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et je suis revenue le mardi matin, qui étoit hier, Je me promène dans ce jardin, avant qu'à Paris on ait pensé à moi.

Les inquiétudes d'Allemagne sont passées en Flandres. L'armée de M. de Schomberg marche; elle sera le 29 en état de secourir Maestricht. Mais ce qui nous afflige comme bonnes Françoises, et qui nous console comme intéressées, c'est qu'on est persuadé que, quelque diligence qu'ils fassent, ils arriveront trop tard. Calvo n'a pas de quoi relever la garde; les ennemis feront un dernier effort, et d'autant plus qu'on tient pour assuré que Villa-Hermosa (1) est entré dans les lignes, et doit se joindre au Prince d'Orange pour un assaut général : voilà l'espérance que j'ai trouvée dans Paris, et dont j'ai rapporté ici le plus que j'ai pu, afin de me disposer avec quelque tranquillité à prendre de la poudre de M. de Lorme, puisque nous sommes hors de cette canicule, qui n'a point fait demander comme autrefois est-ce la canicule? Ces maraudailles de Paris disent que Marphorio demande à Pasquin pourquoi on prend en une même année Philisbourg et Maestricht, et que Pasquin répond, que c'est parce que M. de Turenne est à St.-Denis, et M. le Prince à Chantilly.

Corbinelli vous répondra sur la grandeur de la lune, et sur le goût amer ou doux. Il m'a contentée sur la lune, mais je n'entends pas bien le goût. II

(1) Gouverneur des Pays-Bas Espagnols, et Général des troupes d'Espagne.

dit que ce qui ne nous paroît pas doux est amer: je sais qu'il n'y a ni doux, ni amer; mais je me şers de ce qu'on nomme abusivement doux et amer pour le faire entendre aux grossiers. Il m'a promis de m'ouvrir l'esprit là-dessus quand il sera ici. Rien n'est plus plaisant que ce que vous lui dites pour m'empêcher d'aller au serein : je vous assure, ma fille, que je n'y vais point; la seule pensée de vous plaire feroit ce miracle, et j'ai de plus une véritable crainte de retomber dans mon rhumatisme. Je résiste à la beauté de cette lune avec un courage digne de louanges; après cet effort, il ne faut plus douter de ma vertu, ou, pour mieux dire, de ma timidité.

J'ai vu Madame de Schomberg, elle vous aime et vous estime beaucoup par avance : vous trouverez bien du chemin de fait. L'Abbé de la Vergne lui écrit dignement de vous; mais elle m'a parlé très-dignement de lui; il n'y a point d'homme au monde qu'elle aime davantage : c'est son père; c'est son premier et fidele ami; elle en dit des biens infinis; ce chapitre ne finit point, quand une fois elle l'a commencé. Elle comprend fort bien qu'il vous aime et qu'il vous cherche; il a le goût exquis; elle trouve fort juste que vous vous accommodiez de la facilité et de la douceur de son esprit ; elle pense qu'il doit vous convertir de pleine autorité, parce que vous êtes persuadée que l'état où il vous souhaite est bon. Si elle en avoit autant cru de celui où il veut la mettre, c'eût été une affaire faite. Vous

voyez que dans ce discours nous ne comptons pas beaucoup ce qui vient d'en-haut. Parlez-moi encore de cet Abbé, et dites-moi combien de jours vous l'avez eu.

