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autres qui avoient les regards tournés vers l'Orient; l'autre, la Bague de Policrate, ce fameux Prince de Samos, qui n'avoit jamais pû être malheureux, & qui retrouva dans le corps d'un Poiffon fervi à fa table, une bague de prix qu'il avoit jetté volontairement dans l'eau pour fe donner quelque occafion de chagrin. Et fi M. d'Ardenne, en so Fables, pourroit fournir huit ou dix Contes, M. Peffelier dans un peu plus de cent, pourroit au moins fournir une ou deux Idylles & quelques Madrigaux. Et que dirai-je de ces fictions que nous appellons plus fpécialement Fables allégoriques, & qui font affurément celles où l'Allégorie paroît le moins. Et où eft en effet l'Allégorie dans toutes ces Fables charmantes de la Motte, qui ajoutent pour lui à la gloire d'avoir trouvé les fujets de fes autres Fables, le principal titre du Poëte, l'ingénieufe fiction.

Où eft l'Allégorie dans celle qu'il nom me les Sacs des Destinées Sacs qui renferment les conditions des humains, & qui' font d'autant plus pefants, qu'ils contienrent plus de maux ; de forte que le mécontent qui veut choifir fe trouve trop heureux de s'en tenir au fien ? Dans la Lotterie de Jupiter, dont le gros Lot eft la Sageffe; les petits, les Efpérances, &c.

Dans celle de Pandore, où les Vices fortis de fa boëtte choififfent leur logement: l'ambition, chez les Grands; l'intérêt, chez le Négociant & le Commis; la débauche, chez le Riche; l'hypocrifie, dans les Temples en qualité de maîtreffe de Cérémonies; la jaloufie, où elle trouvera deux Belles ou deux Poëtes; la vanité, partout. Dans celle de la Paix que Mercure eft chargé de chercher, qu'il ne trouve pas même entre les Peres & les Enfants, dont les uns font durs, ou les antres ingrats, & qui ne fe rencontre enfin qu'auprès d'un Solitaire, qui même avoit plus d'une affaire avec lui-même ? Et dans plufieurs autres de cette efpéce, Fables qui, pour le dire en paffant, n'amufent point le Monde comme Enfant, mais comme inftruit & raisonnable; & qui en perfonnifiant, & pour ainfi dire en corporifiant les modifications, les paffions de notre ame, fçavent les mettre en images pour nous les rendre plus fenfibles, & par un plus grand nombre de rapports à nousmêmes, & de pofitions différentes, multiplient en même temps & les leçons & nos plaifirs. Je me difpenfe de citer celles de M. Peffelier dans le même genre: il eft pourtant le feul de ceux dont je parle, qui ait, comme la Fontaine & la Motte,

employé ces fictions prétendues allégoriques; & l'on pourroit affurément donner ici place à celle qu'il intitule, l'Amour & la Raifon, où l'un & l'autre après avoir difputé fur leur pouvoir laiffent décider d'après les épreuves; que le pouvoir de la Raifon n'eft bien reconnu,

Qu'auffitôt que l'Amour s'envole,
Ou qu'il n'eft pas encor venu.

par

La Fable, en général, n'eft qu'une inf truction mife en exemple. Il femble que le mot d'Apologue fynonime de celui de Fable, n'offre que cette idée. Si l'on veut le déterminer, peut-il fignifier en effet autre chofe que ce que nous appellons un à propos; je veux dire un Difcours, un récit fait d'après quelque fujet amené l'occafion, ou fait C elle? pour Le mot de Fable, Fabula, paroît avoir été pris généralement chez les Anciens, pour fignifier le fujet qu'on traite, la chose dont on parle ; & lorfqu'on l'a confondu plus fpécialement avec l'Apologue, on n'a voulu défigner fans doute que cette forte de récit que j'appelle un à propos.

Le fujet qu'on traite, ou fi l'on veut, ce qui fert d'exemple à ce qu'on veut prouver, c'eft-là tout ce qu'on peut entendre

dans ce qu'on appelle la Fable du Poëme Epique, la Fable de la Tragédie & de la Comédie, & enfin la Fable dont il s'agit ici, l'Apologue.

Cette détermination du mot renferme & explique fans doute, & touts les genres de Fables, & toutes les régles de ce que nous appellons plus fpécialement la Fable ou l'Apologue.

Je veux faire entendre une vérité, une maxime, faire naître une réflexion ; j'emprunte une comparaison, un exemple pour la rendre plus fenfible; & j'en fais ou j'en laiffe faire l'application à cette vérité, à cette maxime. Si mon récit, & l'exemple que j'emprunte, naiffent à propos du fujet dont on eft actuellement occupé, je n'ai pas grand befoin d'énoncer la vérité, la maxime qui en réfulte; tout ce qui m'écoute eft en état de la pénétrer & de l'appliquer. C'étoit le cas où fe trouvoit prefque toujours Efope, & où se trouva Menenius lorsqu'il contoit au Peuple Romain l'Apologue des membres & de l'eftomac & c'eft dans ún cas tout différent que fe trouvent nos Fabuliftes. Le Lecteur n'eft aucunement averti de leur but, ni par fa pofition actuelle, ni par aucunes circonftances. Et c'eft auffi par conféquent une vaine fubtilité dans M. de la Motte, de difcuter fi la

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Moralité doit être énoncée ou feulement indiquée par la Fable.

C'eft encore une vaine fubtilité de demander où doit être la place de la Moralité, & de prétendre qu'elle eft mieux à la fin. Il fe peut faire que placée à la fin elle laiffe à quelque Lecteur le plaifir de la fufpenfion, & l'ufage de fa pénétration; mais placée au commencement, elle laiffe à l'efprit naturellement pareffeux, la douceur de fa pareffe, avec l'agrément cependant de fuivre, fans effort, & fans être obligé de revenir fur fes pas, la jufteffe de la comparaifon & de l'exemple. On aime quelquefois à pénétrer, mais on s'en laffe; le grand mérite du Fabulifte eft à ce fujet, de fçavoir flatter tour à tour l'exercice & la pareffe.

Si la Fable n'eft qu'une inftruction mise en exemple, on en concluera aifément, combien l'exemple doit être jufte & fenfible; combien il doit tenir de près à la máxime qui l'améne, & s'y appliquer directement. La jufteffe & le choix de l'exemple, ainfi que l'importance plus ou moins grande, plus ou moins étendue de l'inf truction ou de la maxime, doivent décider, comme on le fent aifément, le premier mérite, & de la Fable & du Fabulifte; & c'eft dans ce double point de vûe que l'on

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