Images de page
PDF
ePub

LETTRE 514. "

Du Comte de Bussy à M. DE CORBINELLI.

à Chaseu, ce Septembre 1677.

Il n'y a pas long-tems que je vous ai fait réponse, Monsieur, dans une lettre que j'écrivis à Madame de Sévigné, et me revoici avec elle dans une feuille de papier *, vous écrivant tous deux de ce Château, où nous avons passé si doucement un an ensemble. Il étoit agréable alors, il l'est aujourd'hui davantage, et notre amie en est contente. Nous l'aurions été bien plus si vous aviez été de la partie, et Lucien que nous avons lu, nous auroit encore paru plus divertissant. La veuve qui vous plaît tant, m'a aidé à faire l'honneur de ma maison. J'oubliois de vous dire que nous allâmes cinq lieues au-devant de la Marquise. Elle nous fit mettre dans son carrosse ne voulant fier sa conduite qu'à un cocher célèbre qu'elle a depuis peu. A la vérité, à un quart de lieue de la dînée, il nous versa dans le plus beau chemin du monde. Le bon Abbé de Coulanges étant tombé sur sa nièce, et Toulongeon sur la sienne, cela nous donna un peu de relâche. Mais admirez la fermeté de notre amie, et son bon naturel. Dans le moment que nous versâmes, elle parloit de l'histoire de Don Quichotte. Sa chute ne l'étourdit

* La lettre de Madame de Sévigné à la suite de laquelle se trouvoit celle-ci est perdue, comme toutes celles qu'elle avoit écrites à Corbinelli.

[ocr errors]

point, et pour nous montrer qu'elle n'avoit pas la tête cassée, elle dit qu'il falloit remettre le chapitre de Don Quichotte à une autre fois, et demanda comment se portoit l'Abbé. Il n'eut non plus de mal que les autres. On nous releva, et ma Cousine fut trop heureuse de se remettre à la condujte du cocher de ma fille, qu'elle avoit tant méprisé. Vous croyez bien que notre aventure ne tomba pas à terre, comme nous avions fait. Nous badinâmes quelque tems sur ce chapitre; et ce fut-là où nous commençâmes à vous trouver à redire.

LETTRE 515.

Madame DE SÉVIGNÉ à Madame DE GRIGNAN.

à la Palice, vendredi au soir 3 Septembre 1677.

Vous ous voyez bien, ma très-chère, que me voilà à Vichi, c'est-à-dire, j'y dînerai demain 4 de ce mois, comme je vous l'avois promis. Je vous écrivis de Saulieu, avec M. de Guitaut, une assez folle lettre je vous en ai écrit quatre d'Epoisses, où j'ai reçu toutes celles qui me sont revenues de Paris. J'ai été prise et retenue en Bourgogne d'une telle sorte, que si, par hasard, je ne m'étois souvenue de vous, et que vous vouliez que je prisse les eaux, je crois que je m'y serois oubliée. J'ai été chez Bussy, dans un château qui n'est point Bussy, qui a le meilleur air du monde, et dont la situation est admirable. La Coligny (1) y étoit : vous savez

(1) Fille du Comte de Bussy, et la même qui épousa M. de la Rivière en Juin 1631.

qu'elle est aimable : il y auroit beaucoup à parler; mais je réserve ces bagatelles pour une autre fois. Il a fallu aller dîner chez M. d'Autun, le pauvre homme et puis chez M. de Toulongeon; et le jour que j'en de vois partir, il fallut demeurer pour parler de nos affaires avec le Président de Berbisi, qui venoit m'y trouver. Enfin, me voilà sur votre route de Lyon, à vingt lieues de Lyon. Je serois mardi à Grignan, si Dieu le vouloit; hé, mon Dieu ! il faut détourner cette pensée, ma chère enfant; elle fait un dragon, si l'on ne prend un soin extrême de la gouverner. Parlons de la traverse d'Autun ici, qui est un chemin diabolique. J'ai dit adieu pour jamais partout où j'ai passé. Je suis ici dans le château de cette bonne Saint-Géran, qui m'a reçue comme sa fille. Vous y avez passé, ma fille : tout m'est cher à mille lieues à la ronde. Je suis à plaindre quand je n'ai point de vos nouvelles : cela me fait une tristesse qui ne m'est pas bonne. Depuis Epoisses, il y a sept jours, cela est long, j'en attends, voilà ce qui me soutient. Je vous prie de dire à M. de Grignan que je le conjure d'écrire à M. de Seignelai, ou à M. de Bonrepos, pour obtenir le congé de M. de Sévigné pour cet hiver, afin qu'il vienne solliciter un vaisseau. Il y a bien des places vacantes : le pauvre garçon m'a écrit quatre : fois; il ne sait que faire : il est à Messine, et me fait pitié; c'est sa vie, c'est son pain, aidez-moi à le secourir : vous savez comme il s'appelle : si cela ne vous touche, c'est mon filleul. On me presse

