maître du terrain; de peur que, faure de rivaux, fon amour ne s'endorme fur trop de confiance.

JULIE.

Je vous avoue, Madame, qu'il y a merveilleusement à profiter de tout ce que vous dites; c'eft une école que votre converfation, & j'y viens tous les jours apprendre quelque chofe.

SCENE

XII.

LA COMTESSE, JULIE, ANDRÉE,

V

CRIQUET.

CRIQUET à la Comteffe.

OILA Jeannot de Monfieur le Conseiller qui vous demande, Madame.

LA COMTESSE.

Hé bien, petit coquin, voilà encore une de vos âneries. Un laquais qui fauroit vivre, auroit été parler tout bas à la Demoiselle fuivante, qui feroit venue dire doucement à l'oreille de fa maîtreffe: Madame, voilà le laquais de Monfieur un tel, qui demande à vous dire un mot; à quoi la maîtreffe auroit répondu, faites-le entrer.

SCENE XIII.

LA COMTESSE, JULIE, ANDRÉE, CRIQUET, JEANNOT.

CRIQUET.

ENTREZ, Jeannot.

LA COMTESSE.
(à Jeannot.)

Autre lourderie. Qu'y a-t-il, laquais? Que portes tu-là ?

JEANNO T.

C'eft Monfieur le Confeiller, Madame, qui vous fouhaite le bon jour, & auparavant que de venir, vous envoie des poires de fon jardin, avec ce petit mot d'écrit.

LA COMTESSE.

C'est du bon-chrétien, qui eft fort beau. Andrée; faites porter cela à l'office.

SCENE

XIV.

LA COMTESSE, JULIE, CRIQUET,

JEANNOT.

LA COMTESSE donnant de l'argent à Jeannot.

Tien, mon enfant, voilà pour boire.

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JEANNOT.

Mon maître m'a défendu, Madame, de rien prendre de vous.

LA COMTESSE.

Cela ne fait rien.

Pardonnez-moi, Madame.

JEANNOT.

CRIQUET.

Hé, prenez, Jeannot. Si vous n'en voulez pas, vous me le baillerez.

LA COMTESSE.

Dis à ton maître que je le remercie.

CRIQUET à Jeannot qui s'en va.

Donnez-moi donc cela.

JEANNOT.

Oui? Quelque for!

CRIQUET.

C'est moi qui te l'ai fait prendre.

JEANNO T.

Je l'aurois bien pris fans toi.

LA COMTESSE.

Ce qui me plaît de ce Monfieur Tibaudier, c'eft qu'il fait vivre avec les perfonnes de ma qualité, & qu'il eft fort refpectueux.

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LE VICOMTE, LA COMTESSE, JULIE, CRIQUET.

LE VICOMTE.

MADAME, je viens vous avercir que la comédie

fera bien-tôt prête; & que dans un quart d'heure, nous pouvons paffer dans la falle.

LA COMTESSE.

LA COMTESSE.

(à Criquet.)

Je ne veux point de cohue au moins. Que l'on dife à mon Suiffe qu'il ne laifle entrer perfonne,

LE VICOMTE.

En ce cas, Madame, je vous déclare que je renonce à la comédie; & je n'y faurois prendre de plaifir, lorfque la compagnie n'est pas nombreufe. Croyezmoi, fi vous voulez vous bien divertir, qu'on dife à vos gens de laiffer entrer toute la ville.

LA COMTESSE.

(au Vicomte, après qu'il s'eft affis.) Laquais, un fiége. Vous voilà venu propos pour recevoir un petit facrifice que je veux bien vous faire. Tenez, c'est un billet de Monfieur Tibaudier, qui m'envoie des poires. Je vous donne la liberté de le lire tout haut; je ne l'ai point encore vu.

LE VICOMTE après avoir lu tout bas le billet. Voici un billet du beau ftyle, Madame,, & qui mérite d'être écouté.

MADAME, je n'aurois pas pu vous faire le pré

fent que je vous envoie, fi je ne recueillois pas plus de' fruit de mon jardin, que j'en recueille de mon amour. LA COMTESSE.

Cela vous marque clairement qu'il ne fe paffe riem

entre nous.

LE VICOMTE.

Les poires ne font pas encore bien mûres, mais elles en' quadrent mieux avec la dureté de votre ame, qui, par fes continuels dédains, ne me promet pas poires molles. Trouvez bon, Madame, que fans m'engager dans une Enumération de vos perfections & charmes, qui me jetteroit dans un progrès à l'infini, je conclue ce mot, en yous faifant confidérer que je fuis d'un auffi franc chrétien que les poires que je vous envoie, puifque je rens le bien pour le mal; c'est-à-dire, Madame, pour m'ex Tome VILL

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pliquer plus intelligiblement, puifque je vous préfente des poires de bon-chrétien, pour des poires d'angoiffe que vos cruautés me font avaler tous les jours.

TIBAUDIER Votre efclave indigne. Voilà, Madame, un billet à garder.

LA COMTÉSSE.

Il y a peut-être quelque mot qui n'eft pas de l'académie; mais j'y remarque un certain respect qui me plaît beaucoup.

JULIE,

Vous avez raifon, Madame ; &, Monfieur le Vicomte dût-il s'en offenfer, j'aimerois un homme qui m'écriroit comme cela.

SCENE X V I.

M. TIBAUDIER, LE VICOMTE, LA COMTESSE, JULIE,

CRIQUET.

LA COMTESSE.

APPROCH

PPROCHEZ, Monfieur Tibaudier, ne craignez point d'entrer. Votre billet a été bien reçu, auffibien que vos poires ; & voilà Madame qui parle pour vous contre votre rival.

M. TIBAUDIER.

Je lui fuis bien obligé, Madame; &, si elle a jamais quelque procès en notre fiége, elle verra que je n'oublierai pas l'honneur qu'elle me fait, de fe rendre auprès de vos beautés l'avocat de ma flamme.

JULIE.

Vous n'avez pas befoin d'avocat, Monfieur, & votre caufe eft jufte.

M. TIBAUDIER.

Ce néanmoins, Madame, bon droit a befoin d'aide & j'ai fujet d'appréhender de me voir fupplanté par

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