Images de page
PDF
ePub

pour fecond qu'un Gentil-homme qui étoit à lui, & moi mon Ecuyer, quand revenant de la chaffe avec plufieurs Gentilshommes, vous nous rencontrates dans la plaine, au point que nous allions tirer l'épée, comme il pourroit vous en fouvenir, fi cette avanture le méritoit. Vous nous fites embraffer, ayant appris notre deffein de quelqu'un de Votre troupe qui nous connoiffoit l'un & l'autre. Cette avanture, Seigneur, ne peut jamais fortir de ma mémoire, puis qu'elle fut le commencement de la plus glorieufe, & de la plus trifte vie qu'on puiffe concevoir. Mais certes, fi l'amitié dont vous m'honorez nâquit dès cette journée, comme vous m'avez fait l'honneur de me le dire beaucoup de fois depuis, & fi elle me rend le

1

plus heureux homme de ma condition, je crois que je puis dire que mon amour ne lui reffemble pas. Non que je fois mal-traitté de ma Maîtreffe: car, Seigneur, j'en fuis aimé, ele m'a donné fa foy de n'époufer jamaïs d'autre que moi; mais je ne fçaurois l'obliger à m'épouser contre la volonté de fes parens. Or fans conter les difficultez que j'ai eû à la voir, je voudrois vous pouvoir exprimer combien j'ai eû de traverfes pour lui faire agréer ma recherche, mais cela ne fe peut. Je n'aurois jamais fait, si je voulois entreprendre de vous ráconter tous les perfonnages qu'il m'a fallu jouer. Je crois que depuis le Boëmien & le Pelerin jufqu'aux plus relevez déguisemens, il n'y en a point que je n'aye pratiquez. J'ai pris l'habit de Marchand,

Fai fait le Peintre, le Muficien, & j'ai pris même l'habit de Religieux pour y être introduit. L'amour est un grand ingenieur, & il est bien mal aifé d'être longtems apprenti fous lui, fans devenir maître en toutes fortes de rufes. Ma paffion & l'oifiveté de ma folitude m'ont inspiré d'étranges deffeins, & il n'y en a point eû que je n'aye executez;

mais à quoi bon tout cela, s'il n'a fervi qu'à m'embaraffer de plus en plus? Le pere de ma maîtreffe eft un homme qui croit que fa fille eft un fi excellent parti, que je penfe qu'à peine il confentiroit de vous la donner, fi vous n'aviez le Royaume d'Angleterre pour votre partage. Quoique nous avons été accordez fon beau-frere & moi, après ces accommodemens, il demeure bien € iij

[ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small]

کرے

fouvent une haine couverte qui ne change des querelles que le procedé & l'apparence: car l'in-. térieur eft fouvent de même qu'auparavant. Il m'eftime, à ce que Mathilde m'a dit; mais elle ne m'a jamais confeillé de me découvrir à lui. Ma condition eft égale à la leur, & je ne puis guere moins efpérer par votre autorité; mais Seigneur, il n'y a pas moyen de gagner fur l'efprit de ma maî treffe qu'elle faffe un fi grand effort par deffus ce qu'elle appelle

fon devoir. D'ailleurs le Comte: de Beffin me hait, parce qu'il m'a fait un outrage: car aux favoris infolens, offenser & haïr eft fouvent la même chofe, & tout avide qu'il eft de cette fucceffion qui lui coûte déja un crime, il ne demanderoit pas mieux qu'un nou veau fujet pour l'engloutir. Voilà,

Seigneur, l'état de mon ame! Vous pouvez maintenant lire dans mes yeux & dans mon cœur; mais certes fi vous y pouviez voir comme je le souhaite, vous connoîtriez que quelqu'inquietude qui me tourmente, je reçois avec autant de joie que je le dois, l'honneur d'être honoré de votre affection. Le Prince Henry écouta ce difcours attentivement, furpris de l'habileté que Montafilant avoit eû pour cacher fi bien fa paffion, que perfonne n'en avoit jamais rien fçû. Mais il ne fe contenta pas de lui faire mille offres de tout fon crédit auprès du pere & des parens de Mathilde, & auprès du Duc même ; il lui promit encore de faire agir la Reine fa mere, & de l'obliger de prendre fa maîtreffe auprès d'elle. Montafilant ravi de tant d'amitié

[blocks in formation]
« PrécédentContinuer »