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neroit au défir impatient de revoir ce qu'elle aimeroit.

C'eft une femme dont le cœur, en amour, eft fermé à toute impreffion fâcheufe, acceffible à toute impreffion agréable autant de fois que le hazard le veut; un cœur enfin qui tire parti de tout, qui devenu tendre pour un objet, ne renonce pas pour cela aux autres; mais qui retient pour fá vanité ceux dont fon penchant ne s'accommode pas, & qui fouvent même dans le même jour, fe trouve fenfible autant de fois qu'il eft coquet.

La compagne de la Dame que je viens de peindre, eft d'un caractere tout oppofé; c'eft une femme dont le coeur eft plus fage & plus neuf, & qui paroît avoir toujours regardé l'amour. comme un péril, dont elle avoit honte de s'approcher; mais le péril ap paremment l'a pourfuivie, & comme on fuit avec pareffe ce que l'on fuit à contre-coeur, le péril l'a furprife; elle aime.

Oh! vous fçavez que plus une femme a craint l'amour, plus fcrupu leufement le fert-elle, quand les forces lui ont manqué, & qu'elle ne peut

plus s'en défendre; c'eft en aimant de tout fon cœur qu'elle fe délaffe de la fatigue qu'elle a foufferte en combattant; mais elle aime,comme un autre remplit un devoir, je veux,dire avec une exactitude de fentimens, qui n'eft jamais un défaut, & dont elle fe fait comme une obligation religieufe.

L'amant eft-il abfent pour un demi jour? il faut y rêver folitairement, fuir ou défier toute occafion qui oseroit réjouir.

Revoit-on cet amant? il faut un épanchement modefte de tendreffe; mais cependant plus tendre que ne pourroit être une joye libertine:il faut foupçonner cet amant de n'avoir eu ni l'air, ni le cœur affez mortifié pendant fa courte abfence, & perdre fes foupçons, après avoir eu le plaifir de fa juftification; lui jurer après, cent fois, qu'on l'aimera toujours; car cette répétition de fermens n'eft que dans les paroles; mais le fentiment en eft toujours nouveau.

Enfin il entre dans la tendreffe d'une femme de ce caractere une infinité d'autres petites formalités, qui font de l'invention des coeurs qui

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étoient fages & timides avant que d'ê tre tendres.

Telle est donc la Dame à qui fa: compagne a déja raconté une partie de fes avantures : elles prirent enfemble le chemin du cabinet, & moi celui de mon bofquet.

la

Quel livre-as-tu dans ta poche, dit coquette, en ouvrant la converfation? c'eft Pharamond, répondit-elle: Pharamond, s'écria l'autre ! quoi ! pendant que je travaille à ta converfion, & qu'elle eft plus d'à moitié achevée, tu lis encore des livres hé-rétiques! Donne-moi ce livre ; je te défends d'en lire de pareils, fous pei-ne de ma colere; donne, te dis-je : tu n'as pas encore la tête affez forte: pour foutenir l'air dangereux qu'on y refpire..

Il me femble que fi, répondit l'autre & je t'affure que ce matin mon cœur a déja critiqué dans les amans de Pha- ramond, des lenteurs, des timidités des fiertés, qui autrefois étoient tout-à-fait de mon goût.. J'ai trouvé que ces gens-là s'amufoient trop à fe ref-pecter, à fe fâcher, ou à fe plaindre; & que les meilleures occafions périf

foient entre leurs mains: tu vois bien que de pareilles remarques ne menacent pas de rechûte.

Ta critique eft judicieuse, reprit l'autre effectivement, fi toutes ces folies étoient d'ufage, & fi les amans d'aujourd'hui fe balottoient comme ceux-là, le mariage feroit affez inu; tile; car on ne feroit d'accord qu'a-près quatre-vingt ans de martyre.

Abrege tes réflexions, dit fa compagne, pour m'achever ta vie ; je ne fuis venue ici que pour l'entendre: tes coquetteries m'ont d'abord fait peur; mais à préfent la comédie m'en plaît.

Je te la donne aujourd'hui, reprit l'autre mais j'efpere que tu la joueras bientôt toi-même:achevons mes avan tures, puifque tu le veux: il ne m'en refte pas beaucoup : mais je travaille tous les jours à les augmenter.

J'en étois, je pense, à mon amant de Couvent, qui s'avifa de me rendre vifite, quand je ne fongeois plus à lui..

Le petit infidele avoit entendu par-ler de mes conquêtes. Le don de mon cœur autrefois lui avoit paru plus agréable qu'important: il en avoit ou blié la tendreffe; mais il avoit oublié

de l'eftimer; & franchement, quel

que aimé que foit un amant, quelque amour qu'il ait lui-même, s'il n'eft, glorieux d'avoir acquis le nôtre, c'est un amant manqué.

Ce n'eft pas affez qu'il foit glorieux de nous paroître aimable; il faut qu'il le foit de nous l'avoir paru plus que d'autres, qui afpirent à le paroître auffi bien que lui. Ses rivaux, en lui exagérant ce qu'il vaut, quand il en triomphe, l'avertiffent de ce que nous valons nous-mêmes : cette derniere leçon tient fon amour en refpect, & fon orgueil en haleine : il a eu l'honneur de la préférence; cela ne lui fuffit pas; il refte que cette préférence lui foit continuée.

Il ne s'étoit rien paffé de femblable avec mon inconftant, quand nous nous étions aimés; mais on ne lui eut pas plûtôt dit que j'avois deux efclaves à ma fuite, & que mes appas étoient en haute réputation, qu'il ju gea que c'étoit un beau coup à faire s'il pouvoit ratraper les droits qu'il avoit eus fur mon cœur; mais il avoit eu ces droits fur un coeur brute, fur un cœur enfant

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