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vous voir, et qu'il ne l'ait pas fait ? Il vous a témoigné tant d'amitié, qu'il n'est pas aisé d'imaginer qu'il ait eu plus d'envie de voir sa nièce de Sault que sa chère nièce : enfin, il ne l'a pas jugé à propos. Je souhaite que vous vous accommodiez mieux que moi de la peusée de ne le voir jamais ; je suis destinée à périr par les absences.

On espère fort la paix ; et je crois que vous pourrez obtenir le congé de M. de Grignan, s'il n'arrive rien de nouveau. Madame de Vins passa un jour tout entier avec moi; il me semble qu'elle vous aime fort, et qu'elle meurt d'envie de faire quelque chose de bon avec vous.

Monsieur DE SÉVIGNÉ.

Je me doutois bien que la comparaison du soleil vous toucheroit, et qu'elle pourroit vous faire hâter votre voyage, pour achever la parfaite conformité de vous à ce grand astre. J'espère que nous ne serons pendus ni les uns ni les autres; nos ennemis s'en vont, et ma liberté approche par conséquent. Pour M. de Grignan, j'apprends que les Provençaux sont plus dociles que je ne croyois : notre famille ne sera donc point honnie pour ce coup. Vous avez eu le petit Cardinal; je suis fâché que le grand n'y ait pas été aussi; cette petite entrevue, qui auroit été proprement un dernier adieu, vous auroit fait plaisir, malgré les tristes réflexions qui l'auroient suivie. Adieu, ma très-belle, adieu, mon soleil; vous ferez bien de nous venir réchauffer, car celui-ci

ne fait guère bien son devoir : il ne faut pourtant pas s'en plaindre.

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LETTRE 477.

A la même.

à Livry, mercredi 25 Novembre 1676.

JE E me promène dans cette avenue; je vois venir un courrier. Qui est-ce ? c'est Pomier; ah, vraiment! voilà qui est admirable. Et quand viendra ma fille? Madame, elle doit être partie présentement. Venez donc que je vous embrasse. Et votre don de l'assemblée ? Madame, il est accordé. — A combien ? A huit cents mille francs. Voilà qui est fort bien, notre pressoir est bon, il n'y a rien à craindre, il n'y a qu'à serrer, notre corde est bonne. Enfin, j'ouvre votre lettre, et je vois un détail qui me ravit. Je reconnois aisément les deux caractères, et je vois enfin que vous partez. Je ne vous dis rien sur la parfaite joie que j'en ai. Je vais demain à Paris avec mon fils; il n'y a plus de danger pour lui. J'écris un mot à M. de Pompone, pour lui présenter notre courrier. Vous êtes en chemin par un tems admirable; mais je crains la gelée. Je vous enverrai un carrosse où vous voudrez. Je vais renvoyer Pomier, afin qu'il aille ce soir à Versailles, c'est-à-dire, à Saint-Germain. J'étrangle tout, car le tems presse. Je me porte très-bien, et je vous embrasse mille fois.

LA

LETTRE 478.

A la même.

à Paris, vendredi 27 Novembre 1676.

ENFIN, ma très-chère et très-aimable, je vous écris à Valence; ce changement me ravit. J'espère que vous aurez passé sagement ces terribles bords du Rhône, et que je recevrai de vos nouvelles, pour savoir où vous envoyer un carrosse: si vous voulez que ce soit à Briare, je l'approuve très-fort, et vous serez servie à point nommé. Je revins hier de Livry : je ramenai le Frater, parce que la Fare est arrivé, et que voilà qui est fini. Je vis en arrivant le Chevalier de Grignan, M. d'Hacqueville, Madame de Vins et M. de la Trousse; nous parlâmes fort de votre retour. Je vous ai mandé comme j'avois vu Pomier à Livry, et comme je le renvoyai à SaintGermain avec un billet pour M. de Pompone. Le voilà qui entre; il a présenté vos paquets à M. de Pompone, qui les a très bien reçus. La nouvelle des huit cents mille francs a été très-agréable au Roi et à tous ses Ministres. On a promis pour lundi l'ordonnance; j'aurai soin de tout. Madame de Vins se charge du congé de M. de Grignan, Sa Majesté a eu un habit si beau, si riche, que tout le monde veut y entendre finesse. Adieu, ma très-belle; je ne sais ce que j'ai, je n'ai plus de goût à vous écrire : d'où vient cela? seroit-ce que je ne vous aime plus? en vérité, je ne le crois pas, ni vous non plus. J'ai

une envie extrême de vous entendre conter bien des choses, et de vous embrasser de tout mon cœur.

VOICI

LETTRE 479.

A la même.

à Paris, mercredi 9 Décembre 1676.

OICI encore une lettre qu'il faut que je vous écrive à Lyon. J'attends ce soir de vos nouvelles : je ferai un étrange bruit, si j'apprends que vous ayez différé votre départ. Je m'en vais vous gronder, ma fille, de deux ou trois choses: vous ne m'avez pas mandé comment vous avez trouvé la petite Religieuse à Sainte-Marie; vous savez que je l'aime fort joliment. Vous ne m'avez point parlé de l'affaire de vos Procureurs du pays. J'ai oublié la troisième: si elle me revient, elle vous reviendra. Je fais bien d'être ainsi méchante pendant que vous êtes à Lyon; çar vous ne serez pas assez fâchée pour vous en retourner à Grignan : mais si vous étiez encore à Aix, vous me croiriez de si mauvaise humeur que vous ne viendriez point me voir. Je vous dirai que, pour me venger, je viens d'envoyer à M. de Grignan un paquet de M. de Pompone, tout rempli d'agrément et de douceurs. M. de Pompone a glissé fort à propos nos cinq mille francs. Le Roi dit en riant: On dit tous les ans que ce sera pour la dernière fois. M. de Pompone, en riant, répliqua: Sire, ils sont employés à vous bien servir. Sa Majesté apprit aussi que le

Marquis de Saint-Andiol (1) étoit Procureur du pays; le sourire continua, comme disant qu'on voyoit bien la part qu'avoit M. de Grignan à cette nomination. M. de Pompone lui dit : Sire, la chose a passé d'une voix, sans aucune contestation ni cabale. Cette conversation finit, et se passa fort bien.

Ah! j'ai retrouvé ma gronderie; c'est que si vous aviez demandé plutôt cette Sénéchaussée de Grasse, vous l'auriez eue; le Chevalier de Séguiran la demanda, et l'obtint, il y a trois semaines; il l'a vendue dix mille francs, qui vous auroient été fort bons. Il n'en coûte rien de proposer certaines choses; on s'amuse au moins à voir si elles sont possibles. Adieu, ma très-aimable, vous voilà toute grondée; et vous verrez qu'après cette bouffée de méchanceté, vous ne trouverez plus que de la douceur, et une tendresse, et une joie extrême en vous embrassant. Voilà le Chevalier et Corbinelli qui ne veulent plus vous écrire. L'Abbé de la Victoire (Lenet) mortuus et sepultus est.

(1) Laurent Varadier, Marquis de Saint-Andiol, beau-frère de M. de Grignan.

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