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et par conséquent de ne pas laisser échapper de ses mains les incalculables profits que lui promet la possession d'un pays dont les productions excèdent constamment de deux tiers les besoins de son immense population; de ne pas se priver de ceux que lui assure la libre navigation de fleuves, de rivières et de canaux qui ont toujours passé pour les plus grandes sources de prospérité publique.......

>> Il importe enfin à la République, et il lui importe pardessus tout, de dissiper les craintes que la malveillance et l'ineptie se sont accordées à répandre sur la suffisance du gage actuel de nos assignats, et par conséquent d'ajouter à ce gage les domaines que le clergé et la maison d'Autriche possédaient dans le pays de Liége et la Belgique; domaines si considérables, si riches, si multiples, que les calculs les plus modérés en portent la valeur à plus des deux tiers de la somme totale de nos assignats en circulation. >>

Voilà sans doute des motifs bien puissans pour s'emparer d'un pays; écoutons Carnot:

<«< En gardant Luxembourg, non seulement vous privez votre ennemi de la place d'armes la plus forte de l'Europe après Gibraltar, et la plus dangereuse pour vous; mais vous vous appropriez ce boulevard inexpugnable, et vous en couvrez votre frontière qui était déjà très forte : il vous donne de plus la facilité de porter vous-mêmes la guerre en avant, sans être arrêtés par rien, et devient ainsi le gage assuré d'une paix solide et durable: car l'ennemi ne vous attaquera plus, lorsqu'il verra que le résultat immédiat et inévitable de son agression serait l'invasion de son propre pays si dépourvu de tout moyen de résistance.

» J'examine maintenant ce qui concerne le pays situé à la rive gauche de la Meuse, qui est la Belgique proprement dite, et je vois qu'en réunissant ce pays à la France, nous avons deux barrières au lieu d'une. L'une est l'ancienne,

qu'il faudrait bien se garder de détruire, puisqu'elle nous couvre non seulement du côté des Pays-Bas, mais encore du côté de la mer; l'autre est la rivière même de Meuse, qui enveloppe la Belgique, barrière très respectable par la possession de Maestricht et de Venloo qui nous appartiennent, et par la faculté que vous vous êtes réservée dans le traité de paix avec la Hollande, de mettre garnison en temps de guerre à Grâve, Bois-le-Duc et Berg-op-Zoom, qui en défendent le passage, en même temps que Luxembourg prend à revers l'armée ennemie qui voudrait le

tenter. >>

Des orateurs contestèrent la réalité des vœux attribués aux populations belges; Armand (de la Meuse) et Lesage (d'Eure et Loire) se firent remarquer par l'énergie de leurs discours.

« On parle des voeux des Belges, disait Armand, mais des délibérations prises au milieu des armes sont-elles des délibérations? Et qui vous dira que ces peuples ne réclameront pas un jour? De quel droit, après les avoir vaincus, les priveriez-vous encore de leurs préjugés, de leurs richesses, de leur culte, de leur forme de gouvernement?...

>> On parle d'indemnité des frais de la guerre. Mais vous avez donc oublié que ce n'est ni aux Belges ni aux Liégeois que vous avez fait la guerre, mais à leur gouvernement, et cependant c'est sur ces mêmes Belges et Liégeois que vous voulez vous indemniser!

» La véritable indemnité est dans la justice, et dans la paix que vous devez vous hâter de rendre à l'Europe. Sans doute, il est de votre intérêt d'humilier la maison d'Autriche, mais le moyen qu'on vous propose est impolitique. Sans doute, elle doit une indemnité à l'Europe entière, qu'elle a troublée par ses intrigues et par le traité de Pilnitz.......

>> Vous atteindrez ce but en assurant à la Belgique son

indépendance. Qu'il soit libre aux Belges de se former un gouvernement cimenté sur leurs mœurs et sur leur religion. Votre modération dans la victoire vous conciliera tous les esprits; vos prétentions exagérées vous susciteront une foule d'ennemis. >>

« On prétend, disait Lesage (d'Eure et Loire), que les Liégeois et les Belges ont voté leur réunion à la République, que la France a accepté leur vou. On le dit, mais dois-je le croire, quand j'entends répéter de toutes parts la manière révolutionnaire dont ce vœu a été commandé; et qui oserait ouvrir la page du livre où l'histoire a buriné toutes les horreurs qui se sont commises dans ces malheureux pays? C'est là que l'on a fait les premiers essais du terrorisme et de la morale révolutionnaire; c'est là que les Danton et tant d'autres ont développé leurs grands talens pour les vols, les assassinats et les concussions, précurseurs de tous ceux que l'on vit paraître ensuite à Paris, et de tous les proconsuls qui ont été envoyés dans les provinces et près des armées; et l'on ose nous rappeler à ces temps qu'on ne saurait trop s'appliquer à faire oublier! Et l'on veut nous faire croire à la validité des décrets rendus dans les mois de mars, avril et mai 1793, dans les mois où se trouve cette fameuse nuit où l'on voulut égorger une partie des membres de la Convention et quelques ministres! dans ces mois où se trouve l'époque désastreuse où la représentation nationale fut si cruellement outragée, et on pourrait dire détruite; dans ce temps où tout décret proposé, appuyé ou obtenu par le côté droit, était frappé d'anathème par la Montagne, et ses orateurs voués à la

mort!.........

