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d'avoir la tête cassée avec des cailloux, ou les jarrets coupés à coups de couteau, que d'être enfermé dans une prison, je me constituai prisonnier, et je fus enfermé dans une salle de dix pieds carrés, avec sept ou huit malheureux, pâles et défaits, qui avaient resté pendant trois mois au fond d'un cachot, sans savoir pourquoi on les avait arrêtés.

Le funeste verrou fut à peine tiré sur moi que je commençai à réfléchir sur ma triste destinée. Pour avoir répondu Français, citoyen, bourgeois aux cris de qui vive? me dis-je, j'ai manqué d'être tué, j'ai été arrêté et traité de scélérat, de jacobin, de patriote. J'ai été ensuite traité d'imbécile et de nigaud, j'ai reçu des coups de plat de sabre sur les épaules, et l'on m'a enfermé dans un petit cachot, pour avoir parlé du roi avec respect, et pour avoir demandé l'exécution de la charte. J'ai été injurié, chassé à coups de pied dans le derrière et emprisonné, pour avoir demandé la protection d'un officier municipal. J'ai été dépouillé d'un de mes champs, parce qu'il a plu à M. le maire d'en faire une place publique. J'ai vu saisir et vendre mes meubles, parce que M. le sous-préfet a eu une maîtresse. J'ai voulu me plaindre devant les tribunaux des outrages que

j'avais reçus et des injustices qui m'avaient été faites, on m'a prouvé que mes biens et ma personne étaient dans le domaine de l'autorité administrative, et que les tribunaux ne pouvaient pas s'en mêler. J'ai voulu en appeler à l'opinion publique en exposant tous mes griefs dans un mémoire, on m'a prouvé que je ne pouvais m'en plaindre sans les justifier tous par des jugemens; que, si je n'avais pas des jugemens, je serais condamné comme calomnia→ teur par des juges que mes ennemis pourraient choisir à deux cents lieues de ma résidence, et peut-être dans les colonies. Enfin, j'ai voulu soutenir qu'on ne pouvait ressusciter la constitution de la république sans blesser les lois de la monarchie, et j'ai été poursuivi comme un scélérat, et je suis accusé..... Tout à coup une décharge de mousqueterie me fait sortir de mes réflexions. Je vois, à travers les barreaux de ma prison, des misérables vêtus en soldats qui tirent sur les prisonniers, et, autour de moi, mes malheureux compagnons couverts de sang, les uns ayant les bras ou les jambes fracassés, les autres expirant sur le pavé. A la vue de ces horreurs, je pousse un cri, et je veux m'élancer vers eux pour les secourir....., Mais l'effort que je fais me réveille, et je me

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264 Lettre aux auteurs du Cens. Europ.

trouve dans mon lit, accablé d'un si funeste rêve, et tout surpris de voir qu'il est grand jour. Au même instant mon valet de chambre m'apporte le Modérateur et le Journal des Maires qu'on me fait l'honneur de m'envoyer gratis je lis les pacifiques écrits, et je reste convaincu que nous vivons sous l'administration la plus paternelle, dans le meilleur des mondes possibles, et que nous avons toutes les garanties qu'un homme sage peut désirer. :.. Si nous vivions du temps des Séjan, je me serais bien gardé de vous raconter un rêve où se trouvent réunies tant d'inepties et tant d'iniquités, tant d'extravagances et tant d'horreurs : je me serais rappelé que, sous ce fameux ministre, une malheureuse femme, pour avoir rêvé et pour avoir eu l'imprudence de raconter son rêve, avait été mise en jugement, et condamnée à mort par le tribunal correction¬ nel de Rome. Mais nous vivons sous une police libérale, sous une justice qui ne l'est pas moins; et, si tant de garanties ne suffisaient pas pour me rassurer, je lirais les pamphlets ministériels, et je dormirais tranquille.

Je suis, etc.

CREDIBILIS.

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PENSÉES SUR LES ÉLECTIONS.

ON a quelquefois essayé de prouver à des électeurs que, par honneur et par intérêt, ils ne devaient donner leurs voix qu'à des candidats de leur département. Cette opinion peut être appuyée sur de bonnes raisons; elle peut l'être aussi sur de fort mauvaises. Ce qui est important pour des électeurs, ce n'est pas que leurs députés soient nés dans tel ou tel lieu, c'est que leurs intérêts soient convenablement défendus. Quand le sang des protestans coulait à Nîmes, un député qui n'était pas du département du Gard, et que les électeurs de ce département n'avaient pas nommé, a seul osé prendre la parole pour les opprimés; mais quelle a été, dans cette circonstance, la conduite des députés de ce pays? leur a-t-il suffi d'être du département pour s'intéresser à la cause des opprimés ?

Les électeurs de tous les pays doivent bien se convaincre qu'il n'y a point de gloire à nommer un sot, un intrigant ou un homme avide

de places ou de pouvoir, de quelque pays qu'il soit. Il vaut mieux pour eux prendre dans un des départemens voisins, ou plus loin, s'il est nécessaire, un député qui exprime leurs vœux et leurs opinions; et qui soit ainsi leur véritable représentant, que de prendre à leur porte un homme incapable soit de former une résolution, soit de dire un mot en leur faveur, ou un homme qui serait capable de les vendre et qui les ferait parler autrement qu'il ne leur convient. En élisant au loin un député qui les défende et qui les honore par son caractère et par ses talens, ils font peut-être la satire des éligibles de leur pays; mais, s'ils prennent parmi eux un homme indigne, ou incapable d'être leur député, ils font tout à la fois la satire des éligibles et celle des électeurs.

Lorsqu'un député arrive à la chambre, il n'est pas le représentant du département qui l'a élu : il est le représentant de la France entière. Son devoir est de défendre les intérêts de tous les habitans du territoire, parce que son vote compte également pour tous. Les électeurs d'un département sont donc moralement res¬ ponsables, envers tous les autres départemens, des suites que doivent avoir les nominations auxquelles ils sont appelés à concourir. La

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