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ticipe à leurs qualitez. Les bourdons seuls ne peuvent point faire du miel; mais avec les abeilles ils s'aydent à le faire. C'est un grand advantage pour nous bien exercer à la devotion, de converser avec les ames devotes.

En toutes conversations la naïfveté, simplicité, douceur et modestie sont tousjours preferées : il y a des gens qui ne font nulle sorte de contenance ny de mouvement, que avec tant d'artifice que chascun en est ennuyé. Et comme celuy qui ne voudroit jamais se pourmener qu'en contant ses pas, ny parler qu'en chantant, seroit fascheux au reste des hommes, ainsi ceux qui tiennent un maintien artificieux, et qui ne font rien qu'à cadence, importunent extresmement la conversation et en cette sorte de gens il y a tousjours quelque espece de présomption. Il faut pour l'ordinaire qu'une joye moderée predomine en nostre conversation. S. Romüal et S. Anthoine sont extresmement loiiez, dequoy, nonobstant toutes les austeritez, ils avoient la face et les paroles ornées de joye, gayeté et civilité. « Rejoüissez-vous « avec les joyeux; » je vous dis encore une fois avec l'apostre : « Soyez tousjours joyeuse, mais «<en Nostre-Seigneur, et que vostre modestie pa«roisse à tous les hommes. » Pour vous resjouir en Notre Seigneur, il faut que le subjet de vostre joye soit non seulement loisible, mais honneste: ce que je dis, parce qu'il y a des choses loisibles qui pourtant ne sont pas honnestes; et afin que

vostre modestie paroisse, gardez-vous des insolences, lesquelles sans doute sont tousjours reprehensibles. Faire tomber l'un, noircir l'autre, picquer le tiers, faire du mal à un fol, ce sont des risées et joyes sottes et insolentes.

Mais tousjours outre la solitude mentale, à laquelle vous vous pouvez retirer emmy les plus grandes conversations, ainsi que j'ay dit cy-dessus, vous devez aymer la solitude locale et reeile, non pas pour aller ès deserts, comme Ste Marie Egyptienne, S. Paul, S. Anthoine, Arsenius et les autres Peres solitaires; mais pour estre quelque peu en vostre chambre, en vostre jardin, et ailleurs, où plus à souhait vous puissiez tirer vostre esprit en vostre cœur, et recréer vostre ame par des bonnes cogitations et sainctes pensées, ou par un peu de bonne lecture, à l'exemple de ce grand evesque Nazianzene, qui parlant de soy-mesme: « Je me pourmenois, dit-il, moy-mesme avec « moy-mesme sur le soleil couchant, et passois le « temps sur le rivage de la mer, car j'ay accous<< tumé d'user de cette recreation pour me relas« cher et secouer un peu des ennuis ordinaires. » Et là dessus il discourt de la bonne pensée qu'il fit, que je vous ay recitée ailleurs et à l'exemple encore de S. Ambroise, duquel parlant S. Augustin, il dit que souvent estant entré en sa chambre (car on ne refusoit l'entrée à personne) il le regardoit lire, et apres avoir attendu quelque temps, de peur de l'incommoder, il s'en retour

noit sans mot dire, pensant que ce peu de temps qui restoit à ce grand pasteur pour revigorer et recréer son esprit, apres le tracas de tant d'affaires, ne luy devoit pas estre osté. Aussi apres que les apostres eurent un jour raconté à Nostre-Seigneur comme ils avoient presché et beaucoup fait : « Venez, leur dit-il, en la solitude, et vous y << reposez un peu. »

CHAPITRE XXIV.

De la bien-seance des habits.

S. Paul veut que les femmes devotes (il en faut autant dire des hommes) soient revestues d'habits bien-seants, se parant avec pudicité et sobrieté. Or la bien-seance des habits et autres ornemens depend de la matiere, de la forme, et de la netteté. Quant à la netteté, elle doit presque tousjours estre egale en nos habits, sur lesquels tant qu'il est possible, nous ne devons laisser aucune sorte de soüillure et villenie. La netteté exterieure represente en quelque façon l'honnesteté interieure. Dieu mesme requiert l'honnesteté corporelle en ceux qui s'approchent de ses autels, et qui ont la charge principale de la devotion.

Quant à la matiere et à la forme des habits, la bien-seance se considere par plusieurs circonstances, du temps, de l'age, des qualitez, des compagnies, des occasions. On se pare ordinaire

ment mieux ès jours de feste selon la grandeur du jour qui se celebre. En temps de penitence comme en caresme, on se demet bien fort; aux nopces on porte les robes nuptiales et aux assemblées funebres les robes de deuil; aupres des princes on rehausse l'estat, lequel on doit abbaisser entre les domestiques.

Soyez propre, Philotée, qu'il n'y ait rien sur vous de traînant et mal agencé. C'est un mespris de ceux avec lesquels on converse, d'aller entr'eux en habit desagreable; mais gardez-vous bien des affaiteries, vanitez, curiositez, et folastreries. Tenez-vous tousjours tant qu'il vous sera possible du costé de la simplicité et modestie, qui est sans doute le plus grand ornement de la beauté, et la meilleure excuse pour la laideur. S. Pierre advertit principalement les jeunes femmes de ne porter point leurs cheveux tant crespez, frisez, annellez et serpentez. Les hommes qui sont si lasches que de s'amuser à ces mugueteries, sont par tout descriez. Et les femmes vaines sont tenuës pour imbecilles en chasteté, au moins si elles en ont, elle n'est pas visible parmi tant de fatras et bagatelles. On dit qu'on n'y pense pas mal; mais je replique comme j'ay fait ailleurs que le diable y en pense tousjours. Pour moy je voudrois que mon devot et ma devote fussent tousjours les mieux habillez de la troupe, mais les moins pompeux et affaitez; et comme il est dit au proverbe, qu'ils fussent parez de grace, bien-seance

et dignité. S. Louys dit en un mot que l'on se doit vestir selon son estat, en sorte que les sages et bons ne puissent dire : Vous en faictes trop; ny les jeunes gens: Vous en faictes trop peu. Mais en cas que les jeunes ne se vueillent pas contenter de la bien-scance, il se faut arrester à l'advis des sages.

CHAPITRE XXV.

De parler, et premierement comme il faut parler de Dieu.

Les medecins prennent une grande cognoissance de la santé ou maladie d'un homme par l'inspection de sa langue, et nos paroles sont les vrays indices des qualitez de nos ames: « Par tes pa« roles, » dit le Sauveur, « tu seras justifié, et « par tes paroles tu seras condamné. » Nous portons soudain la main sur la douleur que nous sentons, et la langue sur l'amour que nous avons.

Si donc vous estes bien amoureuse de Dieu, Philotée, vous parlerez souvent de Dieu ès devis familiers que vous ferez avec vos domestiques, amys et voisins. Ouy; car « la bouche du juste « meditera la sapience, et sa langue parlera du ju«gement. » Et comme les abeilles ne demeslent autre chose que le miel avec leur petite bouchette, ainsi vostre langue sera toujours emmiellée de son Dieu, et n'aura point de plus grande suavité que de sentir couler entre vos levres des loüanges et benedictions de son nom, ainsi qu'on dit de

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