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qu'il se trouvera dans peu de jours chez lui, comme si de rien n'étoit. Ce voyage lui a fait bien de l'honneur, car il ne se peut rien ajouter à la conduite qu'il a tenue. On croit même que, par le bon choix du souverain Pontife, il a remis dans le conclave le St.-Esprit, qui en étoit exilé depuis tant d'années. Après cet exemple, il n'y a point d'exilé qui ne doive espérer.

Vous voilà donc dans la solitude; c'est présentement que vous devez craindre les esprits : je m'en vais parier que vous n'êtes plus que cent personnes dans votre château. Je suis persuadée de toute l'aimabilité de la belle Rochebonne; mais la constance de Corbinelli est abîmée de tant de philosophie, et il est si terriblement attaché à la justesse des raisonnemens, que je ne vous réponds plus de lui. Il dit que le Père le Bossu ne répond pas bien à vos questions; qu'il auroit tort de vouloir vous instruire, et que vous en savez plus qu'eux tous: vous en manderez votre avis.

Je vous ai mandé l'histoire de Brisacier (1); on n'en peut rien dire jusqu'à ce que le courrier de Pologne soit revenu. Il est cependant hors de Paris et de la Cour : il assiége la ville, et demeure chez ses amis aux environs : il étoit l'autre jour à Clichy: Madame du Plessis vint le voir de Frêne, pour faire les lamentations de la rupture de son marché. Brisacier lui dit qu'assurément il n'étoit point rompu,

(1) Cette même histoire est contée assez au long dans les Mémoires de l'Abbé de Choisy.

et qu'on verroit, au retour du courrier, s'il étoit aussi fou qu'on le disoit. S'il est protégé de la Reine de Pologne, ou du Roi, nous en jugerons comme vous faites.

M. de Bussy est arrivé comme j'écrivois cette lettre; je lui ai fait voir votre souvenir. Il vous dira lui-même combien il en est content. Il m'a lu des Mémoires les plus agréables du monde : ils ne seront pas imprimés, quoiqu'ils le méritassent bien mieux que beaucoup d'autres choses.

On vient nous dire que Brisacier et sa mère, qui étoient ici près à Gagny, ont été enlevés; ce seroit un mauvais préjugé pour le Duché. Cette nouvelle est un peu crue : comme elle est présentement à Paris, d'Hacqueville ne manquera pas de vous l'apprendre.

Je reçois, ma fille, votre lettre du 3o; mais quoi ! vous n'aviez pas reçu la mienne du 21? elle étoit toute propre à vous instruire : je décidois sur votre départ, et je vous conjurois par pure tendresse de ne point le différer; c'est ce que je vous demande encore par les mêmes raisons vous suivrez ce' conseil, si vous avez pour moi autant d'amitié que je vous en crois; dans cette confiance, je ne me remettrai point à vous dire combien je le souhaite, ni combien six semaines font à mon impatience. Madame de Soubise est allée voir son mari malade en Flandres : cela me plaît: voyez la Gazette de Hollande. Je vous embrasse mille fois, ma trèschère, avec une tendresse fort au-dessus de ce que je vous en pourrois dire.

E

LETTRE 464.

A la même.

à Livry, vendredi 9 Octobre 1676.

Je suis fachée, ma très-chère, que la poste vous differe mes lettres de quelques jours. Je connois votre amitié et vos inquiétudes, mais il n'y a qu'à recourir au grand d'Hacqueville pour y trouver tout le secours que l'on peut souhaiter. Je me sou¬ viendrai toute ma vie du plaisir et de la consolation que je trouvai aux Rochers dans une de ses lettres, après que vous fûtes accouchée; sans quoi je n'étois pas en état de soutenir l'excès de la douleur où j'étois. J'espère que vous aurez été contente le lendemain, à moins qu'un laquais de Madame de Bagnols, à qui je donnai mes lettres pour les porter à la poste, ne les ai jetées, je ne sais où; il m'en a pris quelque petite crainte. Vous aurez vu, dans cette lettre, si vous l'avez reçue, la réponse de celle où vous me parliez d'attendre M. de Grignan : je vous priois de ne point écouter cette pensée; je vous assurois que celle de la saison moins avancée, ne m'avoit point fait souhaiter que votre arrivée précédât la sienne; que c'étoit l'extrême envie que j'avois de vous voir, qui me faisoit vous conjurer de me donner cette petite avance; que je la méritois, par la seule raison de la discrétion que j'ai eue de ne point vouloir vous tirer de votre château plutôt qu'au départ de

