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que d'avoir trouvé la raifon; mais d'ordinaire, c'eft la réflexion qui produit le foupir; le foupir à fon tour est le pere d'une apoftrophe à l'amant abfent: cher Pyrame! quand le Ciel permettra-t-il que je te revoye? En voilà l'exorde après, on fe parle à foimême; ô fille, ou femme infortunée ! &c. enfuite, il y a des poses, je veux dire, qu'on fe taît, qu'on parle, qu'on s'agite; une famille de nouveaux foupirs naît encore de tout cela; ils ont auffi pour enfans de nouvelles apoftrophes à la nuit, au lit où l'on repofe, à la chambre où l'on eft; car dans cet état le cœur fait inventaire de tout: dis-moi la vérité ; voilà la généalogie des actions de ta nuit ; voilà du moins comment l'original en eft dans Caffandre. A la pointe du jour tu t'es endormie d'abbatement, & je gage encore que ton fommeil étoit orageux, nuifible à l'eftomac,par la quantité des foupirs qui l'ont gonflé.

Après tant de railleries, répondit F'autre Dame en fouriant, (car fans la voir, je devinois par fon ton qu'elle fourioit,) tu ne merites pas que je te confie ce que j'ai fenti cette nuit.. Ah!

ma toute bonne,repartit l'autre, rendsmoi compte, je t'en prie, fi tu n'as pas été fi tourmentée qu'à l'ordinaire, c'eft une fortune que tu me dois: je t'ai donné des remedes qui t'ont foulagée ; parles.

As-tu obfervé, dit l'autre Dame, l'empreffement que Alidor marquoit hier au foir pour moi? Oiii,fans doute, dit fa compagne, & ma vanité commençolt à fouffrir un peu de voir tes appas préferés aux miens; (car tu fçais que voilà la regle entre nous autres femmes.) Quand deux Cavaliers ont paru fe difputer l'honneur de me plaîre, leur hommage m'a racommodée avec toi je t'ai pardonné Alidor en leur faveur; je t'avoue qu'alors je t'ai perduë de vue, & que mon acquifi-tion m'a fait oublier la tienne. Hé bien! continue, qu'eft-il arrivé de cet empreffement? mais, dit l'autre, il est - arrivé. j'ai de la peine à te l'avouer. Que fignifie cela? répondit fon amie; Pyrame eft-il forti de ton efprit? N'aimes-tu plus qu'Alidor? je te louerois de ce double impromptu, fi tu n'avois que quatorze ans : je t'ai déja • dit qu'à cet âge mon cœur avoit joüé

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le même tour à fa premiere inclination; mais à vingt-cinq ans, ma chere, ce n'eft plus là pour nous qu'un tour d'enfant: changes, fois volage, quand le cœur t'en dira;à la bonne heure: mais tun'as pas tant befoin defçavoir changer de penchant, que tu as besoin de fçavoir changer ta façon d'en prendre. Tu aimois Pyrame; il étoit abfent; tu t'étois enfevelie dans la douleur: voilà ce qu'on appelle l'amour pris de travers. Alidor le chaffe fubitement de ton cœur, c'eft quelque chofe ; & cela marque qu'on peut te conduire à mieux; mais fi tu recommences avec ce dernier un cours de tendreffe pareil à celui que tu quittes; fi tu vas avec lui doubler encore Caffandre ou Cléopâtre, plus de commerce entre nous, je me retire; auffi bien je m'imagine que tu as des devoirs folitaires à remplir, des réflexions à faire fur la honte de ton amour naiffant : tu n'as qu'à dire,& je te laiffe, fur le champ, la liberté d'être honteufe à ton aife: mais fi tu veux être raisonnable, faire le profit de ton amour propre & de ton cœur, aimer Alidor, parce qu'il te plaît, en te confervant Pyrame, parce qu'il

t'aime

oh! tu feras de ce monde : je fuis toute à toi, & je te continuë mes confeils pour ta converfion.

En vérité, tu n'es qu'une étourdie,répondit alors l'autre Dame : tu ne m'as pas donné le tems de m'expliquer, & depuis que tu caufes, tun'as combattu que tes chimeres, & point du tout mes idées. Et qu'importe? reprit l'autre: j'y ai toujours gagné, puifque je fuis femme, & que j'ai parlé longtems; mais quelle eft donc ta pensée ? La voilà, répartit fon amie; c'eft que,. Dieu me pardonne, il me fembloit cette nuit que j'aimois Pyrame fans douleur, tout abfent qu'il eft, & qu'Alidor me plaifoit encore, fans que je l'aimaffe. D'abord cela m'a fait peur,à caufe de ce pauvre garçon qui eft éloigné de moi: je craignois de lui faire tort; mais, autant qu'il m'en fouvient, cela faifoit dans mon cœur un mélange d'amour & de vanité, qui reffembloit affez à ce que tu m'en enfeignes. J'ai perdu quelque tems à m'examiner, par fcrupule pour l'abfent; mais j'ai vû qu'il n'entroit rien là-dedans contre fes interêts: en effet le chagrin que j'avois en l'aimant ne lui rapportoit

rien. Oh! fi fait, fi fait; il lui rappor toit, reprit fon amie, en fouriant; ce chagrin-là n'étoit qu'un dévouement de ton ame à une fidélité éternelle, & cela ne vaut rien: laiffe-la hardiment mourir, cette fidélité; il n'y a que les dupes qui en font leur objet; je fuis très-contente de toi; à tes fcrupules près, tu marches à pas de géant dans la bonne voye; avance, & ferme les yeux.

Tu as beau dire, reprit l'autre ; je ; me reproche encore quelque chofe; mais, fi Alidor continue à m'en youloir, j'efpere que cela fe paffera. Bon! dit fon amie; puifque tu vas jufqu'à l'efperer, cela vaut fait; jamais ces efperances-là ne trompent. As-tu vû ce matin Alidor? Je le quitte, il n'y a qu'un moment, dit-elle; il eft venu fçavoir tantôt fi j'étois levée. Tu l'étois fans doute, reprit fa compagne. Point du tout, repartit-elle; comme je n'ai point fermé l'œil de toute la nuit, j'ai tâché de m'affoupir ce matin; car tu fçais qu'on eft à faire peur, quand on n'a point dormi. Comment, s'écria l'autre ; tu crains déja de faire peur. Oh! mon enfant, ton cœur a fait un

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