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ressouvenant et faisant ressouvenir la compagnie, que ceux qui ne tombent pas en faute, en doivent toute la grace à Dieu. Rappelez à soy le medisant par quelque douce maniere; dites quelques autres biens de la personne offensée, si vous le sçavez.

CHAPITRE XXIX.

Quelques autres advis pour le parler.

Que nostre langage soit doux, franc, sincere, rond, naïf, et fidelle. Gardez-vous des duplicitez, artifices et feintises; bien qu'il ne soit pas bon de dire tousjours toutes sortes de veritez, si n'est-il jamais permis de contrevenir à la verité; accoutumez-vous à ne jamais mentir à vostre escient, ny par excuse, ny autrement, vous ressouvenant que Dieu est le Dieu de verité. Si vous en dites par mesgarde, et vous pouvez le corriger sur le champ, par quelque explication ou reparation, corrigez-le; une excuse veritable a bien plus de grace et de force pour excuser que le mensonge.

Bien que quelques fois on puisse discrettement et prudemment desguiser et couvrir la verité par quelque artifice de parole, si ne faut-il pas pratiquer cela, sinon en chose d'importance, quand la gloire et service de Dieu le requierent manifestement: hors de là les artifices sont dangereux; car, comme dit la sacrée parole: « Le Sainct-Esprit « n'habite point en un esprit feint et double. » Il n'y

a nulle si bonne et desirable finesse que la simplicité. Les prudences mondaines et artifices charnels appartiennent aux enfans de ce siecle; mais les enfans de Dieu cheminent sans destour, et ont le cœur sans replis. « Qui chemine simplement, « dit le Sage, il chemine confidemment. » Le mensonge, la duplicité, la simulation tesmoignent tousjours un esprit foible et vil.

S. Augustin avoit dit au quatriesme livre de ses Confessions, que son ame, et celle de son amy n'estoient qu'une seule ame, et que cette vie luy estoit en horreur apres le trepas de son amy, parce qu'il ne voulait pas vivre à moitié : et qu'aussi pour cela mesme, il craignoit à l'adventure de mourir, afin que son amy ne mourust du tout. Ces paroles luy semblerent par apres trop artificieuses et affectées, si que il les revoque au livre de ses retractations, et les appelle une ineptie. Voyez-vous, chere Philotée, combien cette saincte belle ame est doüillette au sentiment de l'affecterie des paroles. Certes c'est un grand ornement de la vie chrestienne que la fidelité, rondeur et sincerité du langage: «J'ai dit, je prendray garde à «mes voyes pour ne point pecher en ma langue. « Hé, Seigneur, mettez des gardes à ma bouche et « une porte qui ferme mes levres, » disoit Davida. C'est un advis du roy S. Louys, de ne point

1S. Louis de Gonzague avait coutume de prononcer ces paroles du Roi-Prophète, avant de s'engager dans une conversation.

desdire personne, sinon qu'il y eust peché ou grand dommage à consentir; c'est afin d'esviter toutes contestes et disputes. Or quand il importe de contredire à quelqu'un, et d'opposer son opinion à celle d'un autre, il faut user de grande douceur et dexterité, sans vouloir violenter l'esprit d'autruy; car aussi bien ne gaigne-t'on rien prenant les choses asprement.

Le parler peu, tant recommandé par les anciens sages, ne s'entend pas qu'il faille dire peu de paroles, mais de n'en dire pas beaucoup d'inutiles; car en matiere de parler, on ne regarde pas à la quantité, mais à la qualité. Et me semble qu'il faut fuir les deux extremitez; car de faire trop l'entendu et le severe, refusant de contribuer aux devis familiers qui se font ès conversations, il semble qu'il y ait, ou manquement de confiance, ou quelque sorte de desdain; de babiller aussi et cajoller toujours, sans donner ny loisir ny commodité aux autres de parler à souhait, cela tient de l'esventé et du leger.

S. Louys ne trouvoit pas bon qu'estant en compagnie l'on parlast en secret et en conseil, et particulierement à table, afin que l'on ne donnast soupçon que l'on parlast des autres en mal: « Celuy disoit-il, qui est à table en bonne com« pagnie, qui a à dire quelque chose joyeuse « et plaisante, la doit dire que tout le monde l'entende; si c'est chose d'importance, on la doit << taire sans en parler.

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CHAPITRE XXX.

Des passe-temps et recreations, et premierement des loisibles et louables.

Il est force de relascher quelquefois nostre esprit, et nostre corps encore à quelque sorte de recreation. S. Jean l'Evangeliste, comme dit Cassian, fut un jour trouvé par un chasseur, tenant une perdrix sur son poing; laquelle il caressoit par recreation; le chasseur luy demanda pourquoy estant homme de telle qualité, il passoit le temps en chose si basse et vile; et S. Jean luy dit : Pourquoy ne portes-tu ton arc tousjours tendu? - De peur respondit le chasseur, que demeurant tousjours courbé, il ne perde la force de s'estendre, quand il en sera mestier. Ne t'estonne pas donc, repliqua l'Apostre, si je me demets quelque peu de la rigueur et attention de mon esprit, pour prendre un peu de recreation, afin de m'employer par apres plus vivement à la contemplation.

C'est un vice sans doute que d'estre si rigoureux, agreste et sauvage, qu'on ne vueille prendre pour soy, ny permettre aux autres, aucune sorte de recreation. Prendre l'air, se promener, s'entretenir de devis joyeux et aimables, sonner du luth ou autre instrument, chanter en musique, aller à la chasse, ce sont recreations si honnestes, que pour en bien user il n'est besoin que de la commune prudence, qui donne à toutes choses le rang, le temps, le lieu, et la mesure.

Les jeux esquels le gain sert de prix et recompense à l'habilité et industrie du corps ou de l'esprit, comme les jeux de la paume, balon, pallemaille, les courses à la bague, les eschets, les tables, ce sont recreations de soy-mesme bonnes et loisibles. Il se faut seulement garder de l'excez, soit au temps que l'on y employe, soit au prix que l'on y met, car si l'on y employe trop de temps, ce n'est plus recreation, c'est occupation on n'allege pas ny l'esprit, ny le corps; au contraire on l'estourdit, on l'accable. Ayant joüé cinq, six heures aux eschets, au sortir on est tout recreu et las d'esprit. Joüer longuement à la paume, ce n'est pas recreer le corps, mais l'accabler; or si le prix, c'est à dire ce qu'on joüe est trop grand, les affections des joueurs se desreglent; et outre cela, c'est chose injuste de mettre de grand prix à des habilitez et industries de si peu d'importance et si inutiles, comme sont les habilitez des jeux. Mais surtout prenez garde, Philotée, de ne point attacher vostre affection à tout cela; car pour honneste que soit une recreation, c'est vice d'y mettre son cœur et son affection. Je ne dis pas qu'il ne faille prendre plaisir à jouer pendant que l'on joue, car autrement on ne se recreeroit pas; mais je dis qu'il ne faut pas y mettre son affection, pour le desirer, pour s'y amuser et s'en empresser.

'Fatigué.

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