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On croit que Quanto est toute rétablie dans sa félicité c'est l'ennui des autres qui fait dire les changemens. Madame de Maintenon est toujours à Maintenon avec Barillon et la Tourte: elle a prié d'autres gens d'y aller : mais celui que vous disiez autrefois qui vouloit faire trotter votre esprit, et qui est le déserteur de cette cour, a répondu fort plaisamment qu'il n'y avoit point présentement de logement pour les amis; qu'il n'y en avoit que pour les valets. Vous voyez de quoi on accuse cette bonne tête à qui peut-on se fier désormais? Il est vrai que sa faveur est extrême, et que l'ami de Quanto en parle comme de sa première ou seconde amie. Il lui a envoyé un illustre (le Nôtre) pour rendre sa maison admirablement belle. On dit que MONSIEUR doit y aller ; je pense même que ce fut hier, avec Madame de Montespan: ils devoient faire cette diligence en relais, sans y coucher. Je vous remercie mille fois de m'avoir si bien conté les circonstances d'une réconciliation où je prends tant d'intérêt, et que je souhaitois pour la consolation du père, et en vérité pour l'honneur du fils, afin de pouvoir l'estimer, à pleines voiles. Si les spectateurs ont été dans mes sentimens, je me réjouis avec eux de la joie qu'ils ont eue.

Voilà votre lettre qui arrive tout à propos pour

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me faire finir celle-ci. Vous me donnez des perspectives charmantes pour m'ôter l'horreur des séparations; rien n'est si bon pour ma santé que les espérances que vous donnez. Il faut commencer par arriver; vous me trouverez fort différente de l'idée que vous avez de moi; ces genoux et ces mains, qui vous font tant de pitié, seront sans doute guéris en ce tems-là. Enfin, mon air délicat seroit encore la rustauderie d'une autre, tant j'avois un grand fonds de cette bonne qualité. Pour Vichy, je ne doute nullement que je n'y retourne cet été. Vesou dit aujourd'hui qu'il voudroit que ce fut tout à l'heure de Lorme dit que je m'en garde bien dans cette saison; Bourdelot dit que j'y mourrois, et que j'ai donc oublié que mon rhumatisme n'étoit venu que de chaleur. J'aime à les consulter pour me moquer d'eux : peut-on rien voir de plus plaisant que cette diversité? les Jésuites ont bien raison de dire qu'il y a des auteurs graves pour appuyer toutes les opinions probables : me voilà donc libre de suivre l'avis qui me conviendra. J'ai présentement pour me gouverner mon beau Médecin de Chelles (1); je vous assure qu'il en sait autant et plus que les autres. Vous allez bien médire de cette approbation; mais si vous saviez comme il m'a bien gouvernée depuis deux jours, et comme il a fait prospérer un commencement de maladie que je croyois avoir perdue, et qui me prit à Paris, vous l'aimeriez beaucoup. Enfin, je m'en porte très-bien: (1) Voyez tome III, la Lettre du 6 Mai.

je n'ai nul besoin d'être saignée; je m'en tiens à ce qu'il m'ordonne, et je prendrai ensuite de la poudre de mon bon homme. Il croit que du tempérament dont je suis, je ne serai pas quitte dans trois ans de çes retours. On vouloit me retenir à Paris; si je n'avois pas beaucoup marché, je ne m'en serois pas si bien trouvée. Je vous conjure, ma fille, d'avoir l'esprit en repos, et de songer à me donner des réalités, après m'avoir fait sentir tous les plaisirs de l'espérance.

J'ai reçu un billet de Lyon de notre Cardinal, et un d'auprès de Turin. Il me mande que sa santé est bien meilleure qu'il n'eût osé l'espérer après un si grand travail. Il me paroît fort content de M. de Villars, qui est allé le recevoir dans sa cassine. Vous savez qu'ils ne verront point le Duc (de Savoie), parce qu'ils veulent le traiter comme les autres Princes d'Italie, à qui ils ne donnent point la main chez eux; et ce Duc veut faire comme M. le Prince, c'est-à-dire, que chacun fasse les honneurs de chez soi. N'admirez-vous point le rang de ces Eminences? Je suis fort étonnée que la nôtre ne vous ait pas écrit de Lyon, cela étoit tout naturel.

Songez bien à ce que vous devez faire sur la taille de votre fils; cette seule raison doit vous obliger à consulter; car du reste il sera parfaitement bien avec M. le Coadjuteur : mais s'il y a un lieu où l'on puisse le repétrir, c'est dans ce pays-ci. Pour cet Allemand, je suis assurée que l'Abbé de Grignan ne cherchera point à le mettre en condition jusqu'à

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