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sensée, c'est encore une honnête fille. Dès que Molière quitte la fantaisie et s'abandonne à sa haute raison, il devient le plus moral de nos poëtes. Il a moralisé la scène; ceux qui le nient ne connaissent point ce que le théâtre avait produit avant lui, toutes ces burlesques intrigues où la galanterie et la friponnerie triomphaient toujours aux yeux du public, parce qu'elles étaient plus drôles et que la comédie n'avait d'autre intérêt que d'amuser. C'est Molière qui a changé tout cela, non qu'il voulût faire du théâtre une école de vertu, mais parce qu'il en voulait faire une école de sagesse: or on ne peut être dans le vrai, sans être en même temps dans le bien. J'affirme donc que sans effort, sans ennui, sans phrases, le plus simplement du monde, Molière a été le premier de nos comiques honnêtes, parce qu'il a été le premier de nos comiques sensés. De Mascarille, le fripon qu'il avait trouvé dans la tradition, il s'est élevé à Dorine, la brave fille qu'il a trouvée dans la nature. Toutes les fois que, laissant de côté la bagatelle, il s'est dit: parlons raison! il a parlé en galant homme; la rectitude de son esprit s'est montrée en droiture, sa justesse en justice: ici les mots se ressemblent parce que les choses se tiernent étroitement. On le voit dès les Précieuses où le valet est ridicule et bâtonné; on le voit surtout dans Tartufe où le roi des fourbes n'amuse pas, indigne au contraire et reçoit le châtiment qu'il mérite. Plus Mo lière se ressemble et ne ressemble qu'à lui, quittant les traditions pour suivre sa propre voie, écrivant

seul, d'après son idée, selon son cœur, plus aussi la moralité de son œuvre est élevée, et ceci par la simple raison qu'il était honnête homme. On ne rappellera jamais assez les vertus du poëte comédien, comme l'appelait Bossuet : l'histoire du louis d'or, les exemples et les conseils qu'il donnait au jeune Baron, sa conduite avec Racine, sa constance dans l'amitié, sa passion dans l'amour, ses douleurs poignantes, les révoltes de sa dignité offensée en se voyant << recherché des grands seigneurs, mais assujetti à leurs plaisirs, esclave de leurs fantaisies » et méprisé des bourgeois — lui, la plus pure gloire de la France! regardé comme « un homme perdu par la populace qui, après sa mort, cassera les vitres de sa maison.

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« Mais pourquoi, lui demandait Boileau, riche comme vous l'êtes, attiré même par l'Académie qui vous offre une place en son sein si vous quittez le théâtre, pourquoi donc y restez-vous ?

- Par point d'honneur, » répondit Molière.

A ce mot Boileau bondit sur sa chaise et s'écria:

<< Plaisant point d'honneur qui consiste à se barbouiller le visage d'une moustache de Sganarelle et à recevoir des coups de bâton ! »

Mais on comprit plus tard quel était ce point d'honneur du poëte. Un soir, à la quatrième représentation du Malade imaginaire, Molière qui devait remplir le rôle d'Argan, se sentait plus oppressé, plus déchiré que jamais. Baron et ses autres camarades le suppliaient de ne pas jouer.

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Que voulez-vous que je fasse? répondit le malade. Il y a cinquante pauvres ouvriers qui n'ont que leur journée pour vivre : que feront-ils, si je ne joue ? >>

pas

Il joua donc, et il mourut. Telle fut la fin de Molière.

« C'est ainsi, conclut Bossuet, qu'il passa des plaisanteries du théâtre, parmi lesquelles il rendit le dernier soupir, au tribunal de celui qui dit : « Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez ! »

IX

APRÈS MOLIÈRE.

La société française au déclin du grand siècle, d'après les co

médies.

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les Rabats, etc.

Les demi-filles, les Plumets, les Petits-Collets, – Crispin et Frontin. Détails historiques Le peuple sous Louis XIV et Louis XV. Les auteurs du logis.

sur les laquais.

Suivez-moi maintenant, gens de bonne volonté ! Nous sommes à la fin du dix-septième siècle, et nous allons à l'hôtel de Bourgogne, assister à quelque Joyeux spectacle donné par les comédiens italiens. Ce qui nous y attire, ce ne sont plus les grimaces d'Arlequin et de Scaramouche qui ne figurent plus sur ce théâtre que pour continuer certaines traditions, mais nous allons nous renseigner sur les mœurs de l'époque, vivement rendues, avec la liberté des tréteaux, par ces hardis bateleurs. Le rideau levé, une pantomime très-singulière égaie aussitôt nos yeux, mais ce

ne sont pas les comédiens, ce sont les spectateurs qui nous divertissent, les importants et les importuns s'offrant, sur la scène, en spectacle au public. L'officier vient jusque sur le bord du théâtre étaler impunément aux yeux du marchand la dorure qu'il lui doit encore. L'enfant de famille, sur les frontières de l'orchestre, fait la moue à l'usurier qui ne saurait lui demander les intérêts ni le principal. Le fils, mêlé avec les acteurs, rit de voir son père faire le pied de grue dans le parterre, pour lui laisser quinze sols de plus après sa mort. Le marquis, bien en vue, prenant du tabac, peignant sa perruque et faisant le carrousel, étouffe les comédiens jusque sur les chandelles, malgré le parterre qui le siffle « de la tête aux pieds. » Les voilà déjà devant nous, en personne, ces petits maîtres que Colombine la comédienne va tantôt nous peindre si vivement.

Aujourd'hui, dit-elle, ils portent des perruques qui leur pendent jusqu'aux genoux; demain ils en auront d'autres qui ne leur passeront pas les oreilles. Ils sont quelquefois habillés le plus simplement du monde; deux jours après, il les faut chercher dans leurs dentelles et dans leurs rubans. Tantôt ils sont serrés dans leurs habits et empaquetés comme des momies et quelquefois une pièce de drap ne suffit pas pour leur faire une manche d'été. Enfin tout est girouette dans un Français, depuis les pieds jusqu'à la tête. »

Tel nous voyons le petit-maître au théâtre, tel il se montrait dans les salons. Il se jetait sur un bras

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