de donner cette lettre, la poste va passer. Adieu donc, ma très-chère et très-aimable. Il y a huit jours que je ne sais rien; mais quand j'ignore tout, je sais toujours que je vous aime de tout mon cœur.

LETTRE 516.

A la même.

à Vichi, samedi au soir 4 Septembre 1677.

J'AI 'AI reçu deux de vos lettres en arrivant, ma très-chère; j'en avois grand besoin

mon cœur

étoit triste, me voilà bien : je les relirai, ce m'est une consolation. Je vous promets de ne plus écrire qu'un mot, passé aujourd'hui ; mais faites-en donc de même ; vous êtes excédée d'écriture, et c'est être malade à votre âge, que d'être maigre au point que vous l'ètes; je hais, il est vrai, de voir si visiblement la côte d'Adam en votre personne. Ma fille, ne me grondez pas ce soir, je veux un peu parler: j'arrive; je me repose demain ; rien ne m'oblige à me taire. M. de Champlâtreux est déjà venu me voir; le bon Abbé le trouve d'une bonne société; il lui donnera souvent à dîner. Savez-vous qui m'a déjà envoyé faire un compliment? M. le Marquis de Termes, qui arriva hier tout malade de goutte et de colique : on dit qu'il a la barbe longue comme un capucin ah, c'est fort bien fait. Le Chevalier de Flamarens est avec lui, M. et Madame d'Albon y sont aussi, M. de Jussac : on attend encore bien du monde. J'oublie le meilleur, c'est Vincent qui

sort déjà d'ici, et qui prendra des soins de moi extrêmes. Je me porte très-bien; je ne sais que souhaiter de mieux, sinon de clouer ce bienheureux état. Je vous écrivis hier de la Palice; j'y vis un petit garçon que je trouvai joli; il a sept ans ; je - suis sûre qu'il ressemble au vôtre son père, qui est un Gentilhomme de M. de Saint-Géran, lui a appris l'exercice du mousquet et de la pique; c'est la plus jolie chose du monde; vous aimeriez ce petit enfant; cela lui dénoue le corps; il est délibéré, adroit, résolu. Son père passe sa vie à la guerre; il est convalescent à la Palice, et se divertit à rendre son fils un vrai petit soldat; j'aimerois mieux cela qu'un maître à danser : si le hasard vous envoyoit un tel homme, prenez le même plaisir sur ma parole. M. l'Archevêque a écrit au bon Abbé tout ce qui peut se mander d'obligeant et de tendre pour l'engager au voyage de Grignan ; mais je ne vois pas que cela l'ébranle, quoiqu'il en soit touché. J'aurois bien à causer sur vos deux lettres que voilà; mais quoique je ne sois pas encore initiée à la fontaine, je veux vous donner l'exemple. Un homme de la Cour disoit l'autre jour à Madame de Ludre: << Madame, vous êtes, ma foi, plus belle » que jamais ».«Tout de bon, dit-elle, j'en suis >> bien aise, c'est un ridicule de moins ». J'ai trouvé cela plaisant. Madame de Coulanges a des soins de moi admirables, je regarde autour de moi; est-ce que je suis en fortune? Elle me rend le tambourinage qu'elle reçoit de beaucoup d'autres. La

1

« PrécédentContinuer »