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BULLETIN

DU

N° 35.

COMITÉ DE L'ART CHRÉTIEN

(DIOCÈSE DE NIMES)

LES CROIX PRÉCHRÉTIENNES

Au regard de tout homme sérieux, qui étudie les diverses religions un fait s'affirme, celui des ressemblances assez nombreuses, dans les formes extérieures du culte et dans certaines données doctrinales. D'où vient cette analogie ? Deux écoles répondent à cette question. Les uns voient dans le paganisme une altération plus ou moins avancée de la révélation primitive. Si donc l'on pouvait connaître à fond, l'histoire de toutes les religions, on suivrait pas à pas, à travers les siècles, les modifications successives qui du culte des premiers hommes, ont fait les croyances boudhistes par exemple. La religion primitive serait comme une source aux eaux pures, située sur les hauteurs ; des ruisseaux sont nés sur ses bords, courant à travers les pentes dont les plis variés, les divisent sans cesse. Tandis que dans la nature, les petits ruisseaux font les grandes rivières, dans le monde des religions, d'après cette première opinion, la grande source aurait formé des milliers de petits ruisseaux.

La seconde école enseigne exactement l'opposé de ce sentiment. Ce sont les petits ruisseaux qui forment les grandes rivières, disent-ils. Nos ancêtres des temps préhistoriques,

ont eu des religions très diverses, mais en vertu de la loi évolutionniste, chacune de ces croyances se fond dans sa voisine, de telle sorte que le christianisme n'est que la continuation spontanée, naturelle, de la pensée religieuse. En d'autres termes le mouvement religieux est semblable au mouvement scientifique, l'un et l'autre évolueat, jusqu'au jour, où ils se rencontreront pour se confondre, dans la lumière de la raison pure.

Ces deux méthodes également défectueuses, ont un intérêt évident à multiplier les ressemblauces entre le christianisme et le paganisme de tous les siècles. M. de Mortillet et M. Émile Burnouf, par exemple, n'y manquent jamais.

Des esprits très-croyants, dans ces derniers temps, sont venus apporter le concours de leur science, à de semblables doctrines, en s'efforçant de prouver que le signe de la croix, avant Jésus-Christ, était vénéré par les anciens païens de divers pays, comme le signe du salut et de la vie éternelle. Bien plus, cette croix païenne avait souvent, disent-ils, la forme d'une croix latine, comme celle du Calvaire.

M. l'abbé Ansault s'est montré le défenseur très-ardent de cette opinion (1). Il a publié d'abord un article dans le Correspondant du 25 octobre 1889, puis une réponse à Mgr de Harlez, professeur à l'Université de Louvain, en 1890, enfin un mémoire sur le culte de la croix avant Jésus-Christ, paru en 1891.

La question fut portée par M. Ansault, au congrès scientifique international des catholiques, en 1891, et l'opinion gé nérale n'a pas été favorable, aux défenseurs de la croix préchrétienne, considérée comme un signe de salut, dans le sens chrétien du mot. La plupart, au contraire, ont reconnu que la figure formée par deux lignes droites, qui se coupent a été en usage avant Jésus-Christ, soit comme ornement décoratif, soit comme symbole religieux paien, soit enfin comme

(1) Nous ne parlons que pour mémoire du volume fantaisiste Croix païenne et Croix chrétienne » de Mourant-Broch' (traduit de l'anglais) chez Leroux à Paris.

emblême dont la vraie signification nous est encore in

connue.

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Commençons par bien définir l'état de la question en citant M. Ansault : « Voici notre thèse, dit-il dans sa réponse à Mgr de Harlez. La croix de Jésus-Christ devait remplir un trop grand rôle, dans le monde, pour que Dieu ait voulu «la dérober à la vénération des hommes, pendant sept ou << huit mille ans. Dès la chute originelle, en même temps qu'il promettait un Sauveur, à nos premiers ancêtres, Dicu leur « révélait que la croix serait l'instrument du salut. Et l'huma<< nité tomba à genoux devant ce signe sacré, et lui voua un culte, depuis l'Eden, jusqu'au Calvaire... Le christianisme <«< c'est l'unique, universelle et perpétuelle religion: la religion de la croix. Nue, pendant les longs siècles qui «ont précédé le Golgotha, parcequ'elle attendait l'adorable. Victime, la croix porte enfin triomphalement dans ses <«<bras le Sauveur des hommes. Elle n'est plus, comme au«trefois la prophétie de la Rédemption, elle en est le mé« morial. >>

