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coup de maître; le mien ne fçait rien de plus fin. N'importe, reprit la Convertie; tu feras bien de m'achever ta vie, cela me fortifiera. J'y confens dit fon amie; auffi bien l'habitude d'aimer languiffamment t'a laiffé je ne fçais quelle bigoterie de langage, dont je veux te défaire. Cela me fortifiera, dis-tu. A t'entendre, on diroit d'une dévote, qui fait une action libertine. Tu ris; mais je veux mourir, fi cela nereffemble... A propos, de ma vie, où en étois-je ? Aux conquêtes que tu fis un foir, lui dit l'autre Dame, & qui te firent oublier fubitement l'inconftance de ton premier amant: nous y voilà, reprit l'autre.

Je fus le refte de la foirée dans une fituation de cœur, qui par intervalles, me fourniffoit des fecouffes de joyeincroyables. Les deux jeunes gens, qui s'étoient déclarés pour moi, me revenoient dans l'efprit avec leurs petites façons à cela fe joignoit une apparition fubite des plaifirs de coquetterie que me vaudroit leur amour. Quelle vuë, ma chere, pour une fille, & pour une fille de mon âge! auffi je: n'y pouvois tenir, & je treffaillois

d'une

entre cuir & chair tout autant de fois que cela me paffoit dans l'efprit. Cela ne m'y paffoit cependant que façon très-confufe, parce que la préfence de mon pere & de ma mere me gênoit; j'en refervai donc l'examen, & j'en fis ma tâche pour la nuit.

Quand il fut l'heure de fe coucher, je volai dans ma chambre pour me déshabiller & pour me voir: oui, pour me voir; car j'étois preffée d'une nouvelle eftime pour mon vifage, & je. brûlois d'envie de me prouver que j'avois raifon. Tu penfes bien que mon miroir ne me mit pas dans mon tort;je n'y fis point de mine, qui ne me parût meurtriere; & la contenance la moins façonnée de mes charmes pouvoit, à mon goût,achever mes deux amans. Te ferai-je le détail de mes petites grimaces? nous fommes toutes deux du même fexe, & je ne t'apprendrai rien de nouveau: tantôt c'eft un mixte de langueur & d'indolence, dont! on attendrit négligemment une phy-. fionomie; c'eft un air de vivacité dont on l'anime, d'ufage & d'éducation dont on la diftingue; enfin ce font des yeux qui jouent toutes fortes de mou

vemens ; qui fe fâchent, qui se radou- e ciffent, qui feignent de ne pas entendre ce qu'on voit bien qu'ils comprennent; des yeux hypocrites, qui ajuftent habilement une réponse tendre ; à qui cette réponse échape, & qui la confirment par la confufion qu'ils ont,

de l'avoir faite.

Voilà en gros les aspects fous lef‐ quels je m'admirai pendant un quart d'heure: je me retouchai cependantfous quelques-uns: non que je ne fufse bien; mais pour être mieux : après quoi je me couchai remplie de fécurité fur l'avenir; mais je me couchai fans envie de dormir : j'avois trop bonne compagnie d'idées; les deux jeunes gens, leurs tendres difpofitions, ma gloire préfente & future, la bonne. opinion de moi-même, tout cela me fuivit au lit,

Je me mis donc à rêver, & à faire mille projets de conduite : j'arrangeois les difcours de mes amans & les miens; j'imaginois des incidens; je troublois leur repos, je les calmois; j'inventois des caprices, dont je me divertiffois de. les voir dépendre: & toute jeune que, j'étois, je commençois à comprendre

la

la valeur de nos inégalités d'humeur avec les hommes: je jugeois qu'elles nous varioient à leurs yeux, & nous expofoient fous differentes formes dont l'inconftance les obstinoit à nous fixer dans la bonne; mais qu'il ne falloit pas qu'ils puffent s'en affurer; & qu'ainfi leur tems se paffoit à nous chercher, & à ne nous trouver, com. me ils souhaitoient, qu'à la traverse.

Voilà, ma chere, jufqu'où portoient alors mes lumieres naturelles: enfin, mon enfant, le sommeil me prit au milieu de toutes ces idées, & je m'endormis fans m'en appercevoir.

Le jour vint; je ne m'étois pas trompée; nos deux jeunes gens étoient bleflés. A mon égard, j'étois faine & fauve, & je n'avois encore que ma vanité d'intriguée.

Mais l'amour eft comme un mauvais air que nous portent les amans qui nous approchent. Un des miens fut deux jours fans venir au logis; mon coeur s'avifa naïvement de s'en appercevoir ; je ne m'amufai point à me le vouloir cacher; c'eût été trop de peine, & je hais l'embarras quin: mene à rien. Je pris la chose tout comme Tome II.

B

mon cœur me la donnoit ; je vis qu'il avoit de l'amour, j'y acquiefçai.

Tu ne le croiras peut-être pas : mais rien ne nuit tant à l'amour que de s'y rendre fans façon. Bien fouvent il vit de la réfiftance qu'on lui fait, & ne devient plus qu'une bagatelle, quand on le laiffe en repos. Telle que tu me vois, je fuis un peu Philofophe, moi. Tiens, j'ai trouvé que la raifon nous rend nos plaifirs plus chers en les condamnant. Si l'on s'y arrache, on en fouffre, & en fouffrant, on croit fe rea fufer à des délices; le plus court pour en perdre le goût, c'eft de fe les permettre, je dis, quand ils ne choquent pas abfolument les mœurs que doit avoir une honnête femme du monde ; car je ne fuis pas une libertine au moins; mais le pardonner quelque amour dans le cœur n'eft pas un fi grand crime; & je t'avoue d'ailleurs que je n'efpererois rien de bon de la conduite d'une femme qui combattroit -un grand penchant dont elle fe voit prévenue fi le penchant l'entraîne, gare qu'il n'en faffe ce qu'il veut : car elle eft bien fatiguée, & ne peut gue. res ménager de conditions avec fon

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