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soit douce, mais oüy bien que le sucre est doux ; ainsi encore que cette douceur spirituelle est fort bonne, et que Dieu qui nous la donne est très-bon, il ne s'ensuit pas que celuy qui la reçoit soit bon.

2 Connaissons que nous sommes encore de petits enfans, qui avons besoin de laict, et que ces grains sucrez nous sont donnez parce que nous avons encore l'esprit tendre et delicat, qui besoin d'amorces et d'appas pour estre attirez à l'amour de Dieu.

3. Mais après cela, parlant generalement, et pour l'ordinaire, recevons humblement ces graces et faveurs, et les estimons extremement grandes, non tant parce qu'elles le sont en ellesmesmes, comme parce que c'est la main de Dieu qui nous les met au cœur, comme feroit une mère qui pour amadoüer son enfant, lui mettroit elle-même les grains de dragée en la bouche l'un après l'autre: car si l'enfant avoit de l'esprit, il priseroit plus la douceur de la mignardise et caresse que sa mere luy fait, que la douceur de la dragée mesme. Et ainsi c'est beaucoup, Philotée, d'avoir les douceurs, mais c'est la douceur des douceurs, de considérer que Dieu de sa main amoureuse et maternelle nous les met en la bouche, au cœur, en l'ame, et en l'esprit.

4. Les ayant reçuës aussi humblement, employons-les soigneusement selon l'intention de celuy qui nous les donne. Pourquoy pensons-nous que Dieu nous donne ces douceurs? Pour nous rendre

doux envers un chascun, et amoureux envers luy. Lamère donne la dragée à l'enfant afin qu'il la baise; baisons donc ce Sauveur qui nous donne ces douceurs. Or baiser le Sauveur, c'est luy obéïr, garder ses commandemens, faire ses volontez, suivre ses désirs : bref l'embrasser tendrement avec obeïssance et fidelité. Quand nous aurons receu quelque consolation spirituelle, il faut ce jour-là se rendre plus diligens à bien faire, et à nous humilier.

5. Il faut, outre tout cela, renoncer de temps en temps à telles douceurs, tendretez et consolations, separant nostre cœur d'icelles, et protestant qu'encore que nous les acceptions humblement et les aymions, parce que Dieu nous les envoye, et qu'elles nous provoquent à son amour, ce ne sont neantmoins pas elles que nous cherchons, mais Dieu et son sainct amour; non la consolation, mais le consolateur; non la douceur, mais le doux Sauveur; non la tendreté, mais celuy qui est la suavité du ciel et de la terre; et en cette affection nous nous devons disposer à demeurer fermes au sainct amour de Dieu, quoy que de nostre vie nous ne deussions jamais avoir aucune consolation; et de vouloir dire egalement sur le mont de Calvaire, comme sur celuy de Thabor : O Seigneur, il m'est bon d'estre avec vous, ou que vous soyez en croix. ou que vous soyez en gloire.

6. Finalement je vous advertis que s'il vous

arrivoit quelque notable abondance de telles consolations, tendretez, larmes et douceurs, ou quelque chose d'extraordinaire en icelles, vous en conferiez fidellement avec vostre conducteur, afin d'apprendre comme il s'y faut moderer et comporter; car il est escrit : « As-tu trouvé le miel? "manges-en ce qui suffit. »

CHAPITRE XIV.

Des siecheresses et sterilitez spirituelles.

Vous ferez donc ainsi que je vous viens de dire, tres-chere Philotée, quand vous avez des consolations. Mais ce beau temps si agreable ne durera pas toujours ains il adviendra que quelquesfois vous serez tellement privée et destituée du sentiment de la devotion, qu'il vous sera advis que vostre ame soit une terre deserte, infructueuse, sterile, en laquelle il n'y ait ny sentier, ny chemin pour trouver Dieu, ny aucune eau de grace qui la puisse arrouser à cause des seicheresses, qui, ce semble, la reduiront totalement en friche. Helas! que l'ame qui est en cet estat est digne de compassion, et sur tout quand ce mal est vehement; car alors à l'imitation de David, elle se repaist de larmes jour et nuit, tandis que par mille suggestions l'ennemy, pour la desesperer, se moque d'elle, et luy dit: Ha! pauvrette, où est ton Dieu? Par quel chemin le pourras-tu treuver, qui

te pourra jamais rendre la joye de sa saincte grace? Que ferez-vous donc en ce temps-là, Philotée? Prenez garde d'où le mal vous arrive. Nous sommes souvent nous-mesmes la cause de nos sterilitez et seicheresses.

1. Comme une mere refuse le sucre à son enfant qui est subjet aux vers, ainsi Dieu nous oste les consolations, quand nous y prenons quelque vaine complaisance, et que nous sommes subjets aux vers de l'outrecuidance: il m'est bon, ô mon Dieu, que vous m'humiliiez, ouy; car avant que je fusse humilié je vous avois offensé.

2. Quand nous negligeons de recueillir les suavitez et delices de l'amour de Dieu, lorsqu'il en est temps, il les ecarte de nous en punition de nostre paresse. L'Israëlite qui n'amassoit la manne de bon matin, ne le pouvoit plus faire apres le soleil levé, car elle se trouvoit toute fonduë.

3. Nous sommes quelques fois couchez dans le lit des contentemens sensuels et consolations perissables, comme estoit l'Espouse sacrée ès cantiques: l'Espoux de nos ames heurte à la porte de nostre cœur, il nous inspire de nous remettre à nos exercices spirituels; mais nous marchandons avec luy, d'autant qu'il nous fasche de quitter ces vains amusemens, et de nous séparer de ces faux contentemens; c'est pourquoy il passe outre, et nous laisse croupir, puis quand nous le voulons chercher, nous avons beaucoup de peine à le trouver; aussi l'avons-nous bien mérité, puisque nous

avons esté si infideles et deloyaux à son amour, que d'en avoir refusé l'exercice pour suivre celuy des choses du monde: ah! vous avez donc de la farine d'Egypte, vous n'aurez donc point de la manne du ciel. Les abeilles haïssent toutes les odeurs artificielles; et les suavitez du SainctEsprit sont incompatibles avec les delices artificieuses du monde.

4. La duplicité et finesse d'esprit, exercée ès confessions et communications spirituelles que l'on fait avec son conducteur, attire les seicheresses et sterilitez; car puisque vous mentez au SainctEsprit, ce n'est pas merveille s'il vous refuse sa consolation; vous ne voulez pas estre simple et naïf comme un petit enfant, vous n'aurez donc pas la dragée des petits enfants.

5. Vous vous estes bien saoulée des contentemens mondains; ce n'est pas merveille si les delices spirituelles vous sont à desgoust: les colombes ja soules, dit l'ancien proverbe, trouvent ameres les cerises. Il a rempli de biens, dit NostreDame, les affamez; et les riches il les a laissez vuides. Ceux qui sont riches des plaisirs mondains ne sont pas capables des spirituels.

6. Avez vous bien conservé les fruicts des consolations receuës; vous en aurez donc des nouvelles, car à celuy qui a, on luy en donnera davantage; et à celuy qui n'a pas ce qu'on luy a donné, mais qui l'a perdu par sa faute, on luy ostera mesme ce qu'il n'a pas; c'est à dire, on le

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