Images de page
PDF
ePub

LETTRE 574.

Madame DE SÉVIGNÉ à Madame DE GRIGNAN. à Livry, mercredi 25 Octobre 1679.

Je suis ici toute fine seule je n'ai pas voulu me charger d'un autre ennui que le mien : nulle compagnie ne me tente pour commencer sitôt mon hiver. Si je voulois, je me donnerois un air de solitude; mais depuis que j'entendis l'autre jour Madame de Brissac, qui disoit qu'elle étoit livrée à ses réflexions, et qu'elle étoit un peu trop avec elle-même, je veux me vanter d'être tout l'aprèsdîner dans cette prairie, causant avec nos vaches et nos moutons. J'ai de bons livres, et sur-tout Montaigne; que faut-il autre chose quand on nė vous a point? J'ai reçu ici votre dernière lettre ; vous me croyez à Paris auprès de mon feu, et vous recevrez auprès du vôtre mes lamentations sur les fatigues de votre voyage: l'horrible chose que d'ètre si loin! mais on ne peut être plus étonnée que je l'ai été de vous voir avec M. et Madame de Mêmes; j'ai cru que vous vous trompiez, et que c'étoit à Livry que vous alliez les recevoir. Les voilà qui m'écrivent donc d'une manière qui me fait comprendre qu'ils sont parfaitement contens de la bonne réception que vous leur avez faite : ils ils ont beaucoup d'envie de me voir; c'est la meilleure raison que j'aie pour m'en retourner inces

samment.

Vous

Vous avez raison de supprimer la modestie de Pauline, elle seroit usée à quinze ans : une modestie prématurée et déplacée pourroit faire de méchans effets. Vous vous moquez de remercier Corbinelli du bien qu'il dit de votre esprit; il le trouve seul au-dessus des autres; et quand il en parle, c'est pour dire ce qu'il pense, et non pour vous plaire, ni pour vous donner bonne opinion de vous. Il vouloit l'autre jour vous mettre un mot dans ma lettre sur les politesses que vous disiez pour lui; cela ne se rencontra pas; ce sera pour mon retour. M. et Madame de Rohan ne trouvent pas l'invention, sur deux mille cinq cents pistoles qu'ils ont reçues des Etats, de lui faire un présent sous le nom du petit Prince de Léon. Il y a de plaisantes étoiles; celle de Corbinelli est de mépriser ce que les autres adorent. Il est vrai que j'eus beaucoup de plaisir à les entendre, l'Abbé de Piles* et lui; ils étoient d'accord en bien des choses; il y en avoit de dures, sur quoi ils máchonnoient; M. de la Rochefoucauld appelle cela manger des pois chauds; ils en mangeoient donc, car dans cette forêt, on conclut juste. Le gros Abbé a commencé sa charge de gazetier; ne vous incommodez point pour les réponses, il a un style de gazette qu'il possède mieux que moi.

* C'est apparemment celui qui s'est fait connoître par ses ou vrages sur la peinture. Il avoit étudié en Sorbonne. Il voyagea ensuite en Italie avec le jeune Amelot dont il fit l'éducation. Il fut aussi employé dans les négociations.

TOME IV.