» Je sais que le comité attribue à l'intrigue et à la méchanceté de quelques hommes les dispositions des Belges contre la France. Rien, selon lui, n'a pu ébranler la masse du peuple, et leurs cœurs n'en demeureront pas moins

tournés vers la France. Mais comment puis-je croire à une pareille assertion quand les députés belges m'ont dit à moi: Vous nous avez rendus tellement malheureux, l'état d'incertitude, d'anxiété, de peine, où vous nous retenez encore, est tellement insupportable, que nous aimons encore mieux étre à la France que de rester comme nous sommes. Ainsi, pour eux, être à la France est un pis-aller. >>

La réunion de la Belgique à la France a donc été une question d'utilité et non de sentiment, question tranchée par l'omnipotence révolutionnaire, sans l'aveu de la Belgique ni de l'Europe. Arrivé là, le peuple que le droit du plus fort condamne, se résigne, heureux s'il s'élève une voix pour protester au nom de l'indépendance mourante, en faisant aux générations futures un de ces appels qui ne sont jamais perdus. Peu de jours avant l'ouverture des débats de la Convention, M. Adrien Philippe Raoux, membre du conseil souverain de Hainaut, publia un mémoire contre la réunion. L'auteur ne se dissimule pas certains avantages de cette mesure politique; après les avoir franchement exposés, il conclut par ces paroles touchantes : « Malgré ces avantages qui sont immenses, et à la portée d'être sentis par toutes les classes du peuple, il est certain que la très grande majorité de ce peuple craint la réunion, et la regarderait comme une calamité publique. A l'instant où cette nouvelle serait proclamée officiellement, des larmes couleraient dans l'intérieur des familles. ' »

1 La réunion de la Belgique à la France, prononcée par la loi du 1er octobre 1795, n'a été aux yeux de l'Europe qu'un état de fait, jusqu'à la conclusion du traité de Campo-Formio du 17 octobre 1797, par lequel l'Autriche céda à la république française les Pays-Bas, et reçut en dédommagement Venise et une partie des possessions vénitiennes. Une vieille monarchie et une jeune république s'entendirent pour consommer, par cette espèce d'échange, l'anéantissement de deux peuples. Destinée bizarre! Venise et l'ancienne Belgique se sont rencontrées deux fois dans le monde : la première fois pour conquérir

Ce n'est pas volontairement que la domination hollandaise a été acceptée en 1814; et ici l'auteur n'a rien à rétracter de ce qu'il a dit. Il n'y a pas eu de coup d'état en 1830: il l'avoue; et cependant il a éclaté une révolution. Il y avait un coup d'état permanent; il datait de 1814. Depuis quinze ans le peuple belge était moralement dans une situation violente d'où il a voulu sortir; il n'attendait que l'occasion propice.

Il y a des coups d'état qui ne survivent point à la nuit qui les voit naître; d'autres ont des années d'impunité: peu importe l'intervalle qui sépare la cause de l'effet, la violence de la réaction, l'attentat de la vengeance.

Et a-t-on révoqué en doute aucun des actes cités par l'auteur?

S'est-il présenté quelqu'un pour soutenir que la Hollande et la Belgique ont été préalablement consultées sur la réunion;

Que la loi fondamentale du 24 août 1815 a obtenu réellement la majorité des suffrages, non de la commission chargée de la rédaction, mais des notables ayant mission de l'adopter définitivement;

Que la Hollande n'a pas été considérée comme constituant l'individualité nationale, que la Belgique n'a pas été qualifiée d'accroissement de territoire?

N'est-il pas constaté, par les appels nominaux, que pendant quinze ans les cinquante-cinq députés hollandais, membres des États-Généraux, ont disposé, grâce à la défection de quelques Belges, des provinces méridionales?

La nationalité hollandaise étant réputée antérieure et supérieure à la création du royaume-uni des Pays-Bas,

Constantinople (1203), la seconde fois pour mourir. La Belgique est ressuscitée de nos jours; Venise git morte dans ses lagunes. (Note de la troisième édition. )

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