Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

que vous fouhaiteriez pour vous à votre maîtreffe ; mais cruel! en le lui fouhaitant, fongez-vous aux conféquences? je la garantis morte, fi vous êtes exaucé, & morte peut-être dans huit jours: peut-être le hazard va-t-il vous préfenter un vifage aimable dont la propriétaire armera toute la coquetterie contre vous. Vous aurez des yeux, un cœur & de l'amour propre; vous vous amuferez à regarder avec plaifir; vous aimerez à plaire ; voilà votre maîtrèfle à fon dernier foupir; vous acheverez de vous gâter la nuit par de flatteufes & de reconnoiffantes réflexions; la voilà morte. Où est-il le coeur de tout fexe dont la loyauté ne périffe dans les dangers dont je parle ? & que deviendroient les amans fi l'inconftance de l'un étoit un arrêt de mort contre l'autre les hommes & les femmes tomberoient autour de nous par pe→ lottons; on ne pourroit compter fur la vie de perfonne, & je conçois qu'il ne refteroit plus fur terre que quelques gens, qui par cas fortuit, fe feroient mutuellement portés un coup fourré d'inconftance. Jufte Ciel ! que de tré

pas indifcrets & fcandaleux ne verroit-on pas ! que de dévots recous pour hypocrites après leur mort! eux, dont la bonne odeur ne fubfifte qu'à la faveur du fecret qui dérobe leurs foibleffes. Que de mères détrompées de l'innocence de leurs filles ! que de maris crédules, & qui ne pourroient plus. l'être ! que de vieilles femmes ridiculifées, en ceffant de vivre! mais gra ce à Dieu, nous n'avons rien à craindre de tout cela. La nature plus fage que vous, mon ami, ne donne pas à l'amour un fi grand crédit fur les cœurs; le pouvoir qu'elle lui laiffe va tout à l'avantage du genre humain; & loin d'être homicide, il n'eft dangereux que par le contraire. On pleure l'inconftance de fon amant ou de fa maîtreffe, on la foupire; voilà le plus grand inconvénient d'un amour trahi; encore ne voit-on paffer par ces peines que ceux dont la nature a manqué le cœur ; je veux dire, que c'eft un vice dans fon ouvrage, que cet excès de fenfibilité qu'elle y laiffe. Sa regle générale eft plus douce, & les amans abandonnés, en font quittés pour quelques chagrins que le moindre amufe

ment écarte, & qui ne s'apperçoit que dans ceux qui ne veulent pas fe gêner; je ne fçais même fi le plus grand nombre n'en eft pas quitte à moins : quoiqu'il en foit, pour payer votre petite hiftoire par une autre, je vais vous raporter un exemple fur lequel vous pouvez, prefque à coup fûr, tirer l'horofcope de votre maîtreffe, en cas que vous deveniez infidele,

J'étois il y a quelques jours à la campagne, chez un de mes amis ; nombre de Dames & de Cavaliers s'y étoient raffemblés, Il me prit fantaifie, un matin, d'aller me promener feul dans le bois de la maifon : je m'enfonçois déja dans les routes les plus obfcures, quand la pluye me furprit; pour l'éviter, je courus vers un cabinet que je vis affez près de moi. J'allois y entrer, quand j'entendis parler : je prêtai l'oreille; c'étoient deux Dames de notre compagnie,qui s'y étoient apparemment refugiées avant moi. L'une d'elles, un moment après, pouffa quel, ques foupirs qui me donnerent la curiofité d'en apprendre la caufe. Je fuis jeune, ces foupirs me préfageoient de l'amour,je crus qu'il feroit bon de voir

comment ces deux femmes en traiteroient à cœur ouvert : j'en pouvois tirer des conféquences générales, & m'inftruire moi-même, en cas d'accident, du plus ou moins de fûreté qui se trouvoit dans les petites façons extérieures du fexe. Hélas! ma chere, dit la Dame; qui me fembloit avoir foupiré, ne me reproche point ma mélancolie; ne fçais-tu pas que Pyrame eft abfent, & que je ne le verrai de fix mois. Ah! répondit l'autre, en éclatant de rire, gageons que ton cœur a pillé ce ton-là dans Cléopatre. Que tu es folle à contre-tems, dit l'affligée, fi tu étois à ma place, tu n'au rois pas le mot pour rire. Ne te fâche. pas, ma bonne, repliqua l'autre ; je t'avoue que j'ai ri d'étonnement: tu ne dois voir ton amant de fix mois; tu te prépares, ce me femble, à gémir autant de tems; il n'eft pas jufqu'au fon de ta voix que tu n'ayes mis en deüil: cela m'a paru fingulier. Je connois bien cette efpece d'amour languiffant & tous fes devoirs, mais franchement je n'ai pas cru que ce fût celui dont le cœur fe fervît dans l'occafion. Je l'ai pris pour cet amour qu'on

imprime, dont on remplit de gros volumes de Romans:& tu te joies à mourir de fatigue, fi tu veux imiter ces amantes que ce fou de la Calprenede a faites avec une plume & de l'encre. Il faut s'imaginer, ma chere, qu'un coeur romanefque fournit plus d'amour lui tout feul, que n'en fourniroit tout Paris ensemble. Ne prens pas ce que je te dis pour un manque d'expérience; nous fommes feules. Au moment où je te parle, j'aime; mon amant eft abfent, non pas abfent comme le tien, qui n'est allé que chez fon pere; il est à l'Armée; le voilà bien en rifque; il pleuroit en me quittant; je pleurai de même, & les larmes m'en viennent encore aux yeux. Tout cela eft à fa place ; mais, ajoûta-t-elle, en riant, je veux dire, en mariant une folie plaifante avec fes pleurs, je verfe des larmes, & n'en fuis pas plus trifte; bien au contraire, ma chere,je ne pleure que parce que je m'attendris; mais mon attendriffement me fait plaifir, & les larmes qu'il amene, font en vérité des larmes que je répands avec goût. Je ne fçais pas fi tu comprens comment cela s'ajufte ; je

« PrécédentContinuer »