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tion doncques ne consiste pas à n'avoir point d'amitié, mais à n'en avoir point que de bonne, de saincte et de sacrée.

CHAPITRE XIX.

De la difference des vrayes et des vaines amiticz.

Voicy doncques le grand advertissement, ma Philotée le miel d'Heraclee, qui est si veneneux ressemble à l'autre qui est si salutaire; il y a grand danger de prendre l'un pour l'autre, ou de les prendre meslez; car la bonté de l'un n'empescheroit pas la nuisance de l'autre. Il faut estre sur sa garde pour n'estre point trompé en ces amitiez, notamment quand elles se contractent entre personnes de divers sexe, sous quel pretexte que ce soit; car bien souvent Satan donne le change à ceux qui ayment. On commence par l'amour vertueux, mais si on n'est fort sage, l'amour frivole se meslera, puis l'amour sensuel, puis l'amour charnel: ouy mesine il y a danger en l'amour spirituel, si on n'est fort sur sa garde, bien qu'en cestuy-cy il soit plus difficile de prendre le change, parce que sa pureté et blancheur rendent plus cognoissables les soüilleures que Satan y veut mesler; c'est pourquoy quand il l'entreprend, il fait cela plus finement, et essaye de glisser les impuretez presque insensiblement.

Vous cognoistrez l'amitié mondaine d'avec la

saincte et vertueuse, comme l'on cognoist le miel d'Heraclée d'avec l'autre le miel d'Heraclée est plus doux à la langue que le miel ordinaire, à raison de l'aconit qui luy donne un surcroist de douceur, et l'amitié mondaine produit ordinairement un grand amas de paroles emmiellées, une cajolerie de petits mots passionnez, et de loüanges tirées de la beauté, de la grace et des qualitez sensuelles; mais l'amitié sacree a un langage simple et franc, ne peut louer que la vertu et grace de Dieu, unique fondement sur lequel elle subsiste. Le miel d'Heraclée estant avalé excite un tournoyement de teste; et la fausse amitié provoque un tournoyement d'esprit, qui faict chanceler la personne en la chasteté et devotion, la portant à des regards affectez, mignards et immoderez, à des caresses sensuelles, à des soupirs desordonnez, à des petites plaintes de n'estre pas aymé, à des petites, mais recherchées, mais attrayantes contenances, galanteries, poursuite de baisers et autres privautez et faveurs inciviles, presages certains et indubitables d'une prochaine ruine de l'honnesteté ; mais l'amitié saincte n'a des yeux que simples et pudiques, ny des caresses que pures et franches, ny des souspirs que pour le ciel, ny des privautez que pour l'esprit, ny des plaintes, sinon quand Dieu n'est pas aymé, marques infaillibles. de l'honnesteté. Le miel d'lleraclée trouble la veüe, et cette amitié mondaine trouble le jugement, en sorte que ceux qui en sont atteints pensent bien

faire en mal-faisant, et cuident que leurs excuses, pretextes et paroles soient des vraies raisons. Ils craignent la lumiere, et ayment les tenebres; mais l'amitié saincte a les yeux clair-voyans, et ne se cache point, ains paroist volontiers devant les gens de bien. Enfin le miel d'Heraclée donne une grande amertume en la bouche: ainsi les fausses amitiez se convertissent et terminent en paroles et demandes coupables; ou en cas de refus, à des injures, calomnies, impostures, tristesses, confusions et jalousies, qui aboutissent bien souvent en abrutissement et forcenerie : mais la chaste amitié est toujours esgalement honneste, civile et amiable, et jamais ne se convertit qu'en une plus parfaicte et pure union d'esprit, image vive de l'amitié bien-heureuse que l'on exerce au ciel.

Les jeunes gens qui font des contenances, grimaces et caresses, ou disent des paroles esquelles ils ne voudroyent pas estre surprins par leurs peres, meres, ou confesseurs, tesmoignent en cela qu'ils traitent d'autre chose que de l'honneur et de la conscience. Nostre-Dame se trouble voyant un ange en forme humaine, parce qu'elle estoit seule, et qu'il luy donnoit des extremes, quoy que celestes loüanges. O Sauveur du monde! la pureté craint un ange en forme humaine, et pourquoy doncques l'impureté ne craindra-t'elle un homme, encore qu'il fust en figure d'ange, quand il la loüe des loüanges sensuelles et humaines?

CHAPITRE XX.

Advis et remedes contre les mauvaises amitiez.

Mais quels remedes contre cette engeance et formilliere de mauvaises amitiez? Soudain que vous en aurez les premiers ressentimens, tournez vous court de l'autre costé, et avec une detestation absoluë de cette vanité, courez à la croix du Sauveur, et prenez sa couronne d'espines pour en environner vostre cœur, à fin que ces petits renardeaux n'en approchent, Gardez bien de venir à aucune sorte de composition avec cet ennemy, ne dites pas : Je l'escouteray, mais je ne feray rien de ce qu'il me dira; je luy presteray l'oreille, mais je luy refuseray le cœur. O ma Philotée, pour Dieu ! soyez rigoureuse en telles occasions le cœur et les oreilles s'entretiennent l'un à l'autre, et comme il est impossible d'empescher un torrent qui a pris sa descente par le pendant d'une montagne, aussi est-il difficile d'empescher que l'amour qui est tombé en l'oreille, ne fasse soudain sa cheute dans le cœur. Les chevres, selon Alcmeon, haleinent par les oreilles, et non par les nazeaux; il est vray qu'Aristote le nie or ne sçay-je ce que c'en est ; mais je sçay bien pourtant que nostre cœur haleine par l'oreille, et que comme il aspire et exhale ses pensées par la langue, il respire aussi par l'oreille,

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par laquelle il reçoit les pensées des autres. Gardons donc soigneusement nos oreilles de l'air des folles parolles : car autrement soudain nostre cœur en seroit empesté. N'escoutez nulle sorte de propositions sous quel pretexte que ce soit; en ce seul cas il n'y a point de danger d'estre incivile et aggreste.

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Ressouvenez-vous que vous avez voüé vostre cœur à Dieu, et que vostre amour luy est sacrifié ce seroit donc un sacrilege de luy en oster un seul brin sacrifiez-le luy plustost derechef par mille resolutions et protestations, et vous tenant entre icelles, comme un cerf dans son fort, reclamez Dieu, il vous secourera, et son amour prendra le vostre en sa protection, à fin qu'il vive uniquement pour luy.

Que si vous estes dejà prise dans les filets de ces folles amitiés, ô Dieu, quelle difficulté de vous en desprendre! mettez-vous devant sa divine Majesté, cognoissez en sa presence la grandeur de vostre misere, vostre foiblesse et vanité, puis avec le plus grand effort de cœur qu'il vous sera possible, detestez ces amitiez commencées, abjurez la vaine profession que vous en avez faite, renoncez à toutes les promesses receuës; et d'une grande et tres-absoluë volonté, arrestez en vostre cœur et vous resolvez de ne jamais plus rentrer en ces jeux et entretiens.

Si vous pouviez vous esloigner de l'object, je l'approuverois infiniment; car comme ceux qui

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