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l'Ordre (1236). A 50 kilomètres environ de la Baltique elle se divise en deux branches; celle de droite garde le nom de Vistule et va se jeter dans le golfe de Danzig; celle de gauche aboutit, sous le nom de Nogat, au Frische Haff.

Le Werder. Le delta de la Vistule, ou le Werder par excellence, embrasse une étendue d'environ 2.200 kilom. carrés. Il se prolonge à l'ouest par le Danziger werder sur les deux rives de la Mottlau, et à l'Est par le werder d'Elbing, entre la Nogat et le lac Drausen. Ce pays n'était au treizième siècle qu'un marais couvert de joncs et d'arbustes, et où quelques parties élevées étaient seules habitées. Grâce aux colons attirés par l'Ordre, désireux de voir s'accroître le revenu de ses dîmes, il ne tarda pas à devenir une des plus fertiles marschen de l'Allemagne. Les Néerlandais participèrent largement à cette colonisation. C'est leur travail qui transforma en prairies et en herbages les fanges de la Vistule, et créa une petite Hollande aux bords de la Baltique. L'aspect de la contrée ferait deviner cette origine. A travers les prairies un bout de voile décèle les cours d'eau qui se dissimulent derrière les digues; il ne manque ni les maisons en briques, ni les vaches blanches et noires, ni les moulins à vent.

Pourtant, Danzig existait déjà comme ville de commerce plusieurs siècles avant que les Allemands prissent pied dans le delta. Elle est mentionnée pour la première fois en 997 (1). Bâtie à une lieue de la Baltique, sur la Mottlau qui la traverse en se ramifiant, et près de la Vistule qui, séparée de la mer par un cordon de dunes, la couvre au nord, Danzig domine tout un pays plat et aquatique, sujet à des inondations fréquentes. Vue de loin, elle réveille assez l'idée d'une autre Venise. Mais il n'en est pas de même à (1) Th. Hirsch, Handels und Gewerbe Geschichte Danzigs. Leipzig, 1858.

style sévère du Nord. Le long de vieilles rues silencieuses, plantées de tilleuls, se succèdent des maisons graves et basses, précédées par un perron et isolées de la chaussée par un fossé que franchit souvent un escalier monumental. La colossale église de Sainte-Marie, patronne de l'Ordre, a l'air extérieurement d'une forteresse avec ses grands murs sombres en briques et les créneaux qui les couronnent. Des halles et d'anciennes maisons de corporation bordent, comme à Bruges, des places irrégulières.

Lorsque Danzig faisait partie de la Hanse avec le rang de chef-lieu du quartier prussien, ces vieux édifices n'étaient ni trop nombreux ni trop larges; on y voyait des Anglais, des Flamands; au quinzième siècle, le conseil de ville entretenait des relations avec nos ducs de Bretagne. En 1466, Danzig se donna volontiers à la Pologne, qui lui apportait avec de beaux privilèges la libre et entière navigation du fleuve. Elle était en pleine prospérité lorsqu'en 1772 le pays environnant fut saisi par la Prusse, qui ne tarda pas, par le second partage de la Pologne, à annexer la ville elle-même (1793). La domination prussienne ne lui a pas rendu son ancienne importance; une partie du commerce dont elle est le débouché naturel lui échappe, depuis que la Vistule, au lieu d'arroser un seul Etat, est partagé entre trois puissances. Danzig est néanmoins le centre d'un trafic encore considérable de bois, de grains et d'eau-devie (1), en même temps qu'une place forte. La Vistule, au confluent de la Mottlau, disparaît presque sous les trains de bois. Danzig possède un avant-port dans la petite ville de Neufahrwasser, située en face de la forteresse de Weichselmünde, à l'embouchure de la Vistule et au pied des coteaux boisés où (1) Danzig, 115.000 habitants.

s'élève l'ancien couvent d'Oliva. C'est là que le fleuve coupe par une brèche les dunes qui l'ont forcé à couler pendant plus de deux lieues parallèlement à la mer. En 1840 une autre brèche s'ouvrit subitement en amont (Neufahr); elle existe encore, mais de puissantes digues retiennent dans son ancien lit la masse principale du fleuve.

