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cette verve endiablée qui les lance coup sur coup, juste et droit; la vivacité, la souplesse, le souffle un peu haletant, bruyant, mais jamais épuisé; les ressources multipliées d'une langue étonnante, toute bigarrée, marquetée, mais d'une force et d'un éclat prodigieux; je ne sais quoi d'insolent et de pétulant, élégance délurée, trivialité pimpante, enfin l'audace, une audace d'esprit et de main que la fortune secondait presque toujours. Il n'a rien de tout cela, l'inconnu qui vous écrit de si loin, mais il dit ce qu'il sait et fait ce qu'il peut : que ce soit son éloge ou son excuse!

I

LES TEMPS LÉGENDAIRES.

Figaro déclare que son premier aïeul fut le premier esclave. Il trouve parmi ses ancêtres la mère Ève, le patriarche Jacob et le Xanthias des Grenouilles. Les esclaves chez les Hébreux et dans Aristophane.

Mon premier ancêtre fut le premier esclave. Le premier esclave fut la première femme à qui Dieu dit: L'homme dominera sur toi. La première femme, instruite par le serpent qui était le plus fin des animaux des champs, dut s'armer de ruse pour se défendre. Voilà déjà toute mon histoire, aussi vieille que la Création.

Je retrouve cette histoire dans toutes les légendes: toujours la raison du plus fourbe résistant à la raison du plus fort. Isaac était le maître et son fils Ésaü, né le premier, devait commander après lui. Mais Isaac

avait une femme, Rébecca; Ésau avait un frère, Jacob. Ésau né robuste et velu, grand chasseur, vivait dans les bois et plaisait à son père qui aimait les pièces de venaison. Jacob vivait sous la tente, avec sa mère. Famille divisée : d'un côté les maîtres, de l'autre les esclaves ceux-ci, étant les plus faibles, furent les plus adroits. A l'autorité du vieillard qui était le chef de la famille, à la vigueur de l'homme violent qui éventrait et dépeçait les bêtes fauves, ils opposèrent l'éternelle malice des opprimés. Isaac est vieux, aveugle, il sent que la mort va venir et la venaison, comme on lit dans l'Écriture, est sa viande. Il dit donc à Ésaü : Prends ton arc et tes flèches et rapporte-moi du gibier «< afin que je mange et que je te bénisse avant que je meure. » Mais Rébecca qui écoute aux portes, ayant tout entendu, ne veut pas qu'Ésaü soit béni, car cette bénédiction sera l'investiture de la royauté domestique. Isaac doit dire à celui qu'il bénira : « Sois le maître de tes frères et que les fils de ta mère se prosternent devant toi! » Que fera donc Rébecca ? Je ne l'apprends à personne : elle cachera Jacob dans les vêtements de son frère et lui couvrira les mains de peaux de chèvre, afin qu'il reçoive, en passant pour Ésaü, la bénédiction du vieillard aveugle. Crispin n'eût pas mieux fait. Je vois plus tard ce même Jacob travailler vingt ans dans la maison de Laban : il est le plus faible et le plus pauvre et par conséquent il sert cet oncle, mais il le trompe et le quitte furtivement, en lui emportant ses filles, ses troupeaux et ses dieux. Il m'est donc

permis de compter parmi mes aïeux des patriar

ches.

Il me serait même permis de compter, outre les patriarches, toute leur postérité. Les Hébreux nous donnèrent, en effet, le spectacle étonnant de tout un peuple asservi vingt fois en masse, depuis le temps. des Pharaons jusqu'au nôtre, sans jamais disparaître et en résistant toujours. De là, peut-être, la douceur de la loi de Moïse pour les serviteurs et les captifs. Qu'un Juif tue un esclave, il est puni de mort; qu'il lui crève un œil ou lui casse une dent, l'esclave est libre. Entre enfants d'Israël, la domination rigoureuse est interdite, le temps de la servitude est limité à six ans; celui du travail à six jours. Le repos du sabbat est prescrit pour tous, pour l'étranger, pour le bétail protégé lui-même : défense de museler le bœuf, lorsqu'il foulera le grain. Les hommes qui appartiennent à d'autres hommes sont de la race d'Adam ; si on les affranchit, il n'est point permis de les renvoyer les mains vides. Les captives sont libérées quand le maître qui les a humiliées ne les aime plus. Servo sensato liberi servient, dit l'Ecclésiastique, et les Proverbes donnent au serviteur prudent l'autorité sur le fils de famille qui fait mal. Et chaque fois qu'il promulgue une de ces lois de clémence, le législateur divin répète à son peuple, avec une insistance d'un effet puissant et religieux : « Souviens-toi que tu as servi en Égypte. » Un jour le peuple ne voulut plus s'en souvenir et replaça sous le joug des serviteurs et des servantes qu'il avait renvoyés libres; on vit de

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