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Ah! fi mes légions ont couronné mon crime; J'ai pour les commander un droit bien légitime; De plus cruels remords, un feu plus dévorant, Beaucoup plus que leur choix m'éleve au premier rang.

Jouiffons toutefois de ce nouvel empire, Armons contre un Tyran le courroux qui m'inf pire.

Je puis dans l'Univers devenir fon égal:
Qu'il foit le Dieu du bien, & moi le Dieu du
mal!

Ainfi que la Vertu l'on fervira le crime,
Et l'Homme que je hais deviendra ma victime:

Mais paffons à la feconde Eftampe, l'une de celles, Madame, par qui vous defirez principalement qu'on vous juge, & für laquelle votre Sexe difpofoit fans doute vos Lecteurs à vous juger. Si vous avez raffemblé, dites-vous, fous un point de vûe agréable l'intérêt & les graces que l'Auteur Anglois a répandu fur la félicité, & fur les malheurs & Adam & d'Eve, votre projet fera rempli. Quel tableau en effet d'abord & riant, & délicieux, aviez-vous à deffiner? Pourquoi l'oeil n'y apperçoit-il que le trait de chaque objet ? Pourquoi ne peut-il s'y promener, s'y arrêter, s'y fixer? Quoi feulement fept ou huit Vers qui finif fent par ceux-ci;

Les Arbres font chargés & de fruits & de fleurs ; De l'Iris leur mélange imite les couleurs.

Et pourquoi nous laiffer fur ce trait, & fi foible & fi dur? Eh, Madame, l'or de leur coloris mêlé d'une infinité de douces nuances charmoit le Soleil; il fembloit prendre plus de plaifir à porter fes rayons fur leurs furfaces fleuries, qu'à fe peindre luimême dans les nuages d'une belle foirée, ou à varier les couleurs de l'Arc-en-Ciel, Où eft cette Fontaine de faphir, d'où fur des perles orientales, & fur un fable d'or des ruiffeaux argentins ferpentoient au-def fous des Arbres, & rouloient leurs flots de nectar, vifitant chaque plante, & nourrif fant des fleurs dignes du Paradis ? Où font ces beautés fans nombre que la Nature avoit prodigué fur les montagnes & dans les vallées ; dans la campagne que le Soleil échauffe librement de fes rayons, & dans ces berceaux épais qu'un ombrage impénétrable rend fi gracieux pendant l'ardeur du jour ? Ces boccages dont les riches Arbres diftilloient la myrrhe odoriferante, & des baumes prétieux ; ces autres dont le fruit tuifant & doré charmoit l'œil & le goût? Ces efpaces riants qui paroiffoient entre les 'arbres, des collines enchantées, & des troupeaux qui paiffoient l'herbe tendre? Ce ter

de

tre couvert de palmes, & cette gorge fleurie d'une vallée coupée de ruiffeanx, où la Rofe étoit fans épines? Ces grottes fombres qui offroient des retraites fraîches tapiffées de vignes qui s'empreffoient de livrer leurs grappes pourpre, &qui rampoient avec une agréable fécondité ? Ces autres ruiffeaux tombant avec un doux murmure lę long des collines pour fe jetter en divers canaux ou fe ramaffer en un baffin, dont la furface préfentoit fon miroir de cristal à la verdure des rivages couronnés de Myr the? Mais ce que je regrette toujours principalement, & ce qui m'empêche de vous fuivre dans les autres détails de votre Poëme; parce que je n'aurois toujours que les mêmes chofes à répéter; ce font & ces images, & ces gradations, & ce ton de fentiment qui ménagent les dégrés de la paffion, & qui en font éprouver l'effet. Au lieu que tout chez vous, Madame, j'ofe le dire] ne paroît que fimple récit, que narration, que penfées & réflexions, fi vous voulez ; que difpofition, qu'ordonnance que le bon fens ne peut qu'approuver fans doute, mais qui gliffent fans émotion, fans intérêt, fur l'imagination & fur le cœur. Faudroit-il vous ac cufer, Madame, .... de n'avoir voulu que vous crayonner à vous-même, ce que

vous auriez à dire, fi vous daignez un jour achever vos tableaux? Faut-il que fur le langage du cœur, de la paffion innocente & délicate, vous ayez voulu céder peutêtre le prix, & à l'Auteur Epique Anglois, & au Tragique François ? Car on ne peut refufer à ce dernier même d'avoir répandu fur la félicité & fur les malheurs d'Adam & d'Eve, finon plus de graces, du moins des graces plus fenfibles, & peut-être plus d'intérêt, comme on le fentira fans doute, même indépendamment de la place & des liaisons, & en les offrant ici fans ordre ; & j'ofe d'autant plus vous les expofer, qu'en effet cette Tragédie eft devenue fort rare.

Ier ACTE. SCENE II«.

ADAM feul.

MA chere Eve eft encor dans les bras du

Sommeil :

Meffagers de l'Aurore, annoncez fon réveil ? Que vos tendres concerts, du fein de la Nature, Répandent dans fon cœur une allegreffe pure; Et vous, charmants ruiffeaux, fous ces ombra

ges frais,

Par votre doux murmure honorez fes attraits;

Que tout foit en ces lieux une image fidelle;
De la fincere ardeur que je reffens pour elle !
'Aimable & digne objet que le divin Auteur
A formé de mon être, & placé dans mon cœur,
Hélas ! j'ai vû tantôt, contemplant ton visage,
Sur l'éclat de fes lys paffer quelque nuage.
Dieu! Quel trouble secret fur fon lit de pavots
'Auroit pû cette nuit altérer son repos ?
'Allons voir fi du jour la brillante courriere
L'aura par fes rayon's rendue à la lumière.
Elle vient, que de fleurs éclofent fous fes pas !
Aftre, qui l'éclairez, vous ne l'égalez pas.

SCENE

I I I.

EVE, ADA M.

E vE.

Toi qui ne peux jamais fortir de ma mémoire,

Το

Modele de ma vie, & fource de ma gloire,
Adam, que ta préfence & ces vives clartés,
Rendent un calme heureux à mes fens agités !
Cette nuit [non jamais je n'en eus de pareille ! ]
Une voix féduifante a frappé mon oreille :
C'eft un fonge, il eft vrai, mais dont les traits.

menteurs

Ont noirci mon Efprit des plus fombres vapeurs.

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