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S. François qui prononçant le sainct nom du Seigneur, sucçoit et lechoit ses levres, comme pour en tirer la plus grande douceur du monde.

Mais parlez tousjours de Dieu, comme de Dieu, c'est à dire reveremment et dévotement: non point faisant la suffisante ny la prescheuse, mais avec l'esprit de douceur, de charité et d'humilité, distillant autant que vous sçavez (comme il est dit de l'Espouse au Cantique des Cantiques) le miel delicieux de la devotion et des choses divines, goutte à goutte, tantost dedans l'aureille de l'un, tantost dedans l'aureille de l'autre ; priant Dieu au secret de vostre ame, qu'il lui plaise de faire passer cette saincte rosée jusques dans le cœur de ceux qui vous escoutent.

Sur tout il faut faire cet office angelique doucement et souëfvement, non point par maniere de correction, mais par maniere d'inspiration; car c'est merveille combien la suavité et amiable proposition de quelque bonne chose est une puissante annonce pour attirer les cœurs.

Ne parlez donc jamais de Dieu, ny de la devotion par maniere d'acquit et d'entretien, mais tousjours avec attention et devotion, ce que je dis pour vous oster une remarquable vanité qui se trouve en plusieurs qui font profession de devotion, lesquels à tous propos disent des paroles sainctes et ferventes par maniere d'entregent1, et sans y

• Conversation de politesse.

penser nullement; et après les avoir dites, il leur est advis qu'ils sont tels que les paroles tesmoignent. Ce qui n'est pas.

CHAPITRE XXVI.

De l'honnesteté des paroles et du respect que l'on doit aux personnes.

« Si quelqu'un ne peche point en parole, dit « S. Jacques, il est homme parfait. » Gardezvous soigneusement de lascher aucune parole deshonneste; car encore que vous ne les disiez pas avec mauvaise intention, si est-ce que ceux qui les oyent, les peuvent recevoir d'une autre sorte. La parole deshonneste tombant dans un cœur foible, s'estend et se dilate comme une goutte d'huyle sur le drap, et quelquefois elle saisit tellement le cœur, qu'elle le remplit de mille pensées et tentations lubriques. Car comme le poison du corps entre par la bouche, aussi celuy du cœur entre par l'oreille, et la langue qui le produit est meurtriere, d'autant qu'encore qu'à l'advanture le venin qu'elle a jetté n'ait pas fait son effet, pour avoir trouvé les cœurs des auditeurs munis de quelque contre-poison, si est-ce qu'il n'a pas tenu à sa malice qu'elle ne les ait fait mourir. Et que personne ne me die qu'il n'y pense pas; car Nostre-Seigneur qui cognoist les pensées a dit << que la bouche parle de l'abondance du cœur. » Et si nous n'y pensons pas mal, le malin neant

moins en pense beaucoup et se sert tousjours secrettement de ces mauvais mots, pour en transpercer le cœur de quelqu'un. On dit que ceux qui ont mangé de l'herbe qu'on appelle angelique, ont tousjours l'haleine douce et agreable; et ceux qui ont au cœur l'honnesteté et chasteté, qui est la vertu angelique, ont toujours leurs paroles nettes, civiles et pudiques. Quant aux choses indescentes et folles, l'Apostre ne veut pas que seulement on les nomme, nous asseurant que, « rien « ne corrompt tant les bonnes mœurs que les << mauvais devis. »

Si ces paroles deshonnestes sont dites à couvert, avec affaiterie et subtilité, elles sont infiniment plus veneneuses car comme plus un dard est pointu, plus il entre aisement en nos corps; ainsi plus un mauvais mot est aigu, plus il penetre en nos cœurs. Et ceux qui pensent estre galans hommes à dire de telles paroles en conversations, ne sçavent pas pourquoy les conversations sont faictes; car elles doivent estre comme essaims d'abeilles, assemblées pour faire le miel de quelque doux et vertueux entretien, et non pas comme un tas de guespes, qui se joignent pour succer quelque pourriture. Si quelque sot vous dit des paroles messeantes, tesmoignez que vos oreilles en sont offensées, ou vous destournant ailleurs, ou par quelqu'autre moyen, selon que vostre prudence vous enseignera.

C'est une des plus mauvaises conditions qu'un

esprit peut avoir, que d'estre mocqueur. Dieu haït extremement ce vice, et en a fait jadis des estranges punitions. Rien n'est si contraire à la charité, et beaucoup plus à la devotion, que le mespris et contemnement' du prochain. Or la derision et mocquerie ne se fait jamais sans ce mespris c'est pourquoy elle est un fort grand peché, en sorte que les docteurs ont raison de dire, que la mocquerie est la plus mauvaise sorte d'offense que l'on puisse faire au prochain, par les paroles; parce que les autres offenses se font avec quelque estime de celuy qui est offensé, et celle-cy se fait avec mespris et contemnement.

Mais quant aux jeux de paroles, qui se font des uns aux autres, avec une modeste gayeté et joyeuseté, ils appartiennent à la vertu, nommée Eutrapelie par les Grecs, que nous pouvons appeller bonne conversation; et par iceux on prend une honneste et amiable recreation sur les occasions frivoles, que les imperfections humaines fournissent. Il se faut garder seulement de passer de cette honneste joyeuseté à la mocquerie. Or la mocquerie provoque à rire par mespris et contemnement du prochain; mais la gayeté et gausserie2 provoque à rire par une simple liberté, confiance et familiere franchise conjoincte à la gentillesse de quelque mot. S. Louys, quand les religieux vouloient

1 Dédain.

2 Plaisanterie.

luy parler de choses relevées apres disner: « Il n'est pas temps d'alleguer, disoit-il, mais de se « recreer par quelque joyeuseté et quodlibets: que << chascun die ce qu'il voudra honnestement. » Ce qu'il disoit, favorisant la noblesse qui estoit autour de luy, pour recevoir des caresses de sa Majesté. Mais, Philotée, passons tellement le temps par recreation, que nous conservions la saincte eternité par devotion.

CHAPITRE XXVII.

Des jugemens temeraires.

« Ne jugez point, et vous ne serez point jugez, « dit le Sauveur de nos ames; ne condamnez point, et vous ne serez point condamnez. »> Nou, dit le sainct Apostre, « ne jugez pas avant « le temps, jusques à ce que le Seigneur vienne,

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qui relevera le secret des tenebres, et manifes << tera les conseils des cœurs. » O que les juge mens temeraires sont desagreables à Dieu! Les jugemens des enfans des hommes sont temeraires, parce qu'ils ne sont pas juges les uns des autres, et jugeant ils usurpent l'office de NostreSeigneur. Ils sont temeraires, parce que la principale malice du peché despend de l'intention et conseil du cœur, qui est le secret des tenebres pour nous. Ils sont temeraires, parce qu'un chas

1 Discuter.

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