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6.

Protocole (No. 6) d'une Conférence tenue à Vienne, le

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Le Protocole de la séance du 23 courant a été lu et approuvé.

M. le Baron Bourqueney a demandé à déposer au Protocole l'exposé ci-joint par lequel son Gouvernement a développé quelques points de vue qui n'ont point été pris en considération par la Conférence au moment où ont été établis les principes dont l'application doit assurer la réalisation de la première garantie.

Après avoir donné lecture du mémorandum du Cabinet de Paris, M. le Plenipotentiaire de France a ajouté que son intention n'était pas de provoquer quant à présent une discussion sur les questions qui y étaient traitées et qu'en tout cas il était bien entendu qu'elles ne sauraient devenir l'objet de délibérations communes que du consentement de la Porte.

Lord John Russell a fait observer que si dans la discussion sur la première base de négociation, il n'avait point abordé plusieurs questions telles que la réunion des deux Principautés en une seule, le gouvernement viager ou héréditaire des Hospodars, l'opportunité d'une représentation nationale, ce n'était point que leur importance lui eût echappé; mais il lui avait paru que l'initiative de propositions de cette nature revenait à la Sublime Porte et que leur prise en considération devait être ajournée jusqu'au moment où le Gouvernement Ottoman serait en mesure de faire connaître toute sa pensée à la Conférence.

Lord Westmorland a adhéré à l'opinion de sou collègue.

Le Comte Buol s'est également rangé de l'avis que c'est à la Sublime Porte qu'appartenait l'initiative des propositions de cette catégorie.

Le Prince Gortchakoff a établi que par rapport au développement de la première base il ne pouvait y avoir d'obligatoire que ce que MM. les Plénipotentiaires avaient paraphé, mais que d'autres points de vue relatifs à cette question pouvaient en temps opportun fournir matière à discussion.

Le Plénipotentiaire' Ottoman a établi que les questions entaNouv. Recueil gén. Tome XV.

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mées dans le mémorandum Français intéressaient trop directe~ ment les droits de la Puissance Suzeraine, pour qu'il ne dût pas à ce sujet réserver le droit d'initiative à son Gouvernement.

Cet incident vidé, M. le Comte Buol a proposé de passer à la troisième base de négociation, par laquelle deux principes out été établis celui de rattacher plus complétement l'existence de l'Empire Ottoman à l'équilibre Européen par des modifications à apporter au Traité du 13 Juillet, 1841, et celui de s'entendre sur une juste pondération des forces navales dans la Mer Noire. Il lui semblerait utile de s'occuper d'abord de la solution pratique du second principe, vu qu'une entente à ce sujet faciliterait la tâche que l'application de l'autre réserve à la Conférence. Si cet avis rencontrait l'approbation de l'Assemblée, il pensait que rien ne serait plus propre à amener un accord désirable que si MM. les Plénipotentiaires de Russie et de Turquie se trouvaient préparés à exposer eux-mêmes à la Couférence leurs idées sur les moyens d'y parvenir. Il n'était guère contestable qu'une extension illimitée des forces navales soit de l'une soit de l'autre des Puissances riveraines de la mer Noire se présenterait comme un sujet d'inquiétude pour l'Europe, et qu'il fût par conséquent de la plus haute importance d'aviser aux moyens d'obvier à une situation qui pourrait devenir une source de graves complications pour l'avenir.

Il était juste aussi de faire observer que le développement exagéré de flottes dans une mer dont l'accès été fermé aux autres pavillons de guerre de l'Europe, était en contradiction avec le but d'action assigné aux flottes de la Mer Noire. Ces considérations, auxquelles l'Europe était en droit d'attacher un haut intérêt, lui semblaient de nature à devoir porter les deux Puissances plus directement appelées à concourir à la solution du problème, à entrer avec la Conférence dans l'examen des moyens propres à établir un état de choses offrant des gages de sécurité à l'Europe.

M. le Baron' Bourqueney est prêt pour sa part à suivre l'ordre de discussion indiqué par M. le Comte de Buol dans ses premières paroles.

Arrivé à un point de la négociation qui s'est présenté à beaucoup d'esprits comme hérissé de difficultés, il a, au contraire, exprimé l'espoir qu'il sera facile d'amener à ce sujet une parfaite entente. La confiance dont il est animé prend sa source dans la persuasion que c'est ici que tout le monde donnera des preuves de sa loyauté et que la Russie concourra frauchement au développement d'un principe auquel elle a donné son adhésion morale. A quoi se réduirait en effet le problème à résoudre? A trouver une combinaison de nature à substituer l'appareil de la paix à l'appareil de la guerre dans des eaux intérieures qui semblent surtout faites pour la paix et les transactions commercia~ les, et qui néanmoins sont malheureusement devenues le théâtre de la guerre.