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Tout cela est admirable d'enthousiasme pieux, mais hélas ! quand il s'agit de faits historiques le sentiment n'a jamais compté comme un solide argument. M. de Mortillet et son école anticatholique enseignent aussi que la croix n'est pas d'origine chrétienne, c'est-à-dire des premiers siècles de notre ère. « Les peuples de toutes les « parties du monde, disent-ils, ont pratiqué le culte de la <croix de tout temps, dès la plus haute antiquité. Les pre<< miers chrétiens n'ont fait que continuer à vénérer ce symbole mystique; plus tard, les fidèles l'ont confondu avec << la croix des suppliciés, sur laquelle Notre-Seigneur

<< mourut. >>>

Avant de montrer l'erreur de cette théorie, nous devons faire une exception pour les croix trouvées en Amérique. Aujourd'hui, les missions précolombiennes des moines irlandais paraissent un fait des plus probables. Rien d'étonnant dès lors que Christophe Colomb et ses compagnons, aient

reconnu sur des monuments déjà vieux, le signe de la Rédemption. Mais cette exception faite, faut-il admettre la présence de la croix, dans les monuments des autres parties du monde, avec la signification de signe dn salut à obtenir par cet instrument de supplice? Nous ne le pensons pas.

Il est certain que le peuple choisi pour conserver le dépôt de la Révélation, Israël, ne connut pas le culte de la croix. Isaie parle très-clairement des douleurs qu'endurera le Messie,mais il se tait sur l'instrument de son supplice. Comment peut-on admettre, dirons-nous aux auteurs catholiques, que Dieu ait donné, aux peuples païens, la connaissance du culte de la croix, lorsqu'il n'accordait pas à son peuple la moindre notion sur ce culte. Mais passons aux faits allégués comme preuves.

M. Ansault met une confusion étrange, dans la notion de la croix, qu'il cherche et trouve partout. Ce qu'il faudrait rencontrer sur les monuments païens, c'est un signe cruciforme, désignant clairement l'instrument du supplice. Or nous ne trouvons partout que des signes vaguement cruciformes, mais ayant tous un sens étranger à la pensée du supplice.

La robe de Jupiter et le bandeau d'Athéné portent une figure architecturale formée par dix X distribuées en forme de croix. Mais ce n'est là qu'une simple disposition des lignes. Dès que l'on s'écarte des arrangements à tracé parallèle, il est facile de rencontrer la manière cruciforme. C'est ainsi qu'au moyen-âge, dans les cirographes à quatre expéditions, nous pourrions voir une croix dans l'arrangement du mot cirographum, qui était tracé dans quatre directions. Or, que cherchait-on dans cet arrangement ? Simplement un moyen d'assurer aux quatre expéditions de la charte, la preuve indéniable de leur commune origine. On coupait le parchemin en suivant le milieu des bras de la croix formée par les mots cirographum, et chaque copie de la charte écrite. entre les bras de la croix, conservait sur deux de ses bords, la moitié du mot cirographum. C'est ce que nous faisons pour nos quittances à souches,

Pour donner à cette disposition des lettres un sens de salut, il faudrait un texte historique indiquant l'intention des auteurs. Or ce texte n'existe ni pour les X de Jupiter et d'Athéné ni pour les cirographes (1). Nous pouvons donc conclure que ce sont là des signes vaguement cruciformes et qu'ils ne constituent pas la croix rédemptrice.

Chez les Romains, on portait avec fierté un signe du culte de Mithra, qui était fort à la mode du temps de Néron; c'était un symbole solaire, comme le personnage divin qu'il représentait. « Ce symbole, dit Mgr Harlez, était souvent accompagné du phallus, symbole de la force génératrice de la nature (2).

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Ici encore, aucun texte n'indique la croyance des Romains à une vertu autre que celle attribuée à toutes les amulettes païennes.

M. Ansault croit trouver dans l'égyptologie des arguments irréfutables. Un jour, nous raconte-t-il, grande fut son émotion, en pénétrant chez M. Révillout, attaché au musée égyptien du Louvre. Le signe de la croix était là, gravé clairement, sur la fameuse pierre de Rosette, et ce signe servait de quali

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