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L'un a fçû rapprocher fa retraite du monde ; L'autre ne peut trouver la fienne affez profonde. La piété de l'un foûtient l'air de la Cour ; L'autre, plus délicate, a peur du moindre jour : Ils vont au même but par des routes diverfes. Le premier, grand Guerrier, effuia des tra

verfes :

Mais, aujourd'hui, goûtant les douceurs du repos,
A table, cher ami, c'est encore un Héros.
Ce Saint, dit BRASDEFER, eft le plus fûr à
fuivre,

Et pour fçavoir mourir, il faut avoir fçu vivre.

Ainfi s'entretenant ils avançoient toujours; Et déja de Bagneux ils découvroient les Tours. Eft-ce là Sceaux, ami, que je vois fur la droite? Demande BRASDEFER, en pointant fa lor

gnette.

Ah! ne t'y trompe pas, repliqua MARCHE-A

MOI,

Du Voyageur à jeun tu vois d'ici l'effroi :

Sur le haut de ce mont, terre ingrate & stérile;
S'éleve un petit Fort d'un accès difficile,
Et par la rareté des rafraîchissements,
Plus difficile encore à conferver long-temps.
Un jour, que détaché pour faire le fourage,
Cette expedition s'offrit à mon courage,
J'y parus. Le Seigneur se raffurant un peu,
Vint me reprefenter la mifere du lieu.

J'en décampai bientôt, redoutant la Famine
Que fur l'âtre fans feu je vis dans la cuisine :
Ce mouillage eft mauvais, paffons vîte. A ces

mots

Ils prennent un fentier qui méne droit à Sceaux.

Cependant ces Guerriers que la force & l'audace
Avoient fubitement établis dans la place,
Outrés dans les plaisirs comme dans les travaux,
N'avoient pû fobrement y goûter le repos;
Et par une foiblesse encor moins pardonnable,
Paffoient à leur toilette un temps fait pour la
table.

C'est dans ce Fort exact un ordre bien fuivi, Que, la Cloche fonnant, le repas foit fervi; Qu'un feul y tienne lieu de la troupe complette, Et trouve touts les mets foumis à fa fourchete; Que jufques au Caffé les traineurs foient reçûs; Mais que les plats ôtés ne s'y remontrent plus. Teile eft la Loi du Fort, que pour rendre fuprême,

Son équitable Auteur s'eft prefcrite à lui-même.

Parvenus de la Plaine au fommet du Côteau, Nos Fantaffins marchoient fous les murs du Château,

Lorsqu'au bruit de la Cloche abrégeant leur

voyage,

Par la grille forcée ils s'ouvrent un paffage,

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Fondent par le jardin dans la Salle à manger, Trouvent le dîner prêt; & fans fe ménager, Tels que deux Loups entrés dans une Bergerie, Sur la Soupe fumante uniffent leur furie.

Illuftre Commandant, vous entrates alors;
Et jugeant de la fuite à leurs premiers efforts,
Quelque léger effroi troubla votre visage :
Mais ne pouvant fauver votre bien du pillage,
Vous prîtes place entr'eux fans attendre plus
tard,

Bien réfolu du moins de fauver votre part:
Et vous-même entendant dégringoler la troupe,
Fîtes figne à BLONDIN de fouftraire la Soupe.
Il l'enleve en effet ; quand le brave ROGER,
Que l'odeur du potage avertit du danger,
Ne confidérant plus que le plat qu'on emporte,
Saute, prévient BLONDIN, & lui barrant la
porte:

Où vas-tu? lui dit-il, arrête ! & connois-moi :
Jamais mon appétit n'a reconnu de Loi ;
Le foin de cette Soupe à prefent nous regarde,
Et c'eft un prifonnier que je prends en ma garde.
Va, fi tu veus l'avoir, chercher pour fa rançon,
Ou quelque fricaffée, ou quelque fauciffon,
Ou je jure............. A ces mots BLONDIN prend
l'épouvante,

Et la Soupe en leurs mains passe toute tremblante.

CHANT TROISIÈME.

A Soupe finiffoit ; &, pour aller fon train,

LA finifoit ; ft, pouurde for ONDIN

ROGER, fixant alors les nouveaux Acolites :
Vous voilà donc, dit-il, Ecumeurs de Mar-
mites?

Vous aimez l'un & l'autre, à ce qui me paroît,
La bréche toute faite, & le Potage prêt;

Mais la Soupe étoit chaude, & la fatigue altére,
Cette carraffe d'eau vous fera falutaire.
Il dit ; &, dans le temps qu'il faifit le flacon,
L'un & l'autre effrayé, fait en vain le Plongeon.
ROGER, dont l'oeil les fuit, les attrappe au
paffage;

Et, du Flot ennemi, leur couvre le vifage.
L'Onde couche en paffant leurs fuperbes che-

veux

Et des ruiffeaux de lait coulent par tout fur eux.
Tel un torrent, formé par un foudain orage,
Sort tout trouble d'un Bois que fa chute ravage.
MARCHE-A-MOI fecouant fa tête de barber,
Apperçût une Cruche à côté du Buffet;

Un Afne des plus forts, qu'on méne à la Fon

taine,

A peine peut fuffire à la rapporter pleine;

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Cependant il l'enléve avec facilité ;

Et l'énorme vaiffeau dans fes bras agité, Vomit un fleuve entier, qui va fous ses caf

cades

A

Envelopper ROGER & fes trois Camarades.
Au travers du limon qui lui fermoit les yeux,
BRASDEFER entrevit ce coup prodigieux;
Et fa main, à tâton, faififfant une Eguiere,
D'un déluge étonnant couvrit la Table entiére.
Chacun de ces Guerriers,, dans ce Combat

nouveau,

Difparoît tour-à-tour fous quelque lame d'eau. Mais, comme le Canon, après quelque ravage, Des Moufquets plus preffants laiffe éclatter

la rage,

Bien-tôt, au lieu des pots vidés trop au hasard, Les Verres d'eau plus fûrs volent de toute part.

Brave GREGORIO, fi l'on en croit l'Hiftoire, JUPITER en ce jour prit soin de votre gloire, Et vous fçûtes parer un trifte événement!

On prétend que ROGER perdit le jugement, Lorfque de MARCHE-A-MOI, la vigueur incroyable,

Fit jouer contre lui cette Cruche effroyable,
Qu'arrêtant l'Ennemi de ce fuccès enflé,
Vous raffurâtes feul votre Escadron troublé;
Et que
vrai Lieutenant de ce Grand Capitaine,
Vous rendites du moins la victoire incertaine.

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