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bourg (1) a mieux fait l'oraison funèbre de M. de Turenne que M. de Tulle, et que le Cardinal de Bouillon lui fera avoir une Abbaye; tout cela, sans préjudice des chansons. A propos de Cardinal, ce que vous avez dit, sans sacrilege dans le Conclave ni peccadille par le chemin, est une chose admirable. Monsieur DE SÉVIGNÉ.

Me voici quasi établi comme vous le souhaitez. J'ai la cuisse bleue, il est vrai; mais je ne conviens pas de la tête verte: je voudrois pourtant bien avoir changé du bleu de ma cuisse contre un peu de verdure à ma tête ; j'en marcherois beaucoup mieux et plus légèrement, J'ai reçu votre lettre, ma petite sœur je vous remercie de vos soins et de votre inquiétude; je crois, si je ne me trompe, que nous serons le mieux du monde ensemble cet hiver: vous savez pourtant que je vous ai promis de ne jamais oublier votre cœur ni votre âme intéressée : à cela près, je penserai assez de bien de vous, malgré vos irrésolutions, dont on m'a dit d'assez grandes impertinences : nous vous en gronderons tout à loisir; venez seulement voir ma très-chère bonne maman, qui se porte à merveilles, et qui est belle comme un ange. Si votre retour ne vous paroît pas nécessaire pour lui redonner la santé, sachez qu'il l'est

(1) Le Maréchal de Luxembourg éprouva dans ce tems-là ce qui arrive à la plupart des grands hommes. Il fut d'abord en butte aux traits de l'envie et de la malignité; mais enfin l'une et l'autre se turent devant ses victoires, et firent place aux louanges et à l'admiration.

fort pour l'y maintenir, et l'un vaut bien l'autre. Venez, Reine des Dieux ; venez, venez, favorable Cybèle*. Vous nous paroîtrez bien descendue des cieux; mais quoique vous veniez sans équipage, vous ne vous trouverez pas tombée des nues; maman mignone a pourvu à tout. Adieu, ma belle petite sœur; je fais mille complimens et mille amitiés à M. de Grignan.

Madame DE SÉVIGNÉ.

Je suis une sotte; j'ai offensé la géographie : vous ne passez point par Moulins, la Loire n'y va point. Je vous demande pardon de mon impertinence; mais venez m'en gronder et vous moquer de moi. * Vers de l'opéra d'Atys.

LETTRE 469.

A la même.

à Livry, mercredi 28 Octobre 1676.

On ne peut jamais être plus étonnée que je le suis, de vous voir écrire que le mariage de M. de la Garde est rompu. Il est rompu! hé, bon Dieu! n'avezvous point entendu le cri que j'ai fait? Toute la forêt l'a répété, et je suis trop heureuse d'être en un lieu où je n'aie de témoins de ce premier étonnement que les échos. Je saurai bien prendre dans la ville tous les tons d'une amie, et même je n'y aurai pas de peine. J'approuvois son choix, par la grande estime que j'ai pour lui; et par la même

raison, je change comme lui. Plût à Dieu qu'il fût disposé à revenir avec vous! vraiment ce seroit bien là un conducteur comme je le voudrois.

Je suis étonnée que l'assemblée ne soit point encore commencée. M. de Pompone croyoit que ce dût être le 15 de ce mois. Vous passerez donc encore la Toussaint à Grignan; mais après cela, ma trèschère, ne penserez-vous point à partir? Je vous ai dit tant de choses là-dessus, et vous savez si bien ce que je pense, que je ne dois plus vous rien dire. Le Frater est toujours ici, attendant les attestations. qui lui feront avoir son congé. Il clopine; il fait des remèdes ; et quoiqu'on nous menace de toutes les sévérités de l'ancienne discipline, nous vivons en paix, dans l'espérance que nous ne serons point pendus. Nous causons et nous lisons: le compère, qui sent que je suis ici pour l'amour de lui, me fait des excuses de la pluie, et n'oublie rien pour me divertir; il y réussit à merveilles.

Monsieur DE SÉVIGNÉ.

La fille du Seigneur Alcantor n'épousera donc point le Seigneur Sganarelle, qui n'a que cinquantecinq ou cinquante-six ans (1): j'en suis fâché, tout étoit dit, tous les frais étoient faits. Je crois que la difficulté de la consommation a été le plus grand obstacle; le Chevalier de la Gloire (2) ne s'en trouvera pas plus mal; cela me console. Ma mère est ici

(1) Voyez la Scène II du Mariage forcé, Comédie de Molière. (2) Le Chevalier de Grignan.

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pour l'amour de moi; je suis un pauvre criminel, que l'on menace tous les jours de la Bastille ou d'être cassé. J'espère pourtant que tout s'apaisera par le retour prochain de toutes les troupes. L'état où je suis pourroit tout seul produire cet effet; mais ce n'est plus la mode. Je fais donc tout ce que je puis pour consoler ma mère, et du vilain tems, et d'avoir quitté Paris : mais elle ne veut pas m'en ́tendre quand je lui parle là-dessus. Elle revient toujours sur les soins que j'ai pris d'elle dans sa maladie; et, à ce que je puis juger par ses discours, elle est fort fâchée que mon rhumatisme ne soit pas universel, et que je n'aie pas la fièvre continue, afin de pouvoir me témoigner toute sa tendresse et toute l'étendue de sa reconnoissance. Elle seroit tout à fait contente, si elle m'avoit seulement vu en état de me faire confesser; mais, par malheur, ce n'est pas pour cette fois : il faut qu'elle se réduise à me voir clopiner, comme clopinoit jadis M. de la Rochefoucauld, qui va présentement comme un Basque. Nous espérons vous voir bientôt ; ne nous trompez pas, et ne faites point l'impertinente; on dit que vous l'êtes beaucoup sur ce chapitre. Adieu, ma belle petite sœur ; je vous embrasse mille fois du meilleur de mon cœur.

LETTRE

JE

LETTRE 470.

A la même.

A Livry, vendredi 30 Octobre 1676.

E reçois avec tendresse, ma chère enfant, ce que vous me dites pour fortifier mon cœur et mon esprit contre les amertumes de la vie, à quoi je ne puis m'accoutumer: rien n'est plus raisonnable ni plus chrétien ; et de quelque façon que vous le preniez, c'est toujours avoir soin de ma rate, car la sagesse que vous m'enseignez ne me seroit pas moins salutaire que la joie. Je finis ce discours, non pas que je n'eusse beaucoup de choses à dire, si je voulois vous parler de mes sentimens, mais parce que ce n'est pas la matière d'une lettre.

On dit des merveilles de notre bon Pape*, et cela retombe en louanges sur le Cardinal de Retz. Pour M. de Paris (de Harlay), ce sont d'autres merveilles, il a emporté contre les Commissaires qui avoient la conscience plus délicate que lui, que le

* Benoît Odescalchi, Innocent XI, élu le 21 Septembre. Comme il étoit fils d'un banquier, Pasquin dit : Invenerunt hominem sedentem in telonio. C'étoit (dit Voltaire) un homme vertueux, un Pontife sage, peu théologien, Prince courageux, ferme et magnifique. Il fut long-tems en querelle avec Louis XIV. On raconte de lui une naïveté qui prouve seulement qu'il n'étoit pas grand latiniste. Son secrétaire lui lisoit des bulles qu'il avoit rédigées, et les lui expliquoit en italien. Le Pape pleurant de joie, s'écria: Che cosa diranno di noi nella posterità, quando vedranno cosi bélla latinità nostra,

TOME IV.

K

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