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choix & la difpofition du fujet, la correction, la vérité, la richeffé, l'élégance, l'énergie du deffein, & l'entente variée du coloris qui l'acheve. Et telle devroit être la pratique éternelle de quiconque ofe fe mêler de juger. Auffi eft-il vrai qu'au défaut de cette pratique la plupart des jugements des hommes ne fervent guéres qu'à faire fortir le ridicule de leur confiance & de leur goût. Gombaud difoit dans une de fes Epigrammes:

Toi qui vas fouvent où se trouvent
De ces gens qui n'approuvent rien,
Demande leur ce qu'ils approuvent
Tu les embarrafferas bien.

Et on embarrafferoit bien prefque touts nos juges, fi on leur demandoit, par exemple, pourquoi ils préférent la Phedre de Racine à celle de Pradon; & Athalie, à toutes les autres Piéces du même Racine? Pourquoi le Joueur feroit peut-être, fans l'Episode du Marquis, la Comédie la plus parfaite de notre Théâtre ; & pourquoi cet Episode la défigure? Il n'eft pourtant pas moins vrai qu'il y a dans le monde un certain tact général, comme de certains préjugés généraux qui méritent d'être écou

tés & fuivis, & aufquels l'Homme de goût ne laiffe pas de déferer fon fuffrage, comme le vrai Philofophe d'y foumettre les opinions; parce qu'au fond, ce tact & ces préjugés généraux ont leur forte de juftelle & de vérité, & tiennent à des raifons à qui il ne manque que d'être développées. C'eft, comme je l'ai dit plus haut, l'impreffion même que produit dans un Tableau, un air, une attitude, un certain coloris, en un mot ce qui frappe la sensation, fuivant des rapports connus ; ce qu'elle eft en état de défigner, de diftinguer, de comparer. Car foyez bien perfuadé, M. que l'étendue de notre goût fe mefure à celle de nos connoiffances & de leurs combinaisons. Et c'eft pourtant ce tact que vous devez vous-même démêler, & refpecter. C'est peut-être là ce qu'on appelle, Connoître également les Livres & le Monde. Qu'importe en effet à ce Monde que l'Ouvrage du Pere le Boffu condamne quelques Poëmes Epiques qui plaifent; que les Régles d'Ariftote ayent guidé l'Abbé d'Aubignac dans la Tragédie de Zenobie, qui ennuye? Que l'Académie en corps ait cenfuré le Cid qui intéresse ? Le Monde ne juge que d'après l'impreffion & le plaifir qu'il éprouve, & il a droit d'appliquer à la Critique, ce que Lai

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nés adreffoit fi agréablement à la Raifon:

Eclaire nos plaifirs, & ne les trouble pas!

Auffi, M. pour éclairer fon goût, il ne faudroit que lui faire mefurer & diftinguer exactement les dégrés de fes plaifirs, que lui montrer que telles ou telles perfections de plus les auroient néceffairement aug mentés, comme au contraire leur défaut tes: a néceffairement diminués ; que lui faire faifir la différence d'un intérêt profond, continu, & durable, d'avec ces petites émotions paffageres qui bondiffent fur l'ame, en fautillant du coeur à l'efprit, pour n'y exciter que des furprifes que la Raifon défavoue. En un mot, l'exactitude d'une Critique délicate & fine ne doit être, s'il eft permis de parler ainfi, que le Thermometre du plaifir.

Mais fi l'un des objets de votre Ou vrage doit être d'éclairer le plaifir, le but entier doit être de l'exciter. Je le répéte, M. vous avez un avantage réel fur les autres Auteurs périodiques. Ils ne raifonnent que fur les Nouveautés qui paroiffent, & vous ferez paroître vous-même des Nouveautés à touts égards, puifque vous pourrez ou produire ou recueillir des Ouvrages encore inconnus, ou ce qui revient au même des Ouvrages abfolument oubliés.

Mais prenez garde, M. il y a tel Ouvrage inconnu, ou oublié, qui en effet, comme je crois l'avoir dit, mérite de l'être toujours; laiffez-le dans l'oubli: il y en a tel autre où quelques beautés étincellent à travers les défauts; arrogez-vous le droit de n'en offrir que des fragments: fi quelquefois la néceffité des liaisons ou du fens vous empêche de les élaguer à votre gré, prévenez votre Lecteur, amufez-le par une Critique folide ou égayée.

Subftituez un extrait en Profe à l'ennui des Vers oififs ou médiocres. Et qui pourroit vous empêcher de prêter à ces mêmes Vers ou des expreffions plus poëtiques, ou des tours plus brillants & plus heureux? D'ajouter à une penfée qui n'a fouvent été qu'entrevûë par fon Auteur, fon développement & fes graces, la façon en un mot & l'agrément nouveau qu'elle auroit pû prendre dans une imagination plus nette, plus délicate, & plus o ornée ? On rencontre en effet par tout un million de ces germes de penfées, de ces demipenfées, fi vous voulez, qui ne font qu'à pure perte, parce qu'il leur manque l'achevement, la poliffure, & l'enchaffure. Embelliffez l'Hiftoriette & le Roman par l'agrément du récit; le caractére & les traits des paffions ; le refpect des bienféan

ces; la nobleffe des fentiments; la délicateffe des réflexions; & furtout, par l'intérêt, les mouvements, le jeu, les contraftes des pofitions & des fituations; & par l'élégance, la propriété, le feu, la liteffe du ftile & du langage qui feul les modifie, les repréfente, & les anime.

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Ajuftez à la fimplicité noble & majestueufe de l'Hiftoire la chaleur & la précision. Faite pour contenter la curiofité d'ordinaire impatiente, je ne vois pas pourquoi on a voulu lui donner d'autres loix que celle de toute narration, je veux dire, d'être vive & ferrée, mais avec un air de dignité tranquille faite pour inftruire, je ne vois pas pourquoi on a voulu lui interdire les portraits & les maximes. J'aime à me repréfenter l'Hiftoire, comme une Reine augufte qui m'admet à fes fecrets, comme fi elle vouloit m'employer à l'y fervir. Il eft en ce cas fuppofé que la vérité & la fincérité eft d'abord fon caractére, & je lui fuppofe encore de l'ordre & de la netteté. J'imagine qu'alors un tableau de quelques circonftances générales, les plus néceffaires, m'expoferoit l'enchaînement & l'état préfent des chofes, que les portraits & le caractère de fes Généraux, de fes Miniftres, de touts les principaux Acteurs domestiques ou étrangers, me mettroient à

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