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douceur très-salutaire; c'est précisément ce qu'il me faut : j'en prendrai huit jours, et puis la vendange. Enfin, je ne pense qu'à ma santé, et c'est ce qui s'appelle présentement mettre du sucre sur du macaron. Ne soyez donc point en peine de moi, et ne vous occupez que de me donner le grand et le dernier remède que vous m'avez promis, par votre très-aimable présence.

Tout le monde se meurt aux Rochers et à Vitré, de la dyssenterie et des fièvres pourprées. Deux de nos ouvriers ont péri; j'ai tremblé pour Pilois ; les meûniers, les métayers, tout a été attaqué de ces cruelles maladies. Comme vous êtes au-dessus du vent, j'espère que vous ne serez point exposée à ces grossières vapeurs; tout est sain ici; l'idée que vous en avez n'est pas juste. La Mousse est en Poitou avec Madame de Sanzei. Il est vrai que lui et Corbinelli sont trop d'accord pour divertir les spectateurs. Corbinelli vous croit aussi habile que le Père Malebranche: vous pouvez vous humilier tant qu'il vous plaira; vous serez exaltée malgré vous. C'est le livre du petit Marquis que je lis; j'ai aussi celui de M. d'Andilly, qui est admirable; jo lis le Schisme d'Angleterre *, dont je suis extrêmement contente; et par-dessus tout cela, des livres de furie du Père Bouhours et de Ménage, qui

* C'est le livre du Jésuite Sanderus, traduit par Maucroix; ouvrage plein de partialité et de fanatisme, qui a été solidement réfuté par Burnet. Ni l'ouvrage ni la réfutation ne sont lus, maintenant que cette histoire a été écrite par des philosophes.

s'arrachent les yeux, et qui nous divertissent. Is se disent leurs vérités, et souvent ce sont des injures: il y a aussi des remarques sur la langue françoise, qui sont fort bonnes; vous ne sauriez croire comme cette guerre est plaisante. J'admire que le Jésuite se livre, comme il fait, ayant nos frères (de Port-Royal) pour auditeurs, qui tout d'un coup le releveront de sentinelle, au moment qu'il y pensera le moins : c'est de son côté que le ridicule penche. Le Père Prieur nous fait une trèsbonne compagnie ; il est admirable pour tout cela.

Ah, ma fille que vous auriez bien fait votre profit d'un Père le Bossu (1) qui étoit hier ici! c'est le plus savant homme qu'il est possible, et Janséniste (2), c'est-à-dire, Cartésien en perfection: il est mitigé sur de certaines choses. Je pris un plaisir sensible à l'entendre parler; le Père Prieur le conduisoit par les bons chemins; mais je pensois toujours à vous, et je me trouvois indigne d'une conversation dont vous eussiez si bien profité, et

* Aussi Bouhours, qui avoit attaqué le premier, fut le premier à demander la paix. Ménage raconte que dans la visite qu'il fit au Jésuite après leur réconciliation, il l'aborda par cette phrase de Petrone : « La blessure étoit grande; mais elle n'a point laissé » de cicatrice». Il ajoute naïvement: Depuis que nous sommes amis, je n'ai plus trouvé de fautes dans ses ouvrages.

(1) René le Bossu, Chanoine régulier de Sainte-Geneviève, auteur d'un excellent Traité sur le Poëme épique.

(2) Cette conformité du Janséniste avec le Cartésien est rela– tive à l'arrêt burlesque de Despréaux pour le maintien de la doctrine d'Aristote contre la raison. Voyez cet Arrêt dans les Euvres de Despréaux.

dont

dont vous êtes très-digne. Corbinelli adore ce Père, il l'a été voir à Sainte-Geneviève; et quand il sera ici, nous les ferons retrouver ensemble. Madame de Coulanges est encore à Versailles; le bien bon est à Paris; je suis seule ici, et je ne suis point seule, dont je suis quasi fâchée; car je m'y trouverois fort bien. M. et Madame de Mêmes sont ici. M. de Richelieu, Madame de Toisi, et une petite fille qui chante, vinrent dîner chez eux avant - hier; j'y allai l'après-dînée; nous y lûmes une relation détaillée du siége de Maestricht, qui est en vérité une très-belle chose : les frères de Ripert y sont très-bien marqués. Madame de Soubise est partie avec beaucoup de chagrin, craignant bien qu'on ne lui pardonne pas l'ombre seulement de sa fusée : ce fut une grande boucle tirée *, lorsque l'on y pensoit le moins, qui mit l'alarme au camp. Je vous en dirai davantage, quand j'aurai vu Sylphide.

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Amonio ne me chasse point encore d'ici; il y fait trop beau, et je m'en vais y guérir mes mains. Je ne lui dis jamais un mot d'italien; mais aussi il ne m'en dit pas un de françois voilà ce que nous aimons. Il y a bien des intrigues à Chelles pour lui; je crois qu'il n'y fera pas vieux os, tout est révolté. Madame le soutient, les jeunes le haïssent, les vieilles l'approuvent, les confesseurs sont envieux, le Visiteur le condamne sur sa physionomie: il y a bien des folies à dire sur tout cela.

* C'étoit un signal convenu entre elle et le Roi. Voyez les Mémoires de Saint-Simon.

TOME IV.

G

Mais parlons de Philisbourg : on commence à croire qu'il ne sera point pris; il n'est déjà plus que bloqué. Les troupes ennemies sont décampées pour aller prier humblement M. de Luxembourg de se retirer de Brisgaw (1), dis-je bien? qui est une Province qu'il désole, et que l'Empereur estime. plus que la prise de Philisbourg. Tout contribue au bonheur du Roi; aussi, quand j'ai peur pour mon fils, c'est par la raison qu'on fait quelquefois des pertes particulières dans les victoires publiques : mais de la barque entière, je n'en tremblerai jamais.

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Je suis bien plus en peine de celle qui conduit les ballots de notre Cardinal, qui, par son malheur, fait toujours tout échouer : vous en avez un coin dans votre fortune, aussi bien qu'un quartier dans vos armes. Je pense trop souvent à vos affaires j'adore M. l'Archevêque d'en être occupé; car encore est-ce quelque chose mais quand personne n'y pensera plus, que deviendra cette barque? c'est bien à celle-là que je prends intérêt. Je voudrois fort que Mazargues fût vendu, avec la permission de Mademoiselle de Mazargues. Je verrai les desseins de ce Marquis de Livourne, cela ne coûte rien; et pour les grâces du Roi, il faut toujours les espérer, quand on les mérite toujours, comme M. de Grignan. Voyez M. de Roquelaure, c'est un bel exemple de patience; nul courtisan n'avoit plus de sujet de se plaindre que lui. J'irois bien plutôt en Provence pour voir M. l'Archevêque, que pour voir votre Prieur qui guérit de tous maux. (1) Pays d'Allemagne entre le Rhin et la Forêt noire.

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