Images de page
PDF
ePub

charge. Les mercenaires croates ou polaques (polonais), qui suivaient le comte, tournèrent le dos sur-le-champ. Au bruit des coups de feu, Montmorenci, posté à la droite, s'élança impétueusement dans un chemin creux bordé de mousquetaires ennemis : une furieuse décharge culbuta l'escadron qui le suivait; cinq ou six gentilshommes seulement poussèrent après lui jusqu'au bout du défilé, où le gros des cardinalistes était en bataille, et allèrent avec lui s'engloutir au milieu de mille ennemis. Montmorenci perça six rangs de cavalerie et d'infanterie avant de tomber, criblé de dix blessures, sous son cheval expirant. « Je me suis sacrifié pour des lâches! » dit le malheureux duc aux officiers cardinalistes qui vinrent le relever et l'emporter tout sanglant à Castelnaudari.

Personne, en effet, ne tenta de le secourir ou de le venger. Les mémoires du temps ne sont pas d'accord sur la conduite que tint Monsieur. Suivant les uns, Gaston, en apprenant que Montmorenci était mort ou pris, se mit à siffler machinalement, dit froidement : « Tout est perdu!» et fit sonner la retraite. Suivant les autres, le prince eut voulu aller au secours de son malheureux allié, mais il se mit une telle panique parmi les troupes insurgées, qu'il fut impossible de les ramener au combat. Les nouvelles levées languedociennes se dispersèrent dès qu'elles surent la chute de leur gouverneur '.

Le lendemain matin cependant, Monsieur, qui s'était retiré à deux lieues de Castelnaudari, envoya un trompette demander la bataille à Schomberg. Le maréchal

Mém. de Richelieu, 2e série, t. VIII, p. 398-409.3lém. de Pontis, ibid., t. VI, Mém. du duc d'Orléans, ibid., t. IX, p. 593-596 Mercure, t. XVIII, Hist, de Henri, dernier duc de Montmorenci, p. 250-263.

p. 573-574. p. 504-380,

répondit qu'il se garderait bien de donner bataille au frère du roi, mais que, si Monsieur l'attaquait, il se défendrait de son mieux.

C'était de la part de Gaston une vaine fanfaronnade. Son armée d'abord, puis son parti, se fondaient autour de lui. On vit bien que Montmorenci avait été à lui seul tout le parti, car toutes les villes du Languedoc se soumirent dans les quinze jours: la noblesse en fit autant, et Monsieur se trouva réduit à ses anciens compagnons d'exil et à sa cavalerie étrangère, fort diminuée, avec laquelle il errait de village en village.

Le roi, dès qu'il eut reçu la nouvelle de la victoire, envoya offrir à Gaston d'étendre aux gens de sa maison et au duc d'Elbeuf l'amnistie offerte à lui seul par la déclaration du 12 août. Le messager du roi ne parla pas de Montmorenci. Le messager de Louis XIII s'était croisé en route avec un envoyé de Gaston, qui expédiait à son frère la proposition de se soumettre, à condition que Montmorenci fùt mis en liberté ; que tous ses partisans et ceux de la reine-mère recouvrassent leurs biens et leurs charges; que le roi lui donnât, pour lui et la reine-mère, deux places de sûreté; que les places enlevées au duc de Lorraine fussent restituées; enfin qu'un million lui fùt accordé pour payer ses dettes. Le roi ne daigna pas discuter ces folles prétentions, et continua sa route jusqu'à Montpellier.

Gaston alors pria Louis de lui envoyer des gens de confiance avec lesquels il pût traiter, et livra des otages pour leur sûreté. Le roi lui dépêcha le surintendant Bullion. Il y eut de vifs débats sur les conditions humiliantes qu'on proposait à Monsieur, et principalement sur Montmorenci. Le favori Puy-Laurens « s'emporta si avant

:

que de dire que, si Montmorenci étoit condamné à mort, il y avoit plus de quarante gentilshommes résolus de poignarder le cardinal (Mémoires de Richelieu, 2e série, t. VIII, p. 415). » Bullion, homme ferme et dur, haussa les épaules à ces bravades, et démontra sans peine à Monsieur son impuissance absolue. La résistance était impossible la retraite en Espagne l'était devenue aussi; pendant que Gaston hésitait et négociait, Schomberg lui coupait le chemin du Roussillon. Le 29 septembre, tout fut conclu Gaston reconnut sa faute par écrit, promit de n'y plus retomber et d'abandonner toutes intelligences au dedans et au dehors du royaume, contraires au gré du roi, même avec la reine-mère, « tant qu'elle sera en l'état où elle est..... et de demeurer en tel lieu qu'il plaira au roi lui prescrire. » Il jura de « ne prendre aucun intérêt en celui de ceux qui se sont liés à lui en ces occasions... et ne prétendre pas avoir sujet de se plaindre quand le roi leur fera subir ce qu'ils méritent. »

On ne pouvait abandonner plus clairement Montmorenci à la hache du bourreau.

