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il vous a vue et regardée; vous lui avez parlé, l'avez assuré que vous étiez mieux ; je voudrois que vous sussiez comme il me paroît heureux; et ce que je ne donnerois point déjà pour avoir cette joie. Il faut penser, ma fille, à vous guérir l'esprit et le corps, et si vous ne voulez point mourir dans votre pays, et au milieu de nous, il faut ne plus voir les choses que coinme elles sont, ne point les grossir dans votre imagination, ne point trouver que je suis malade, quand je me porte bien : si vous ne prenez cette résolution, on vous fera un régime et une nécessité de ne jamais me voir : je ne sais si ce remède seroit bon pour vous; quant à moi, je vous assure qu'il seroit indubitable pour finir ma vie. Faites sur cela vos réflexions; quand j'ai été en peine de vous, je n'en avois que trop de sujet ; plût à Dieu que ce n'eût été qu'une vision! le trouble de tous vos amis, et le changement de votre visage, ne confirmoient que trop mes craintes et mes frayeurs. Travaillez donc, ma chère enfant, à tout ce qui peut rendre votre retour aussi agréable, que votre départ a été triste et douloureux. Pour moi, que faut-il que je fasse ? dois-je me bien porter? je me porte très-bien? dois-je songer à ma santé? j'y pense pour l'amonr de vous; dois-je enfin ne me point inquiéter sur votre sujet ? c'est de quoi je ne vous réponds pas, quand vous serez dans l'état où je vous ai vue. Je vous parle sincèrement : travaillez là-dessus: et quand on vient me dire présentement, vous voyez comme elle se porte; et vous-même,

vous êtes en repos: : vous voilà fort bien toutes deux. Oui, fort bien, voilà un régime admirable; tellement que pour nous bien porter, il faut que nous soyons à deux cents mille lieues l'une de l'autre; et l'on me dit cela avec un air tranquille; voilà justement ce qui m'échauffe le sang, et me fait sauter aux nues. Au nom de Dieu, ma fille, rétablissons notre réputation par un autre voyage, où nous soyons plus raisonnables, c'est-à-dire vous, et où l'on ne nous dise plus vous vous tuez l'une l'autre. Je suis si rebattue de ces discours, que je n'en puis plus; il y a d'autres manières de me tuer qui seroient bien plus sûres.

Je vous envoie ce que m'écrit Corbinelli de la vie de notre Cardinal et de ses dignes occupations. M. de Grignan sera bien aise de voir cette conduite. Vous aurez trouvé de mes lettres à Lyon. J'ai vu le Coadjuteur, je ne le trouve changé en rien du tout; nous parlâmes fort de vous: il me conta la folie de vos bains, et comme vous craigniez d'engraisser; la punition de Dieu est visible sur vous; après six enfans, que pouviez-vous craindre? Il ne faut plus rire de Madame de Bagnols après une telle vision, J'ai été à Saint-Maur avec Madame de Saint-Géran et d'Hacqueville; vous fûtes célébrée : Madame de la Fayette vous fait mille amitiés.

MONSIEUR et MADAME sont à une de leurs terres, et iront encore à une autre; tout leur train est avec eux. Le Roi ira les voir; mais je crois qu'il aura

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son train aussi. La dureté * ne s'est point démentie: trouvera-t-on encore des dupes sur la surface de la terre? On attend des nouvelles d'une bataille à sept lieues de Commercy : M. de Lorraine voudroit bien la gagner au milieu de son pays, à la vue de ses villes; M. de Créqui voudroit bien ne pas la perdre, par la raison qu'une et une seroient deux. Les armées sont à deux lieues l'une de l'autre, non pas la rivière entre deux, car M. de Lorraine l'a passée; je ne hais pas l'attente de cette nouvelle; le plus proche parent que j'aie dans l'armée du Maréchal de Créqui, c'est Boufflers. Adieu, ma très-chère; profitez de vos réflexions et des miennes, aimezmoi, et ne me cachez point un si précieux trésor. Ne craignez point que la tendresse que j'ai pour vous me fasse du mal, c'est ma vie.

* Envers Madame de Ludre. Son règne n'avoit duré que deux ans. Madame de Montespan avoit persuadé au Roi, qu'elle étoit pleine de dartres. « Ce sont (dit MADAME) les plus beaux >> traits qu'on puisse voir ». Son portrait se trouve au Muséum, daus la collection de Petitot.

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LETTRE 488.

A la même.

à Paris, vendredi 18 Juin 1677.

E pense aujourd'hui à vous, comme étant arrivée d'hier au soir à Lyon, assez fatiguée, ayant peutêtre besoin d'une saignée pour vous rafraîchir. Vous avez dû être incommodée par les chemins; j'espère que vous m'aurez mandé de vos nouvelles de Châlons, et que vous m'écrirez aussi de Lyon. Je m'en vais chercher des Grignans; je ne puis vivre sans en avoir pied ou aîle. Je passerai chez Mademoiselle de Méry: enfin, il me faut de vos nouvelles. Vous avez reçu des miennes à Châlons et à Lyon. Voici la seconde à Montelimart, et le plaisir de l'éloignement, c'est que vous rirez de me voir encore parler de Lyon et du voyage: cependant j'en suis encore là aujourd'hui; mais pour me transporter tout à coup au tems présent, comment vous portez-vous dans votre château? avez-vous trouvé vos jolis enfans dignes de vous amuser? votre santé est-elle comme je la désire? Ma fille, les jours passent, comme vous dites; et au lieu d'en être aussi fâchée que je le suis quand vous êtes ici, je leur prête la main pour aller plus vite, et je consens de tout mon cœur à leur rapidité, jusqu'à ce que nous soyons ensemble. Je me fie à la Garde pour vous mander les nouvelles, et vous dire le dégoût qu'a eu M......: on l'a trouvé un paresseux, un homme

haïssant le métier; ce qui s'appelle le contraire d'un bon Officier. Qu'a-t-on fait, on a taxé sa charge, achetée quarante-cinq mille écus, à cent mille francs, et il a été obligé de prendre, pour la moitié, la charge de Villarceaux. Sa femme a crié aux pieds du Roi, qui a dit que ce n'étoit pas aussi pour lui faire plaisir qu'on l'ôtoit du service. On va chez M. de Louvois; il dit que le Roi ne veut point être servi de cette sorte ; enfin, la mortification est complète, et fait voir qu'il n'y a plus aujourd'hui de péché mortel, qui soit si sévèrement puni que celui de paresse il y a des accommodemens à tous les autres; à celui-là point de pardon. Je vous quitte pour aller faire un tour de ville.

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Me voilà de retour. J'ai entendu le salut avec la bonne Marquise d'Uxelles ; je voulois voir ensuite Mademoiselle de Méry; elle étoit allée avec Madame de Moreuil. J'ai été chercher des Grignans, car il m'en falloit. Le Coadjuteur venoit de partir pour venir ici; j'ai recouru après lui, et le voilà; il vous écrit. Je vous conjure, ma fille, si vous m'aimez, de ne point loger dans votre appartement à Grignan; le Coadjuteur dit que le four est sous votre lit, je connois celui qui est au-dessus ; de sorte que si vous ne vous tirez de tous ces fours, vous serez plus échauffée que vous ne l'étiez ici; contentez-moi làdessus. J'ai appris que le Roi fut à Saint-Cloud; il étoit seul, et la belle étoit au lit. On vous mandera si les Dames ne furent pas le trouver; je n'en ai rien ouï dire jusqu'à présent. Le bel Abbé vous contera

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