E e

trente ans,

Pour votre frère, c'est un homme admirable; il n'a jamais pu se passer de gâter les merveilles qu'il avoit faites aux Etats par un goût fichu, et par un amour sans amour, entièrement ridicule. L'objet s'appelle Mademoiselle de la Coste; elle a plus de elle n'a aucun bien, nulle beauté; son père dit lui-même qu'il en est bien fâché, et que ce n'est point un parti pour M. de Sévigné : il me l'a mandé lui-même; je l'en loue, et le remercie de sa sagesse. Savez-vous ce qu'a fait ensuite votre frère? Il ne quitte pas la Demoiselle; il la suit à Rennes et en Basse-Bretagne où elle va, sous prétexte d'aller voir Tonquedec : il lui fait tourner la tête; il la dégoûte d'un parti proportionné auquel elle est comme accordée : toute la Province en parle; M. de Coulanges et toutes mes amies de Bretagne m'en écrivent, et croient tous qu'il se mariera. Pour moi, je suis persuadée que non; mais je lui demande pourquoi décrier sans besoin sa pauvre tête, qui avoit si bien fait dans les commencemens? Pourquoi faire refuser à la Demoiselle ce parti qu'elle ne regarde plus qu'avec mépris? Pourquoi cette perfidie? Et si ce n'en est point une, elle a bien un autre nom, puisqu'assurément je ne signerois point à son contrat de mariage. S'il a de l'amour, c'est une folie qui fait faire encore de plus grandes extravagances ; mais comme je l'en crois incapable, je ferois scrupule, si j'étois en sa place, de troubler, de gaîté de cœur, l'esprit et la fortune d'une personne qu'il est si aisé

d'éviter. Il est aux Rochers, me parlant de ce voyage chez Tonquedec, mais pas un mot de la Demoiselle, ni de ce bel attachement : en général seulement, ce sont des tendresses infinies et des respects excessifs. Voilà de ces choses que j'abandonne à la Providence; car qu'y puis-je faire? Je 'suis pourtant persuadée que tout cela ne sera rien : j'écris des lettres admirables, qui n'auront que T'effet qu'il plaira à Dieu.

Ne vous ai-je point parlé de cette Mademoiselle de.....? Non, c'est à mon fils. Elle est mariée à M. de...., à qui, contre notre pensée, on a effectivement donné cent mille écus, cent mille écus bien comptés. Ils ont été éblouis de cette somme : ils sont avares; mais en même-tems on leur a donné la plus folle, la plus dissipatrice, la plus ceci, la plus cela, qu'il est possible d'imaginer. Après avoir été habillée comme une reine à son mariage par son père, elle a jeté encore douze mille francs à un voyage qu'elle fit à Fontainebleau; elle y entra dans le carrosse de la Reine; il n'y a pas de raillerie; elle donna cinquante pistoles aux valets-depied; elle joua; et tout à proportion. Elle en revint enfin; voici le diantre: père et mère navrés de douleur sur la dépense, et maudissant l'heure et le jour de son mariage, vinrent pleurer chez Madame de Lavardin qui les avoit avertis. Le mari vint ensuite, disant avec naïveté qu'il lui pleuvoit dans

Voyez aussi pour les suites de ce mariage la Lettre d'Août 1684 à M. de Sévigné.

la bouche (remarquez bien ce terme) des lettres d'avis de tous côtés de la mauvaise conduite passée et présente de sa femme, et qu'il étoit au désespoir. Madame de Lavardin rioit sous gorge, et conte tout cela fort plaisamment. Enfin, sans vous dire ses réponses ni ses conseils, voici la conclusion : une belle et grande maison qu'on avoit louée pour revenir cet hiver, est rendue; et le voyage d'Auvergne n'aura ni fin, ni terme. Voilà une belle histoire dont vous vous souciez beaucoup, ma chère belle; c'est l'oisiveté qui jette dans ces sortes de verbiages.

LETTRE 575.

A la même.

à Livry, mercredi jour de la Toussaint 1679. Vous devriez avoir reçu la lettre que je vous écrivis de Pompone avec Madame de Vins, dans le même paquet; mais vos orages ont tout dérangé. Que vous êtes excessifs en Provence! tout est extrême, vos chaleurs, vos sereins, vos bises, vos pluies hors de saison, vos tonnerres en automne; il n'y a rien de doux ni de tempéré. Vos rivières sont débordées, vos champs noyés et abîmés, votre Durance a quasi toujours le diable au corps; votre île de Brouteron très - souvent submergée. Enfin, ma fille, quand je songe à la délicatesse de la santé que vous opposez à tant de choses si violentes, je

« PrécédentContinuer »