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ils n'y trouvoient rien que ce qu'ils avoient coutume de trouver dans les compagnies ordinaires. C'eft le grand art de la comédie de s'attacher à la nature, & de n'en fortir jamais; d'avoir des fentimens communs, & des expreffions qui foient à la portée de tout le monde. Car il faut bien se mettre dans l'efprit, que les traits les plus groffiers de la nature, quels qu'ils foient, plaifent toujours da vantage que les traits les plus délicats qui font hors du naturel. Néanmoins les termes bas & vulgaires ne doivent pas être permis fur le théatre, s'ils ne font foutenus de quelque forte d'efprit. Les proverbes & les bons mots du peuple n'y doivent pas auffi être foufferts, s'ils n'ont quelque fens plaifant, & s'ils ne font naturels, Voilà le principe le plus naturel de la comédie; par là tout ce qu'elle repré fente ne peut manquer de plaire; & fans cela rien ne plaît. Ce n'eft qu'en s'attachant à la nature, qu'on parvient à exprimer la vraifemblance, qui eft le feul guide infaillible qu'on puiffe fuivre au théatre. Sans la vraisemblance tout eft défectueux; avec elle tout eft beau, on ne s'égare jamais en la fuivant ; & les défauts les plus ordinaires de la comédie viennent de ce que les bienféances n'y font pas gardées, ni les incidens affez préparés. Il faut même bien prendre garde que les couleurs dont on fe fert pour préparer les incidens, n'ayent rien de groffier, pour laiffer au spectateur le plaifir de trouver lui-même ce qu'el

les fignifient. Mais le foible le plus ordinaire de nos comédies, eft le dénouement; on n'y réuffit prefque jamais, par la difficulté qu'il y a à dénouer heureufement ce qu'on a noué. Il eft aifé de lier une intrigue, c'eft l'ouvrage de l'imagination; mais le dénouement est tout pur du jugement; c'eft ce qui en rend le fuccès difficile ; & fi l'on veut y faire un peu de réflexion, on trouvera que le défaut le plus univerfel des comédies eft que la cataftrophe n'en eft pas naturelle.

Il reste à examiner fi l'on peut faire dans la comédie des images plus grandes que le naturel, pour toucher davantage l'efprit des fpectateurs par de plus grands traits, & par des impreffions plus fortes: c'est-à-dire, fi le poëte peut faire un avare plus avare, & un fâcheux plus impertinent & plus incommode qu'il n'eft ordinairement. A quoi je répons que Plaute, qui vouloit plaire au peuple, l'a fait ainfi ; mais Térence, qui vouloit plaire aux honnêtes gens, fe renfermoit dans les bornes de la nature, & il représentoit les vices fans les groffir & fans les augmenter. Toutefois ces caracteres outrés, comme celui du Bourgeois Gentilhomme & du Malade imaginaire de Moliere, n'ont pas laiffé de réuffir depuis peu à la Cour, où l'on eft fi délicat mais tout y eft bien reçu, jufqu'aux divertiffemens de province, quand ils ont quelque air de plaifanterie; on y aime à rire plus qu'à admirer. Ce font-là les régles les

plus importantes de la comédie; voici ceux qui y ont réuffi.

