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fuis tendre autant qu'on peut l'être. Je tremble pour mon amant fans inquiétude, je le défire ardemment fans impatience; je gémis même fans être affligée, & tous ces mouvemens ne me font point à charge; fouvent je les réveille, de peur d'être oifive; ils me fuivent où je vais ; ils fe mêlent à mes plaifirs; ils ne les rendent que plus touchans; c'eft comme une provision toute faite de réflexions douces, qui ne m'en tiennent que plus difpofée à la joye, quand j'en trouve. Je me dis à moi-même; je fais la paffion d'un homme aimable; cette idée me flatte, c'eft une preuve de mérite, je m'en eftime avec plus de fûreté de confcience, & je ne fuis pas fâchée de trouver alors fur mon chemin un hommage de petits foins : je m'en amufe fans fcrupule; ils me répetent ce que je vaux : je les encourage quelquefois par un coup d'œil, un geffe, un fouris, & je te jure enfin, que mon amant ne m'eft jamais plus cher, que quand je me fuis prouvé, qu'il ne tient qu'à moi de lui donner des rivaux. A leur égard, je ne les aime point, ce me femble; cependant ils me plaifent

mon amour propre a de l'inclination pour eux mais je fens bien confufément qu'eux & mon cœur n'ont rien à démêler ensemble; voilà tout ce que j'en puis dire, & voilà comme on aime, ma chere: crois-moi; regle-toi là-deffus: & que deviendrois-tu donc, fi ton amant venoit à changer? Ah! de quoi parles-tu là, s'écria l'autre ! ah mon Dieu! tout me frémit. Lui, changer! toi qui aimes fi fort à ton aife, comment te fauverois-tu de la douleur la plus vive, & peut-être du désespoir, s'il t'arrivoit ce que tu me fais craindre? Eh, que me dis tu, répondit l'autre ? avec ta douleur la plus vive, & ton défefpoir; du dépit encore paf fe. Du dépit, jufte Ciel ! du dépit pour une perfidie, dit l'autre Dame. Oh, je n'en fçais pas davantage, reprit fon amie; & je n'ai jamais connu d'autre accident en pareil cas : je te parle bien naturellement,comme tu vois; mais je t'aime, & tu as besoin d'instructions.

Et je vais, pour te la donner plus ample, te faire un abregé fuccint de mes petites avantures.

A neuf ans on me mit dans un Couvent, avec intention de m'engager à

des vœux : j'avois une four aînée à qui mes parens deftinoient leur héritage: ils crurent devoir commencer de bonne heure à me fouftraire du monde, afin que l'ignorance de fes plaisirs, m'empêchât de les regretter, & que la victime, dans un âge plus avancé, ignorât du moins tout ce que lui déroboit fon facrifice; j'y restai trois ans avec tranquillité, & j'y reçûs une éducation devote, qui porta plus fur mes manieres, que fur mon cœur ; je veux dire, qui ne m'inspira point de vocation : mais qui me donna l'air d'en avoir une. Je promis tout autant qu'on voulut que je ferois Religieufe: mais je le promis fans envie de la devenir, & fans deffein de ne pas l'être. Je vivois fans réflexion; je m'occupois de mon propre feu; j'étois étourdie & badine; je joüiffois de ma premiere jeuneffe, & je m'amufois de tout cela, fans en défirer davantage..

Il est vrai que ce coeur vuide de goût pour la clôture, & qu'on n'avoit pû tourner à l'amour de la Regle, quoiqu'il ne fouhaitât rien encore, fembloit deviner par fon agitation fo-lâtre, qu'il étoit d'agréables mouve

mens qui lui convenoient,, & qu'il artendoit que ces mouvemens lui vinffent; & l'accident que je te vais dire me débrouilla tout cela.

Une de nos petites Penfionnaires tomba malade : fa mere, qui l'aimoit beaucoup, ne voulut point la confier aux foins du Monaftere; elle vint la chercher, & demanda à me voir, parce que mes parens l'en avoient priée.. Je fus donc au parloir; & j'y perdis fur le champ mon ignorance.

J'y vis un Cavalier; c'étoit le fils de la Dame en queftion: nos yeux fe rencontrerent; je fentis ce qu'ils fe dirent, fans être étonnée de la nouveauté du goût que j'avois à voir ce jeune homme; & la converfation que mesyeux eurent avec les fiens, n'eut de ma part aucun air d'apprentiffage. Sit je péchai, ce fut par un excès d'éloquence, dont à prefent je retranche un peu dans l'occafion; je n'ai point appris à mieux dire que j'aime : j'ai feulement appris à le dire un peu moins.

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La Dame, qui emmenoit fa fille me parla conformément aux inftructions que mes parens lui avoient données; me vanta les charmes du Cloî

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tre, & mit fa main dans fa poche, pour chercher des lettres qu'elle devoit me rendre de la part de ma mere. Henreusement elle les avoit oubliées; fon fils s'offrit fur le champ de me les apporter, & avant qu'il eût parlé, j'avois déja compris & fouhaité ce qu'il devoit dire. Je l'en remerciai par un re-gard, dont je vis bien qu'à fon tour il avoit fenti la néceffité, puifque je lui trouvai déja les yeux fur moi.

Enfin, ma chere, après quelques difcours fatiguans, fa mere fortit, avec promeffe de renvoyer fon fils me porter mes lettres; & de mon côté, je m'en allai dans ma chambre donner du progrès à mes fentimens, les goûter à Paife, & contempler l'image de mon vainqueur. Au retour de ma méditation, on ne me vit plus, ni fi badine ni fi vive; mais en revanche, j'étois négligente & diftraite; non que j'euffe perdu ma gayeté: mais elle fe répandoit moins au dehors. Je joniffois d'un plaifir fecret qui m'occupoit, tant qu'il arrêtoit ma diffipation; & pour vacquer à mes petites réflexions,j'oubliois tout le refte.

Cependant, le jeune homme re

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