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me paroîtroit fans doute téméraire, s'il n'en étoit des titres de Livres, Comme de la plupart de ceux des hommes qui ont befoin de frapper les autres pour réveiller chez eux l'attention & le refpect. Mais ce même titre doit vous marquer du moins vos engagements & vos devoirs; & le mêtier le plus difficile fans doute eft celui d'être amusant, & de l'être fur tout pour un certain nombre de lecteurs.

L'Epître à Damis, dont j'ai d'abord à vous parler, eft une efpéce de copie des Ouvrages charmants de M. Greffet. Je ne me récrierai point fur cette maladie de copier & d'imiter qui devient, pour ainfi dire, épidémique, dès qu'un Génie origi nal vient d'ouvrir une nouvelle route. Lorfque Colomb eut ouvert le chemin de l'Amérique, il fut permis à chacun d'y chercher des poffeffions.

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La feinte eft un pays plein de terres défertes andɔ

Et les terres découvertes n'appartiennent point tellement au premier occupant,; qu'il ne puiffe avoir des voifins. On peut chercher de nouvelles mines, & nous enrichir de nouveaux tréfors. C'eft peut-être ce qu'aura fait l'Auteur de l'Epître à Damis. Un caractère de douceur & de Philofophie promet des idées aimables, Lifons,

Ce'n'eft point la Misantropie,
Ami, qui me diête ces Vers:,)

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n'eft point affoupie

Dans l'erreur des accès divers D'une trifte mélancolie Que l'ignorance & la folie. Mafquent, dans ce bas Univers Du beau nom de Philofophie. Non, non, ma raison fe méfie De touts ces mouvements secrets Dont fouvent notre ame eft saisie Quand l'orgueil & la jalousie Viennent la frapper de leurs traits. Je me ris de voir un faux Sage, Fade & cinique perfonnage, Qui traînant toujours après lui L'erreur, la trifteffe, & l'ennui Nous fait le modefte étalage

Des

vertus qu'il eut en partage,
Et fronde les vices d'autrui:
Quand fa voix toujours infensée
N'a que la fourbe pour pensée,
Et le menfonge pour appui.
Sur les bords fleuris du Permeffe
Si je marche encore aujourd'hui,
Des vapeurs d'une fauffe yvreffe
Je n'ai point mon efprit noirci;
Et dans les rimes que
Ma mufe, d'une voix naïve,

voici

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Va t'exprimer les fentiments
Qui l'ont faifie en ces moments,
Où des bords d'une eau fugitive

3. 2

Qui murmure en ces lieux charmants;
Elle fut fur une autre rive

Admirer ce brillant féjour,

Ce Palais bâti par les Fées,
Où SENTAL, par mille trophées,
Immortalifa fon amour,

**Et fut fruftré de l'efpérance
D'y voir cette Reine de France
Pour qui fon coeur étoit blessé :
S'il en faut croire la chronique,
Et le monument authentique
Que fur ces murs il a laiffé.
J'ai vu ces lieux où la Nature
Etl Art épuifent leurs efforts,"
Ce Parc dont l'aimable verdure
Et l'ombrage parent les bords
D'une onde toujours vive & pure;
Ce Château d'immenfe ftru&tute

Ce Pont, ces Foffés, & ces Eaux, &c.

Si ce n'eft que l'amitié eft un peu babillar'de, ne foupçonnez-vous point cet exorde de quelques longueurs? Ne le foupçonnezvous point d'être affez peu lié à la defcription du Château de Sental qu'il amene; defcription faite de la maniere la plus com

mune, & par là même languiffante & froide: car s'il n'y faut pas fauter vingt feuillets Pour fe fauver à peine à travers du Jardin, il faut au moins fauter 31 Vers pour ne point être fatigué, de colonnades, de chapiteaux, de tours, de falons, d'or, d'azur, de porphire, de chiffres, de brillants tiffus, de tableaux, de tapifferies, de lambris de cheminées, de glaces, de bains, de bronzes, de cryftaux, de voûtes, &c. Et qu'en réfultera-t-il? Que produira ce long étalage dans l'ame de notre Philofophe, pour nous intéreffer nous-mêmes, nous qui, en qualité de lecteurs bénévoles, devons fans doute nous mettre à la place de fon ami?

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Mais t'avouerai-je, cher Damis,
Que de la demeure enchantée,
Par tant d'autres que moi vantée,
Dont je t'offre dans mes écrits
La peinture mal ébauchée,
Si mes regards furent furpris,
Mon ame ne fut point touchée.
T'avouerai-je qu'avec transport
J'admirai ce fuperbe Gite;
Mais que du Mortel qui l'habite
Mon cœur n'envia pas le fort?
Que de l'inconftante Déeffe,

Qui pour lui quitta fon bandeau,
Tant de bienfaits & de largesse
Ne me parût qu'un vain fardeau ?
Qu'avec un œil d'indifférence
Je vis toute cette opulence;
Que ce féjour digne des Rois,
Où l'art & la magnificence
Se réuniffent à la fois,

Me parût bien moins desirable
El Que n'eft un réduit agréable
Où, loin du fafte refpecté
Par un Vulgaire infatiable
De richeffe & de dignité,
L'heureufe médiocrité
Dans un état feul eftimable.
Jouit de la tranquillité,
Et voit à fon gré la Nature
N'avoir jamais d'autre parure
Qu'une aimable fimplicité.

Voilà fans doute ce qu'on doit penser avec un peu de fens commun; mais voilà ce qu'on ne doit pas fe donner la peine de renfermer dans les longues périodes des rimes redoublées; rimes qui, pour le dire en paffant, flatteufes & agréables pour l'oreille, n'ont que trop le défaut de fufpendre, d'énerver la penfée, & de la noyer peut-être dans un élégant verbiage, &

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