Les principaux parmi les Grecs font Ariftophane & Ménandre; les principaux parmi les Latins font Plaute & Térence. Ariftophane n'est point exact dans l'ordonnance de fes fables; fes fictions ne font pas affez vraifemblables, il joue les gens groffiérement, & trop à découvert : Socrate, qu'il raille fi fort dans fes comédies, avoit un air de raillerie plus délicat que lui, & il n'étoit pas fi effronté. Il eft vrai qu'Ariftophane écrivoit encore dans le defordre & dans la licence de la vieille comédie, & qu'il avoit reconnu l'humeur du peuple d'Athenes, qui fe choquoit aifément du mérite des gens extraordinaires, dont il plaifantoit: mais la trop grande envie qu'il avoit de plaire à ce peuple en jouant les honnêtes gens, le rendit lui-même un malhonnête homme, & gâta un peu le génie qu'il avoit de railler, par des manieres rudes & outrées. Après tout, il ne faifoit fouvent le plaifant que par des goinfreries: ce ragoût compofé de feptante fix fyllabes dans la derniere fcene de la comédie des harangueules, ne fe roit pas au goût de notre fiécle. Son langage eft quelquefois obscur, embarraffé, bas, trivial; & fes allufions fréquentes de mots, fes contradictions de termes oppofés les uns aux autres, fes mêlanges de ftyle, du tragique & du comique, du férieux & du bouffon, du grave & du familier, font fades ; & ses plai

fanteries, à les examiner de près, font fou vent fauffes. Ménandre eft plaifant d'une maniere plus honnête; fon ftyle eft pur, net élevé, naturel; il perfuade en orateur, & il inftruit en philofophe; & fi l'on peut former un jugement jufte fur les fragmens qui nous reflent de cet auteur, on trouvera qu'il fait des portraits fort agréables de la vie civile ; qu'il fait parler les gens dans leurs caracteres ; qu'o u'on fe reconnoît dans les peintures qu'il fait des mœurs, parce qu'il s'attache à la nature, & entre dans les fentimens des perfonnes qu'il fait parler. Enfin Plutarque, dans la comparailon qu'il a faite de ces deux auteurs, dit que la Mufe d'Ariftophane reffemble à une femme effrontée, & celle de Ménandre reffemble à une honnête femme. Pour les deux poëtes comiques Latins, Plaute eft ingénieux dans fes deffeins, heureux dans fes imaginations, fertile dans l'invention: il ne laiffe pas que d'avoir de méchantes plaifanteries au goût d'Horace; & fes bons mots, qui faifoient rire le peuple, faifoient quelquefois pitié aux honnêtes gens; il eft vrai qu'il en dit des meilleures du monde, mais il en dit fouvent de fort méchantes; c'est à quoi on eft fujet, quand on veut trop faire le plaifant; on tâche à faire rire par des expreffions outrées, & par des hyperboles, quand on ne peut pas réuffir à faire rire par les chofes, Plaute n'eft pas tout-à-fait fi régulier dans l'ordonnance de fes piéces, ni dans la diftri

bution de fes actes, que Térence; mais il eft auffi plus fimple dans fes fujets car les fa bles de Térence font d'ordinaire compofées, comme on voit dans l'Andrienne, qui contient deux amours. C'est ce qu'on repréfen toit à Térence, qu'il faifoit une comédie Latine de deux Grecques, pour animer davantage fon théatre; mais auffi les dénouemens de Térence font plus naturels que ceuxde Plaute, comme ceux de Plaute font plus naturels que ceux d'Aristophane; & quoique Céfar appelle Térence un diminutif de Ménandre, parce qu'il n'a que de la douceur & de la délicateffe, & qu'il n'a pas de force & de vigueur; il a écrit d'une maniere & fi naturelle & fi judicieufe, que de copie qu'il étoit, il eft devenu original: car jamais auteur n'a eu un goût plus pur de la nature. Je ne dirai rien de Cécilius, dont il ne nous eft refté que des fragmens: on fait de lui tout au plus ce qu'en dit Varron : qu'il étoit heureux dans les fujets qu'il prenoit. Mais jamais perfonne n'a eu un génie plus grand pour la comédie que Lopez de Vega, Efpagnol: il avoit une fertilité d'efprit jointe à une grande beauté de naturel, & à une facilité admirable car il a compofé plus de trois cens comédies; fon feul nom faifoit l'éloge de fes piéces, tant fa réputation étoit établie ; & c'étoit affez qu'un ouvrage forrit de fes mains, pour mériter l'approbation du public. Il avoit l'efprit trop vafte pour l'affujettir à des re

V. iiij

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