Images de page
PDF
ePub

seule comédie de ces glorieux inconnus dont l'œuvre est à la fois immortelle et perdue. Pour étudier ce théâtre, nous sommes forcés de recourir aux comiques latins qui copiaient les Grecs. Allons à Rome.

II

LES ESCLAVES.

Figaro part pour Rome et assiste à la représentation d'une comédie de Plaute, la Casina, où il reconnaît sa propre histoire. Condition des esclaves chez les Romains leurs misères, leurs supplices, leurs vengeances.

Un jour que je rêvais, après une lecture de Plaute, à mes petites affaires de famille, j'inscrivis machinalement avec une pointe de couteau, sur un jeton qui se trouva sous ma main, le titre de la pièce que je venais de lire, Casina Plauti. Je ne sais comment cet os taillé en rond et gravé de mes mains arriva quelques mois après dans celles du comte, mon maître; je sais seulement qu'on le lui avait vendu fort cher, comme une précieuse antiquité trouvée quelque part en Italie, dans les fouilles qu'on y fait en ce moment. Le comte, ayant consulté un archéo

logue sur l'usage de ce jeton, le savant homme répondit que c'était une de ces tessères ou billets de spectacle que les anciens Romains achetaient, il est vrai, pour quelques liards, mais qui sont aujourd'hui d'un prix inestimable.

« C'est, ajouta-t-il, un morceau d'autant plus curieux, que les tessères retrouvées jusqu'ici ne donnaient que des dessins grossiers ou des chiffres grecs ou latins, indiquant le rang des gradins et le numéro des places, tandis que celle-ci peut servir de programme et annonce le spectacle du jour.

>>

Cela dit, l'antiquaire supplia le comte de lui laisser prendre un dessin de ce jeton sur lequel il a écrit une dissertation remarquée. Je n'eus garde de révéler l'origine de cette trouvaille, ayant acquis, à mes dépens, trop d'expérience pour m'aviser encore de détromper les gens; ils ne vous le pardonnent jamais.

Bien plus, il m'arrive quelquefois, l'imagination aidant, de faire comme ces peintres italiens qu'on voit tomber à genoux devant les madones qui sont leur ouvrage. Hier encore, après avoir relu la pièce de Plaute à laquelle je reviens toujours, je trouvai sur ma cheminée, soigneusement protégé par un globe de verre, l'os gravé qui a déjà si fort ému le monde savant et qui est maintenant en dépôt chez moi. Hé bien! loin de m'en amuser, je m'y laissai croire, et, le corps étendu sur un sopha, la tessère à la main, les yeux fermés, dormant ou veillant, je ne sais, plongé dans un songe ou égaré dans un rêve,

[ocr errors]

je me sentis en tunique brune, les jambes et les bras nus, les cheveux au vent, la tête au soleil, dans un état de bien être que je n'ai jamais connu dans nos pays froids. A travers la foule des citoyens qui marchaient lentement, dans leur toge blanche, avec une gravité romaine, je hâtais le pas sous mon habit d'esclave, comme si la condition servile m'eût forcé de courir. Je fendis ainsi le torrent qui roulait au théâtre et, après de longues ascensions, de longs circuits dans les corridors voûtés, j'atteignis la place qui me fut désignée sur les hauteurs de l'édifice. Derrière moi s'élevait un portique appuyé sur de fières colonnes et surmonté de sculptures qui paraissaient neiger dans le bleu du ciel. A mes pieds descendaient jusqu'à l'orchestre les degrés d'un immense perron circulaire tout peuplé de toges blanches et de têtes nues: il y avait là cinquante mille citoyens romains drapés comme ces héros de marbre, honneur de leur histoire, splendeur de leurs édifices, impérissables témoignages de leur grave et mâle beauté. Au fond de ce ravin régulier, sur les bancs de bronze placés à l'orchestre, se développaient majestueusement les personnages consulaires; plus loin encore, presque sur la scène, trônaient chastement les Vestales, dans leur vêtement religieux; plus près de moi, sur les gradins inférieurs, se rangeaient les hommes importants, les sénateurs, les magistrats, les soldats heureux qui, dans une bataille, ayant sauvé la vie à un citoyen, avaient mérité de porter la couronne de chêne; plus près

encore, sur les gradins du milieu, se pressaient les simples citoyens groupés eux-mêmes selon leur condition: ici les hommes mariés, à des places d'honneur, ailleurs les enfants avec leurs pédagogues; làbas la foule mal famée des célibataires; enfin, autour de moi, sur les bancs les plus élevés et sur les terrasses qui dominaient tout le monument, s'entassaient mes pareils, les tuniques brunes, et les femmes reléguées parmi les esclaves par un reste de barbarie qu'on donnait pour un scrupule de vertu. Cependant, parmi cette fourmilière humaine, bourdonnaient de confuses rumeurs; près de moi les esclaves débridés faisaient rage; les femmes riaient et parlaient très-fort, de leurs voix flûtées, pour attirer les yeux; les bambins (comme au temps de Plaute) poussaient des bêlements de chevreaux dans les bras de leurs nourrices. Par moments, sur les bancs mitoyens, éclataient en fortes clameurs les sympathies et les antipathies populaires, car le peuple jugeait les spectateurs avant de juger les acteurs. On saluait les nouveaux-venus par des applaudissements ou par des huées; si celui qui entrait dans la* salle était un vainqueur, les cinquante mille assistants se levaient ensemble et acclamaient d'un seul cri pendant qu'il gagnait sa place; mais si quelque citoyen peu estimé se montrait à l'ouverture d'un vomitoire, -oh! alors, le public entier murmurait, sifflait, grondait, poussait des injures, lançait des pierres, et les édiles tâchaient en vain de contenir les furieux, les suppliant de ne jeter que des pommes.

« PrécédentContinuer »