Images de page
PDF
ePub

d'armes, comme le Pape le demande; mais enfin, dans toutes ces incertitudes, prenez une résolution, et venez, de bon cœur et de bonne grâce, me combler de la plus sensible joie que je puisse avoir en ce monde. Je suis persuadée que M. de Grignan y consentira de bon cœur; il m'en écrit trop sincèrement pour que j'en puisse douter. Une plus longue incertitude ne seroit pas bonne pour cette santé que vous aimez tant; en sorte que je me rends à toute l'espérance que j'avois, et je suis persuadée que vous viendrez, comme vous me l'avez promis.

Je suis ici depuis dimanche. J'ai voulu aller à Saint-Germain parler à M. Colbert de votre pension ; j'y étois très-bien accompagnée : M. de SaintGéran, M. d'Hacqueville, et plusieurs autres, me consoloient par avance de la grâce que j'attendois. Je lui parlai donc de cette pension, je touchai un mot des occupations continuelles et du zèle pour le service du Roi; un autre mot des extrêmes dépenses à quoi l'on étoit obligé, et qui ne permettoient pas de rien négliger pour les soutenir; que c'étoit avec peine que M. l'Abbé de Grignan et moi, nous l'importunions de cette affaire : tout cela étoit plus court et mieux rangé; mais je n'aurai nulle fatigue à vous dire la réponse : Madame, j'en aurai soin ; et me remène à la porte, et voilà qui est fait *.

* Cette réponse, si laconique qu'elle fût, étoit un grand effort, et une marque de considération. La plupart du tems, Colbert gardoit un silence absolu et une immobilité complète. Madame TOME IV.

L

Je fus dîner chez M. de Pompone; les Dames n'y étoient pas; je fis les honneurs à sept ou huit cour tisans, et je revins sans voir personne: on m'auroit parlé de mon fils, de ma fille, que pourrois-je en dire? Voilà mon voyage, que je crains fort qui ne vous soit inutile. J'espère cependant que cela viendra; mais il est certain que personne n'est encore payé. Si vous chargiez un de vos gens d'une affaire de conséquence, et que dans ce tems, il vous priât de lui payer une pistole que vous lui devriez, ne le feriez-vous pas ? Mais ce n'est pas la mode ici. On me conseille toujours de ne point demander le congé de mon fils, et d'attendre toujours ce qui arrivera en Allemagne : mais cela est un peu ennuyeux; et quand j'aurai passé encore quelques jours à Livry, je reviendrai ici, pourvu que j'aie la vue de vous attendre; car sans cela, je vous assure que je me trouverois encore mieux à Livry qu'à Paris.

On ne joue plus tous ensemble comme on faisoit à Versailles. Tout est à Saint-Germain comme il étoit. M. de Pompone m'a dit qu'à Rome, il n'est question que de notre Cardinal ; il n'en vient point de lettres qui ne soient pleines de ses louanges: on vouloit l'y retenir, pour être le conseil du Pape; il s'est encore acquis une nouvelle estime dans ce dernier voyage. Il a passé par Grenoble pour voir

Cornuel lui dit un jour, impatientée d'une telle réception, Au moins, Monsieur, faites-moi quelque signe que yous m'entendez,

sa nièce, mais ce n'est pas sa chère nièce : c'est une chose bien cruelle de ne plus espérer la joie de le revoir; savez-vous bien que cela fait une de mes tristes pensées ? La paix de Pologne est faite, mais romanesquement. Ce héros (1), à la tête de quinze mille hommes, entouré de deux cents mille, les a forcés, l'épée à la main, à signer le traité. Il s'étoit campé si avantageusement, que depuis la Calprenède (2), on n'avoit rien vu de pareil; c'est la plus grande nouvelle que le Roi pût recevoir, par les ennemis que le Roi de Pologne et le GrandSeigneur vont nous ôter de dessus les bras. Le Marseille (l'Evêque) a déjà mandé qu'il avoit eu bien de la peine à conclure cette paix; c'est à peu près la même peine qu'il eut quand on élut ce brave Roi (3).

Dangeau a voulu faire des présens, aussi bien que Langlée : il a commencé la ménagerie de Clagny il a ramassé pour deux mille écus de toutes les tourterelles les plus passionnées, de toutes les truies les plus grasses, de toutes les vaches les plus pleines, de tous les moutons les plus frisés, de tous les oisons les plus oisons, et fit hier passer en revue tout cet équipage, comme celui de Jacob, que vous avez dans votre cabinet de Grignan.

Je reçois votre lettre du 10 de ce mois; je suis vraiment bien contente de la bonne résolution que

(1) Jean Sobieski, Roi de Pologne.

(2) Auteur de plusieurs Romans très-estimés. (3) Cette élection s'étoit faite le 10 Mai 1674.

La

vous prenez; elle sera approuvée de tout le monde, et vous êtes fort loin de comprendre la joie qu'elle me donne. Ce fut dans le chagrin de vos incertitudes, que je voulus vous dire que, bien loin de m'aimer plus que vous ne disiez, vous m'aimiez moins, puisque vous ne vouliez point me venir voir : voilà l'explication de cette grande rudesse ; mais je change de langage en changeant mon humeur chagrine contre une véritable joie. Je crois que la vôtre n'a pas été médiocre de voir le Cardinal de Bouillon; vous aviez bien à causer ensemble. Ce que je vous ai mandé du Cardinal de Retz se rapporte bien à tout ce que vous m'en dites : je crois que vous êtes aussi blessée que moi de la pensée de ne plus le voir. Je suis fort contente de vos conducteurs; ayez soin de m'avertir de tous vos pas Je suis fort aise de savoir que l'ouverture de l'assemblée s'est faite comme il convenoit, et que le petit discours a été bien et gentiment prononcé. Je m'en vais demain à Livry passer encore cinq ou six jours avec votre frère, et puis je reviens ici, n'étant plus occupée que de votre retour et de tout ce qui en dépend.

UN

LETTRE 476.

A la même.

à Livry, vendredi 20 Novembre 1676.

N bonheur n'arrive jamais seul. J'avois reçu votre lettre du 10, qui me plaisoit beaucoup; je venois d'y faire réponse; je reçus, une heure après, un billet du Chevalier de Grignan, qui me manda de Saint-Germain que les ennemis du Baron se retiroient, et qu'au lieu de s'en aller clopin-clopant, comme il avoit résolu, au-devant de sa compagnie, il seroit en liberté de revenir dans cinq ou six jours, et qu'apparemment la Fare (1) seroit la colombe qui apporteroit le rameau d'olivier. Il me manda aussi que votre pension seroit bientôt payée. Tout cela me fit gaillarde, et je revins hier trouver mon fils, qui prit pour le moins la moitié de ma joie. Notre séjour ici sera fort court; je m'en irai songer à vous bien recevoir, et à m'en aller au-devant de vous. Je fais mille amitiés à vos deux conducteurs; mon Dieu, les honnêtes gens! Je verrai M. le Cardinal de Bouillon, dès qu'il sera arrivé. Je crois que Vineuil fera fort bien la vie du héros. Ce que vous dites du conclave est admirable: mais savez-vous bien que je ne comprends point trop que notre Cardinal ait passé assez près de vous, qu'il ait pu

(1) M. de la Fare étoit Sous-Lieutenant de la Compagnie des Gendarmes-Dauphins; M. de Sévigné en étoit Enseigne; it acheta la charge du Marquis de la Fare en Juin 1677.

« PrécédentContinuer »