M. de Grignan pour l'assemblée (1); que j'avois pris sur moi tout le tems dont vous m'avez rendu la maîtresse, et qu'en un mot, je vous conjurois, comme je fais encore, de songer à partir ce mois-ci, comme nous en sommes demeurées d'accord. Je crois que M. de Grignan ne trouve rien d'injuste à tout mon procédé. Je vous ai mandé le peu d'argent qu'il vous faut, en attendant qu'il vienne; je crois que votre voiture doit être la litière jusqu'à Rouane, et la rivière jusqu'à Briare, où vous trouverez mon carrosse. Voilà, ma fille, l'essentiel du contenu de ma lettre, au cas qu'elle soit perdue.

L'Abbé Bayard me mande que j'ai très-bien fait de ne point aller cet automne à Vichy; que les pluies continuelles ont rendu les eaux très-mauvaises; que Saint-Hérem et Planci, qui y étoient allés exprès, n'en ont point pris; qu'il n'y avoit que M. de Champlâtreux qui n'étoit guère content; enfin, sa lettre m'a fait un plaisir admirable; je ne savois pas trop bien d'où me venoit mon opiniâtreté, c'étoit justement cela. Je fais ici un certain tripotage à mes mains avec de la moelle de cerf et de l'eau de la Reine d'Hongrie, qui me fera, dit-on, des merveilles. Ce qui m'en fait beaucoup, c'est le tems miraculeux qu'il fait ; ce sont de ces beaux jours de crystal de l'automne, qui ne sont plus chauds, qui ne sont pas froids: enfin, j'en suis charmée ; je me tiens dehors depuis six heures du matin jusqu'à cinq heures du soir; je n'en perds pas un moment, et (1) L'assemblée des États de Provence qui se tient à Lombesc,

à cinq heures, avec une obéissance admirable, je me retire, mais ce n'est pas sans m'humilier, reconnoissant, avec bien du plaisir, que je suis une misérable mortelle, et qu'une sotte timidité me fait rompre avec l'aimable serein, le plus ancien de mes amis, que j'accuse peut-être injustement de tous les maux que j'ai eus. Je me jette dans l'Eglise, et je me ferme les yeux, jusqu'à ce qu'on vienne me dire qu'il y a des flambeaux dans ma chambre: il me faut une obscurité entière dans l'entre-chien et loup, comme les bois, ou une Eglise, ou que l'on soit trois ou quatre à causer; enfin, je me gouverne selon vos intentions.

La nouvelle de Brisacier est toute assurée : on a découvert par des lettres qu'il écrivoit au Roi de Pologne, qu'il travailloit à le détourner de l'amitié de notre Monarque; de sorte qu'il est à la Bastille, et sa destinée est encore incertaine entre la potence et le Duché.

Pour l'Allemagne, il y auroit beaucoup à dire. Le Général a été encore un peu mortifié, en faisant escorter des convois; il est obligé de se rapprocher de nous, pendant que ces brutaux d'Allemands, dès qu'il aura repassé le Rhin, se mettront autour de Brisach, comme ils firent l'année passée à Philisbourg: cela seroit assez impertinent. Il y a beaucoup de division dans cette armée, j'entends celle de M. de Luxembourg. Je reçois un billet de d'Hacqueville, qui fut mercredi à Versailles, pour voir faire et envoyer cette manière de règlement pour l'assem

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