Les principales villes qui remontent à l'établissement germanique dans les marschen de la Vistule, sont, outre Marienwerder dont il a été question, celles d'Elbing et de Marienburg. Elbing unie par un canal au Nogat, et située sur la rivière qui sert d'émissaire au Drausen see dans le Frische haff, est aussi, comme Danzig dont elle rappelle l'aspect, une ville aquatique. Les femmes apportent en bateaux les provisions au marché, et la vie fluviale est fort active. Mais c'est surtout comme ville de fabriques que se signale aujourd'hui Elbing (1). Marienburg, au contraire, l'ancienne capitale de l'Ordre, est une ville morte. La Nogat, bien moins large que l'autre bras de la Vistule, coule solitairement au pied des constructions colossales en briques, église et château, élevées par les grands maîtres de l'Ordre teutonique et consacrées à la Vierge Marie. Entre les établissements antérieurs de Marienwerder et d'Elbing le point était central et bien choisi pour assurer la domination du pays. Du haut du château le regard embrasse une étendue immense, il s'étend sans obstacle sur tout le Werder et aperçoit distinctement le pont monumental de Dirschau, au moyen duquel le chemin de fer de Berlin à Koenigsberg traverse le principal bras de la Vistule.

(1) Elbing, 38.000 habitants. Elbing fut fondé en 1238, Marienburg en 1276.

Prusse orientale.

Tandis que la province de Prusse occidentale n'es passée qu'en 1772 sous le sceptre des Hohenzollern, celle de Prusse orientale, à l'exception du territoire épiscopal d'Ermeland, appartient depuis 1618 à la maison régnante de Brandebourg. A cette époque, en effet, s'éteignit la descendance d'Albert de Brandebourg, cadet de Hohenzollern et grand maître de l'Ordre teutonique. Cet Albert de Brandebourg s'était converti au protestantisme en 1415 et avait sécularisé, c'est-à-dire rendu héréditaires dans sa famille, les domaines de l'Ordre. Par l'extinction de sa dynastie, la Prusse orientale passa à la branche aînée des Hohenzollern, et fut réunie au Brandebourg. Le même prince se trouva électeur en Brandebourg et duc en Prusse; son autorité s'exerça à titres différents sur deux tronçons séparés par le royaume de Pologne. Il dut néanmoins prêter le serment d'allégeance auquel les anciennes possessions de l'Ordre étaient soumises envers la Pologne en vertu des vieilles stipulations de Thorn. Mais le Grand Electeur sut s'affranchir de cette obligation, et son successeur changea en 1701, avec l'assentiment de l'empereur d'Allemagne, son titre ducal en un titre royal. L'électeur de Brandebourg Frédéric III devint alors Frédéric Ier, roi en Prusse, et se fit couronner à Konigsberg, ville qui est restée jusqu'à ce jour en possession de ce privilège.

Koenigsberg n'est donc pas seulement la capitale de la province la plus reculée de l'empire allemand; elle est en quelque sorte le berceau de la royauté prussienne. Cette grande ville de 150,000 habitants, place d'armes entourée de treize forts détachés, siège

d'une université plus de trois fois séculaire, centralise aux points de vue administratif, intellectuel et militaire la puissance prussienne sur sa frontière du nord-est.

Il est curieux que cette sentinelle du germanisme ait été fondée par un roi de Bohême. Ottocar II, allié des chevaliers de l'Ordre, jeta en 1255 les fondements d'une citadelle et d'une ville sur une hauteur isolée qui porta en son honneur le nom de montagne du Roi. La position offrait de grands avantages, qui se manifestèrent à mesure que la colonisation allemande fit des progrès le long de la Baltique. En 1457 il parut qu'il était temps d'abandonner Marienburg et de fixer à Koenigsberg, comme plus centrale, la résidence des grands maîtres de l'Ordre.

Le Pregel sur lequel est bâtie la ville, à une lieue de son embouchure dans le Frische haff, est formé de la réunion de plusieurs rivières qui naissent sur les plateaux lacustres, hauts de 100 à 150 mètres, qui couvrent la partie méridionale de la province. On y compte jusqu'à 450 lacs, pour la plupart en liaison naturelle les uns avec les autres. L'Angerap est le principal émissaire de ce labyrinthe lacustre qui porte par lui au Prégel le principal tribut de ses eaux. La pente septentrionale du plateau est très douce; le Pregel devient navigable à Insterburg (21.000 hab.). Il coule alors dans une vallée large et fertile, bordée d'épaisses forêts, et reçoit sur sa rive gauche l'Alle, qui arrose Friedland (1). Bientôt le fleuve se bifurque et envoie vers le nord un bras navigable qui aboutit à Labiau dans le Curische haff, tandis que la masse principale des eaux se dirige vers le Frische. Elle est, à Koenigsberg, large de 220 mètres avec une profondeur qui varie de 4 à 16.

Koenigsberg est donc aussi une ville de delta; delta qui se termine à la vérité, non sur un golfe ouvert, (1) Friedland, bataille du 14 juin 1807.

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