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De ce que nous venons de dire, on peut conclure que le signe de deux lignes, se coupant à angles droits, a été fréquemment employé dans l'antiquité païenne, et que ce signe a signifié, le plus souvent, la vie et la force..

Mais il y'a loin de la croix instrument de supplice à ce signe paien, aussi bien que de la rose-croix maçonnique à la croix chrétienne. C'est pourquoi les adversaires du dogme catholique se trompent, quand ils écrivent, comme M. du Cleuziou : <<< Le christianisme a fait signifier à la croix l'espoir d'une « vie éternelle. Cette signification, il l'emprunta aux anti«ques croyances des peuplades indiennes, qui envahirent « nos contrées, à l'époque néolithique (4). »

Nous venions de terminer ce court exposé de la question soulevée par l'ouvrage de M. l'abbé Ansault, lorsque nous avons appris la décision que Rome vient de porter sur cet ouvrage, en le mettant à l'index, dans sa séance du 14 juillet 1892.

Inutile d'ajouter que l'auteur s'est soumis et a réprouvé son livre et ses articles (se subjecit et opuscula reprobavit.

L'abbé François DURAND,

Secrétaire du Comité de l'Art chrétien.

(1) Du Cleuziou. La Création de l'homme.

RELATION DU MARTYRE

DR

DOM BONAVENTURE FROMENT, CHARTREUX

EN 1794

La relation que nous publions ci-dessous a été écrite par Dom François Fornier, chartreux de la maison de Villeneuve-lezAvignon. Le manuscrit original qui la contenait faisait partie des riches collections de son parent M. L. de Bérard, collections si malheureusement dispersées après la mort de ce dernier. M. de Bérard nous avait permis de prendre copie de ce document; nous l'imprimons sans rien changer de sa forme naive, nous contentant de l'accompagner de quelques notes qui nous ont paru nécessaires. G.

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Vous voulez, mon cher confrère (1), pour votre édification, que je vous dise tout ce qui a précédé ou suivi la mort glorieuse de notre cher Dom Bonaventure Froment dont le nom était écrit dans le ciel; je le fais d'autant plus volontiers que j'espère que ceci servira à la gloire de Dieu et de son fidèle serviteur.

Il est vrai, comme vous me dites, que les grandes vertus des personnes que nous avons connues et fréquentées, nous touchent plus sensiblement et plus efficacement que les vertus de celles que e nous n'avons jamais connues.

(1) Nous pensons que ce confrère pour lequel la relation a été écrite est dom Jean-Claude-François Crouzet qui n'échappa que par miracle aux périls de la Révolution et qui mourut, en odeur de sainteté, le 12 mai 1829, dans l'hospice de Villeneuve.

J'ai d'abord appris de sa sœur que le cher Froment, dans sa plus tendre jeunesse, avait eu une grande aversion pour le mensonge, et qu'il aimait mieux être battu que de ne pas dire la vérité; mais pour ce qui est de son glorieux martyre, quoique j'ai su ou vu les choses d'une manière assurée, cependant, comme la mémoire pourrait me tromper, et que je pourrais omettre des faits importants, je m'associe à sa chère sœur, religieuse de la Visitation, et la plus en état de m'éclaircir sur tout, ayant elle-même partagé avec son frère une bonne pârtie de son martyre (1).

Avant de commencer, vous savez que le cher Froment étant devenu notre confrère à la Chartreuse de Villeneuve, à l'âge de vingt ans, sous le nom de Dom Bonaventure, nous a toujours été aimable par sa grande douceur et égalité; toujours gai, affable et régulier, il nous a donné, dans l'occasion,des marques de fermeté et de courage et un grand éloignement des places distinguées. C'est ce cher confrère que la tempête a enlevé du milieu de sa chère solitude, aussi bien que nous, pour l'exposer au milieu des plus grands dangers dans sa patrie; sa grande foi et sa conformité à la volonté de Dieu, en lui faisant adorer ses décrets impénétrables, lui firent bientôt connaître ce que Dieu demandait de lui, dans des circonstances aussi critiques.

