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part le tableau de la tentation que l'Auteur Tragique a rendu fi agréable & fi galant.

ACTE V. SCENE II‹.

ADAM feul.

Malheureux, qu'ai-je fait ? cruelle complai

fance,

Qui caufe envers mon Dieu ma désobéissance,
Me juftifieras-tu? quand déja tout en moi
Porte le châtiment d'avoir enfraint fa loi !
Je ne me connois plus,tout me trouble & m'agite;
Le crime fuit mes pas, l'innocence me quitte.
Quelle horrible tempête a foulevé mes fens !
Le calme fe refuse à mes vœux impuissants.
La révolte, l'effroi, le couvrant de nuages,
Exercent dans mon cœur les plus tristes ravages;
Et mon Esprit, tremblant du coup qui l'a frappé,
D'un voile plus épais se trouve enveloppé.
Dangereux artifice ! ô trop fatale Epouse,
De ta fcience acquife es-tu toujours jalouse!
Il ne t'a pas trompé ton Oracle infernal!
Tu connois à préfent & le bien & le mal!
Oui, ce bien qui t'échappe, & qu'en vain tu
reclames ,

Tout efpoir déformais eft banni de mon cœur:
Que vais-je devenir? où fuir un Dieu vangeur?
Où porter mes regards? ils offenfent la terre ;
Et tournés vers le Ciel allument le tonnerre.
Cherchons pour me cacher l'antre le plus pro-
fond;

Tout me décele ici, m'accufe, me confond:
Et faifi tout-à-coup d'une honte imprévue,
Je n'ofe fur moi-même, hélas, jetter la vûe!
Préfage trop certain, funefte avant-coureur
Des vangeances du Ciel dans fa jufte fureur !
que me veut encor l'Epouse infortunée
Dont le fatal orgueil change ma destinée ?

Mais

SCENE III.

EVE, ADAM.

E vE.

Vous me fuyez, Adam, & comble de mal

heur,

Pouvez-vous me livrer à toute ma douleur !
Errante dans ces lieux, affligée & craintive,
Si j'ai caufé vos maux, ma peine en est plus vive.
Peut-être plus que vous je les reffens ici ;
Quand j'ai perdu mon Dieu, faut-il vous perdre
auffi?

ADAM.

Me perdre ! Eh voi l'état, voi l'affreufe mifére Où nous réduit du Ciel l'équitable colere ! D'où font partis ces traits qui nous frappent foudain

D'où naiffent nos malheurs ? fi ce n'est de ta

main.

Denués de vertu, de force, de

de force, de courage,

Dechûs de notre rang; reconnois ton Ouvrage Pouvois-tu, d'un reptile écoutant les difcours, Manquer d'obéiffance à l'Auteur de tes jours ? Combien pour me féduire employas-tu d'a

dreffe?

Que tu fçus bien, cruelle, allarmer ma teng dreffe!

N'accufe point ce fruit, lorsque tu me l'offrois Je le contemplois moins que tes trompeurs attraits:

A tes vœux empreffés l'amour me fit foufcrire Un triomphe fi beau ne peut-il te fuffire?

E vE.

Au nom de cet amour, au nom de notre foi, Ne m'abandonnez point à mon mortel effroi. Oui, votre Eve eft coupable, & gémit de fon

crime.

Le Ciel [c'est mon efpoir] me prendra pour

Mais jufqu'à ce moment ne vous dérobez pas Aux pleurs dont vous voyez que j'arrofe vos

pas.....

SCENE V.

ADAM, EVE.

ADAM, après avoir entendu la Voix de Dieu

QUel coup de foudre, ô Ciel ! quel horrible

naufrage !

Le travail & la mort ! voilà donc mon partage!
La mort ! Et quel fera le terme de mes jours ?
Quelle fera plutôt cette mort où je cours?
Sous fes traits redoutés, quel gouffre, quel

abîme

Sera prêt d'engloutir fa coupable victime?
A des malheurs fans fin ferai-je condamné ?
N'est-ce point au Néant que je fuis destiné?
L'argile de mon corps, cette vile matiere,
Peut bien dans le tombeau defcendre toute
entiere ;

Et poursuivant fes droits, la terre avec raifon
Pour fe le réunir réclamer fon limon..
Mais ce fouffle divin, cette noble substance
Qui délibere en moi, qui connoît, & qui penfe,
Qui s'unit à ce corps, & ne s'y confond pas
Ne peut être affervie à la loi du trépas,

Je mourrai toutefois. O fentence cruelle !
C'eft fans doute une mort de fouffrance éternelle.
Compagnon de ton crime, il paroît juste enfin,
Satan, que je le fois de ton affreux destin.
Hélas! difparoiffez doux plaifirs, allégresse,
Qui dans ce beau féjour me preveniez fans ceffe:
A l'Homme juste & faint vous étiez réservés,
A l'Homme criminel vous êtes enlevés.

O cent fois malheureux le jour qui m'a vû naître ? Pourquoi ta main, Seigneur, m'a-t'elle donné l'être ?

Te l'ai-je demandé ? Si j'ai pû te trahir,
Pourquoi me créas-tu pour te défobéir?
Insensé! Si mon fils, ingrat à mon amour,
Me demandoit pourquoi je l'aurois mis au jour,
Et m'ofoit reprocher un bien dont il abuse,
Voudrois-je recevoir cette orgueilleuse excufe?
Tes jugements,Seigneur,me rempliffent d'effroi:
Devroient-ils, ô douleur ! exifter après moi ?
Trifte pofterité ! Quel affreux héritage
Votre Pere va-t'il vous laiffer en partage?
De mon crime tranfmis, quel fera le progrès!
Enfants infortunés, j'entends touts vos regrets!
Voyez mon repentir... Quoi, faut-il que ma race
Du Ciel que je courrouce éprouve la difgrace!
Le Genre humain coupable!, & profcrit en naif-

fant,

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