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tant de soin de votre santé, de vous empêcher de tomber dans le Rhône, par la cruelle hardiesse qui vous fait trouver beau de vous exposer aux endroits les plus périlleux : je les prie d'être des poltrons, et de descendre avec vous. Je trouve, au reste, que je serai bien heureuse de vous donner ma poule bouillie : la place que vous me demandez à ma table vous est bien parfaitement assurée; le régime que vos Grignans vous font observer est fait exprès pour mon ordinaire : je m'entends avec Guisoni pour le retranchement de tous les ragoûts. Venez donc, ma très-aimable, on ne vous défend pas d'être reçue avec un cœur plein d'une véritable tendresse ; c'est de ce côté que je vous ferai de grands festins.

Je suis fort aise de vous voir disposée, comme vous êtes, pour M. de Marseille : eh, mon Dieu, que cela est bien ! et qu'il y a de noirceur et d'apparence d'aigreur à conserver long-tems ces sortes de haines elles doivent passer avec les affaires qui les causoient : et, en effet, pourquoi se charger le cœur d'une colère nuisible en ce monde et en l'autre? Tout ce qui fàche M. de Grignan, c'est que votre médecin ait eu sur vous plus de pouvoir que votre confesseur. Le Chevalier est bien plaisant de vou→ loir empêcher la bise de souffler; elle est dans son château avant lui, et l'en chassera plutôt qu'elle n'en sera chassée. M. le Chancelier (d'Aligre) est. mort de pure vieillesse. J'ai mille bagatelles à vous conter; mais ce sera quand je vous verrai: mon Dieu, quelle joie ! je souhaite que l'or potable fasse

du bien à la belle Rochebonne. Madame de Sanzei prendroit tous les remèdes les plus difficiles pour être guérie (1). La fièvre reprend à tout moment à notre pauvre Cardinal; vous devriez joindre vos instances aux nôtres pour lui faire quitter un air si maudit; il ne peut pas aller loin avec une fièvre continuelle ; j'en ai le cœur bien triste.

C'est M. le Tellier qui est Chancelier; je trouve cela fort bien il est beau de mourir dans la dignité (2).

(1) D'une surdité qui lui étoit survenue.

(2) M le Tellier étoit âgé en ce tems-là de soixante-quatorze ans; il mourut le 28 Octobre 1685.

LETTRE 535.

Madame DE SÉVIGNE au Comte DE Bussy.

à Livry, ce 3 Novembre 1677.

Je suis venue ici passer les beaux jours, et dire adieu aux feuilles; elles sont encore aux arbres, elles n'ont fait que changer de couleur au lieu d'être vertes, elles sont aurore, et de tant de sortes d'aurore, que cela compose un brocard d'or riche et magnifique, que nous voulons trouver plus beau que du vert, quand ce ne seroit que pour changer. Je suis logée à l'hôtel de Carnavalet. C'est une belle et grande maison; je souhaite d'y être long tems; car le déménagement m'a beaucoup fatiguée. J'y attends la belle Comtesse, qui sera fort aise de

savoir que vous l'aimez toujours. J'ai reçu ici votre lettre de Bussy. Vous me parlez fort bien, en vérité, de Racine et de Despréaux. Le Roi leur dit, il y a quatre jours: Je suis fâché que vous ne soyez venus à cette dernière campagne, vous auriez vu la guerre, et votre voyage n'eût pas été long. Racine lui répondit : Sire, nous n'avions que des habits de ville, nous en commandâmes de campagne; mais les places que vous attaquiez furent plutôt prises que nos habits ne furent faits. Cela fut reçu agréablement. Vous savez que le Roi a fait M. le Tellier Chancelier; ce choix a plû à tout le monde. Il ne manque rien à ce Ministre pour être digne de cette place. Voilà une famille bien heureuse; ma Nièce de Coligny en devroit être. Cependant, voici un peu de fièvre quarte qui fait voir qu'elle est encore des nôtres. Ce que vous dites de la vieille P....... qu'elle n'en devoit pas faire à deux fois, quand elle fut si malade, un peu avant la maladie dont elle est morte, me donne le paroli. Je ne suis pas encore bien consolée de cet aprèsdîner que nous passâmes sur le bord de cette jolie rivière, sans y lire vos Mémoires. J'aurai de la peine à m'en passer jusqu'à l'année qui vient. Si je meurs entre-ci et ce tems-là, je mettrai ce regret au rang de ceux que j'aurai de quitter la vie. Nous parlons souvent, le bon Abbé et moi, de votre bonne chère, de l'admirable situation de Chaseu, et enfin, de votre bonne compagnie; et nous disons qu'il est fâcheux d'en être séparés quasi pour jamais.

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à Bussy, ce 6 Novembre 1677..

Je vous trouve de très-bon goût, Madame, de pré

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férer tous les différens aurores de l'Automne au vert du Printems; mais je remarque un peu d'amour-propre dans ce jugement: c'est adroitement dire que vous avez plus de mérite que la jeunesse : et ma foi vous avez raison; car la jeunesse n'a que du vert; et nous autres gens d'arrière-saison, nous sommes de cent mille couleurs, les unes plus belles que les autres.

Je ne doute pas que M. le Tellier ne remplisse aussi bien la charge de Chancelier qu'il a fait celle de Secrétaire d'Etat. Vous avez raison de vous récrier sur la bonne fortune de cette famille; elle est au dernier degré. Vous dites plaisamment que votre nièce de Coligny est si heureuse qu'elle en devroit être. Il est vrai aussi que son bonheur vient plutôt de sa modération que de ses grandes richesses, Vous avez raison de dire que la fièvre quarte de Madame de Coligny fait un peu voir qu'elle est encore des nôtres. Elle l'a jugé ainsi, et cela l'a mortifiée. C'est Alexandre qui connoît par sa blessure qu'il n'est pas fils de Jupiter, comme il l'avoit cru. Vous verrez ce que vous souhaitez tant de voir; mais n'allez pas aussi vous figurer un si grand

plaisir; car j'aurois trop de peine à remplir votre attente. Adieu, ma chère Cousine.

LETTRE 537.

Madame DE SÉVIGNÉ au Comte DE Bussy.

à Paris, ce 8 Décembre 1677.

MA fille est ici*; mais comme il n'y a pas un plaisir pur en ce monde, la joie que j'ai de la voir est fort troublée par le chagrin de sa mauvaise santé. Imaginez-vous, mon pauvre Cousin, que cette petite jolie personne, que vous avez trouvée si souvent à votre gré, est devenue d'une maigreur et d'une délicatesse qui la rend une autre personne; et sa santé est tellement altérée, que je ne puis y penser sans en avoir une véritable inquiétude. Voilà ce que le bon Dieu me gardoit, en me redonnant ma fille. Je ferois des réflexions d'ici à demain. Il vaut mieux vous demander des nouvelles de notre veuve : com'ment elle se trouve de sa fièvre quarte, et si l'hiver, joint avec ce triste mal, ne fait pas un grand trouble à la tranquillité de sa vie. Il n'y en a guère qui soit exempte de nuage. Je vous la recommande, et vous à elle. Il ne faut que le bonheur d'une si douce société pour adoucir toutes les peines. Croiriez-vous bien que je ne sais point de nouvelles? La prise de Fribourg nous a comblé de joie et de gloire, et a contraint le gazetier d'Hollande d'avouer bonne

* Madame de Grignan resta à Paris environ un an et dix mois. Voyez ci-après la page 393,

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