Lord John Russell, en rappelant la déclaration faite au début de la négociation par le Prince Gorichakoff, qu'il ne consentirait à aucune condition incompatible avec l'honneur de la Russie, a établi qu'aux yeux de l'Angleterre et de ses alliés les meilleu–

res conditions de paix et les scules admissibles seraient celles qui, tout en étant le plus conformes à l'honneur de la Russie, fussent à la fois suffisantes pour la sécurité de l'Europe et pour obvier au retour des complications telles que celle à laquelle il s'agit de mettre fin.

Le Comte de Westmorland s'est exprimé dans le même sens. Le Prince Gortchakoff, en se félicitant des dispositions conciliantes dans lesquelles cette question avait été abordée jusqu'ici dans la Conférence, a dit qu'il était préparé à discuter les moyens d'exécution qui seraient proposés par MM. les Plénipotentiaires, mais qu'il ne se croyait pas en position de devoir prendre l'initiative à ce sujet, ainsi que M. le Comte de Buol l'avait suggéré. Appréciant toutefois les sentiments de courtoisie et de conciliation qui d'après le langage unanime qu'il venait d'entendre semblaient avoir inspiré cette proposition, il s'est déclaré prêt à la prendre ad referendum, en se réservant de faire connaître à la Conférence la réponse qu'il recevait de sa Cour.

M. de Titoff s'est énoncé dans un sens identique.

En présence de cette déclaration des Plénipotentiaires Russes-déclaration dans laquelle tous les membres de la Conférence ont unanimement reconnu et apprécié l'intention de faciliter la solution du point en discussion-le Plénipotentiaire de France a cru devoir réserver le développement des idées de son Gouvernement sur l'application de la troisième garantie jusqu'au moment où la discussion pourra être complète de part et d'autre.

MM. les Plénipotentiaires de la Grande-Bretagne ont entièrement adhéré à cette opinion.

Aarif Effendi, tout en déclarant n'être point autorisé à prendre l'initiative de propositions relatives au troisième point, a exprimé l'espoir que son Gouvernement accéderait à celles que les Plénipotentiaires de France et de Graude-Bretagne se sont réservé de faire à ce sujet.

M. le Comte Buol a proposé d'aborder à la prochaine séance, fixée au 29 courant, la quatrième base de négociation, en attendant que la réponse du Cabinet de St. Pétersbourg puisse arriver.

Le Prince Gortchakoff a accédé, pour sa part, à cette proposition, en constatant qu'il n'attachait a quatrième principe aucune idée politique, mais qu'il était bien convaincu que rien ne serait plus propre à faciliter au Sultan le gouvernement de son Empire, que ce qu'il ferait pour ajouter au bonheur et à la satisfaction de ses sujets Chrétiens.

Le Plénipotentiaire Ottoman, en déclarant que le Sultan a déjà donné et continue à donner des preuves irrécusables et notoires des intentions bienveillantes qui l'animent à ce sujet, a exprimé le désir que cette discussion fût ajournée jusqu'à l'arrivée prochaine du Plénipotentiaire venant de Constantinople, muni d'instructions plus complètes et de pouvoirs plus étendus.

M. le Comte Buol a répondu, que la Conférence accueillerait certes avec tout l'intérêt qu'elles méritaient les ouvertures que le nouveau Plénipotentiaire Ottoman aurait à lui faire, mais Tt2

que selon lui cela ne devait pas empêcher la Conférence de continuer en attendant ses travaux.

(Signé) Buol-Schauenstein.

Prokesch-Osten.

Bourqueney.

J. Russell.
Westmorland.
Aarif.

Gortchakoff.
Titoff.

Annexe au Protocole No. 6.