Voyant, d'un côté, la religion outragée, le culte renversé, l'oppression des vertus, la liberté des vices et le danger des âmes éloignées de tout secours, il prit la résolution de s'employer de toutes ses forces pour secourir ceux qui se trouvaient dans un pressant besoin; il mit toutes les considérations humaines sous les pieds pour se sacrifier tout entier à l'amour de Dieu et du prochain, administrer les sacrements, la nuit et le jour, à tous ceux qui en avaient besoin, avec autant de courage que de prudence; il offrait tous les jours le sacri

(1) Froment était né à Nimes, vers 1744; il reçut au baptême le nom de Jean. Il appartenait à cette famille Froment dont la plupart des membres subirent la persécution, à cause de leur attachement à lareligion et à la royauté.

fice adorable de l'Agneau, pour apaiser la juste colère de Dieu sur son peuple et pour nourrir dans lui-même le feu de l'amour divin qui brillait admirablement à la clarté du flambeau de la grande foi et de la profonde humilité dont il était animé. Quoiqu'il s'aperçut que les ennemis du bien voulaient abattre son grand courage et se saisir de sa personne, il ne laissa pas de continuer les bons offices que son zèle et sa charité lui avaient fait entreprendre; il se contenta seulement de ne plus coucher dans sa maison et de changer de temps en temps de domicile.

Cependant, le moment que la divine Providence avait destiné pour couronner la grande foi et les mérites de son fidèle serviteur arriva, et le Dieu de toute bonté, qui possédait déjà son cœur, le trouva disposé à tout.

Le mercredi saint de l'an 1794, le cher Froment disant sa messe, entre sept et huit, le jardinier Tivet, chez qui il était logé, et qui lui servait de clerc, s'aperçut qu'après la consécration, il restait immobile. Cet homme attendit environ l'espace de dix minutes, après quoi, craignant qu'il se trouvât mal, il se leva pour le regarder, et le vit les mains et les yeux élevés au ciel et le visage tout rayonnant. Alors, Tivet, tout pénétré de respect, se remit à genoux et le laissa encore quelque temps; il se disait à lui-même : ce saint va nous quit. ter, il est à la veille de sa mort; ces pensées le touchèrent jusqu'aux larmes. Voyant cependant qu'il continuait à rester immobile, il essaya, pour le faire continuer, de le tirer par son aube. En effet, il revint à lui-même et continua sa messe avec la modestie d'un ange. Après la messe, il se mit à genoux comme à l'ordinaire pour faire son action de grâces, qui dura jusques à midi.

Le jardinier, qui avait vu ce qui s'était passé pendant la messe, ne fit autre chose toute la matinée que monter et descendre tout doucement pour l'épier, et il assure que pendant les quatre heures qu'il resta à genoux, il ne changea en aucune façon de situation; il se mit à table et fit un repas bien léger, n'entretenant cet homme, tout le temps, que du bon

heur de ceux qui meurent pour Jésus-Christ. Tivet, voyant qu'il lui parlait avec tant de feu, lui dit: Je crois, mon Père, que vous aimeriez mieux un repas de guillotine que celui que vous avez devant vous, car je m'aperçois que vous en parlez avec un grand appétit ; je crains même que vous ne fassiez quelque chose pour vous laisser prendre.

Il lui répondit: Non, je ne ferai rien pour cela, parce qu'il faut toujours se défier de sa faiblesse, et il ajouta en riant: Mais si, sans avoir rien fait pour cela, on venait à me prendre, quel mal y aurait-il ?

Sa sœur, qui ne savait rien de ce qui s'était passé le matin, vint le voir et le trouva encore en conversation avec Tivet; dès qu'il la vit entrer, il lui dit : Ma sœur, tu viens bien au bon coup, nous en sommes sur un sujet fort amusant pour toi.

Sa sœur lui dit: Je gage que vous en êtes au chapitre guillotine, car vous faites ce que vous pouvez pour m'afflige; il lui répondit: Comment? Tu n'as donc point de foi ; est-ce que tu t'affligerais, si tu avais un frère martyr? Et portant la main à son col, il lui dit : Vois-tu, ma sœur, un seul coup là, et dans l'instant en Paradis. Ce signe fit frissonner sa sœur, et les larmes lui vinrent aux yeux. Alors, pour la consoler, il lui prit la main, et serrant sa tête contre la sienne, il lui dit: Ma chère sœur, ne t'inquiète pas, je n'ai pas vécu de manière à mériter cette grâce, et tu n'es pas assez sage pour avoir un frère martyr. Elle resta environ trois heures avec lui, et pendant tout ce temps, il ne l'entretint que de choses édifiantes qu'il serait trop long de raconter; il insista beaucoup sur la soumission que nous devons avoir à la volonté de Dieu dans les divers évènements de la vie. Il semblait que sa sœur pressentait ce qui devait lui arriver le lendemain, car elle ne pouvait se résoudre à le quitter, quoique son frère lui eut dit plusieurs fois de se retirer, parce qu'il avait encore beaucoup de prières à faire; en la quittant, il l'embrassa fort tendrement, et lui dit: Ma sœur, je te recommande de communier demain à mon intention et de le faire aussi matin que

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