D'après le texte même des notes de Vienne et l'interprétation qui leur a été donnée d'un commun accord, la pensée des trois Cabinets alliés a été, non seulement de soustraire le territoire des Principautés à une influence qui s'y exerçait exclusivement, mais aussi d'en faire une sorte de barrière naturelle qu'elle ne puisse plus désormais franchir pour menacer l'Empire Ottoman au coeur même. Parmi les combinaisons qui se présentent pour assurer à la Moldavie et à la Valachie une consistance et une force suffisantes, la première nous paraît devoir être l'union en une seule des deux Principautés. Il n'est pas nécessaire d'insister sur ce que la nature a fait pour faciliter cette union, sur l'identité de la langue, des moeurs, des lois et des intérêts. Le voeu des deux Provinces à cet égard se présente conforme aux convenances des Gouvernements alliés; elles ne devraient voir dans leur fusion administrative que l'application d'un plan qui est depuis de longues anuées l'objet de leurs préoccupations constantes, et qui avait même été indiquée dans l'un des Articles de leur Règlement Organique élaboré par la Russie en 1829, à une époque où tout révélait un effort pour consommer leur séparation morale d'avec l'Empire Ottoman.

Dans le cas présent, l'intérêt de la Puissance Suzeraine est en parfait accord avec l'intérêt général et avec celui des deux Provinces, et il y a lieu de penser que les conseillers les plus éclairés du Sultan seraient favorables à une combinaison qui établirait ainsi sur la rive gauche du Danube une grande Principauté de près de 4,000,000 d'âmes à la place de deux Principautés jusqu'à ce jour trop faibles pour opposer une résistance efficace à l'action de la Russie.

Les mêmes considérations qui doivent faire désirer que la Moldavie et la Valachie soient placées sous un même Gouvernement, demandent que ce Gouvernement possède toutes les conditions de force et de durée, et un système se rapprochant le plus possible de la forme monarchique répondrait seule complétement au but que l'on se propose. Temporaire, le pouvoir laisse le champ ouvert aux compétitions et aux luttes de partis qui ne pourraient que faciliter le retour de l'influence qu'il s'agit d'éloigner. Viager, il aurait à peu près les mêmes inconvénients, car les changements de personne, pour être moins frequents, n'éveilleraient pas moins de convoitises et ne provoque

raient pas moins d'intrigues. L'histoire des Principautés n'a été, en quelque sorte, que la triste expérience de ces deux modes.

L'autorité suprême serait donc héréditaire, si l'on voulait qu'elle pût remplir avec avantage le rôle important qui lui serait assigné.

Sur cette question de l'hérédité, l'opinion de la Porte ne nous est point connue. Toutefois le fait ne constituerait point à ses yeux une nouveauté; la famille de Milosch en Serbie avait obtenu du Sultan Mahmoud le privilége de l'hérédité, et il a été conféré en Egypte à la famille de Mehemet Ali, où il continue de régler la transmission de pouvoir. La Porte n'a rien vu dans ces concessions qui fût incompatible avec les droits souverains et avec le principe de l'intégrité de l'Empire. Elle n'aurait donc pas d'objections de fond contre un arrangement qui serait, d'autre part, si favorable à ses intérêts sur la rive gauche du Danube.

Il y aurait deux voies à suivre. Ou l'on se bornerait pour le moment à proclamer le principe de l'hérédité, en conférant la souveraineté à titre conditionnel à un Prince du pays, dont la Porte se réserverait d'apprécier dans un temps donné le dévouement et les titres. Ou bien (et cette mesure serait peutêtre la meilleure) on trancherait dès maintenant la question, en faisant appel à un Prince d'une des familles régnantes de l'Europe.

C'est, nous le rappelons, la combinaison à laquelle on avait songé pour la Grèce, à une époque où les Puissances qui l'ont aidée à se constituer, pensaient encore qu'il y avait lieu de la maintenir sous la suzeraineté de la Porte. Elles ne doutaient pas que la Turquie n'y d nuât son assentiment, et elles ne regardaient nullement comme impossible qu'un Prince Chrétien acceptât le Gouvernement du nouvel État à la condition de reconnaître la suzeraineté du Sultan. C'est ce qui résulte du Protocole de la Conférence de Londres du 22 Mars, 1829. L'importance de la nouvelle Principauté, par sa position politique comme par le chiffre de sa population, assurerait à une dynastie Chrétienne d'assez grands avantages pour que la vassalité ne fût pas peut-être une objection décisive.

L'État de la Servie est également compris parmi les objets dont les Puissances auront à s'occuper pour compléter l'exécution de la première garantie. Mais la position de cette Principauté n'est pas exactement la même que celle des deux autres. Du moment où la Moldo-Valachie est fortement constituée, l'action qui dominait à Belgrade n'a plus les mêmes moyens pour s'y exercer. Il suffira donc, pour ce qui regarde les Serbes, d'assurer par une garantie collective et qui leur donne toute sécurité, les priviléges que la Porte leur a reconnus ou leur reconnaftrait après s'être concertée avec ses alliés.

26 Mars, 1855.

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