Le roi voulait bien accorder aux étrangers qui avaient suivi Monsieur six jours pour se retirer en Espagne, et accorder la vie et les biens au duc d'Elbeuf et aux domestiques de Monsieur.

Gaston, qui avait préalablement désavoué, comme écrits à son insu, ses injurieux manifestes contre Richelieu, promit enfin d'aimer le cardinal, qu'il avait « toujours estimé pour sa fidélité au roi et à l'État. »

Puy-Laurens, « à qui Monsieur donne sa principale confiance,» s'engagea, par un article supplémentaire, à révéler tout ce qui s'était traité par le passé de préjudiciable à l'État, et garantit sur sa tête l'observation du

nouveau pacte (Mercure, XVIII, p. 774-777). Puy-Laurens commença de tenir sa parole en niant effrontément à Bullion l'existence du mariage secret de Monsieur avec Marguerite de Lorraine.

Gaston et ses gens partirent aussitôt après pour la Touraine, tandis que le roi et le cardinal se transportaient de Montpellier à Béziers, que Monsieur venait de quitter. Richelieu rétablit l'ordre en Languedoc par des mesures vigoureuses plusieurs citadelles et plus de cent châteaux féodaux furent non-seulement démantelés, mais démo--lis; il y eut quelques exécutions à mort, parmi lesquelles on remarque celle de Deshaies de Courmenin, dont le père avait été ambassadeur à Constantinople, et qui avait été lui-même chargé d'affaires en Moscovie'. Beaucoup de seigneurs et d'officiers royaux, condamnés par une commission que présida un maître des requêtes, qualifié d'intendant de justice, perdirent, les uns leurs fiefs, les autres leurs charges; quelques barons furent dépouillés du droit de siéger aux Etats-Provinciaux, inhérent à leurs fiefs; le temporel de six évêques fut saisi par arrêt du parlement de Toulouse, et leur procès fut entamé devant une commission de prélats français, désignés par le pape. Mais, s'il y eut des rigueurs envers les particuliers,

1 Nous avons, par erreur, confondu le père et le fils, ci-dessus page 13.

2 Le pape, sur la demande du roi, délégua des pleins pouvoirs à quatre évêques français. Des lettres-patentes du roi ordonnèrent l'exécution du bref papal, sauf réserve du droit qu'avait le roi de faire juger par ses officiers le cas privilégié (le crime de lèse-majesté). Un des évêques mourut avant le procès: un second fut gracié par considération pour son frère, le maréchal de Toiras; deux furent déposés et enfermés; les deux autres furent traités avec indulgence ou même absous. Richelieu se montra clément envers ses confrères. Les partisans des libertés gallicanes blåmèrent cette procédure, basée sur le Concordat, et eussent voulu un concile national pour juger les évèques rebelles. Voyez le résumé du procès dans Griffet, t. II, p. 396-400.

le gouvernement royal se garda bien de frapper le corps de la province. Le roi convoqua et ouvrit en personne les États du Languedoc à Béziers, le 2 octobre, leur rendit la liberté de s'assembler chaque année, avec tous les droits et priviléges antérieurs, supprima définitivement les élus établis en 1629, moyennant un peu plus de 4 millions pour le rachat et le remboursement du financier qui avait traité de ces offices, et prévint le retour des anciens abus en fixant à 1 million 50,000 livres l'octroi annuel que devrait lui faire la province, sans compter les taxes qui se dépensaient dans le pays pour gages, fortifications, voierie, et qui furent également soumises à l'approbation de l'autorité centrale '.

Ainsi, Richelieu abandonnait prudemment une tentative prématurée pour uniformiser l'assiette et la perception de l'impôt dans le royaume, et, loin d'abuser de sa victoire, satisfaisait aux griefs légitimes des vaincus, et ne laissait à la province soumise aucun motif de rancune ou de regret.

Une anxiété générale serrait néanmoins tous les cœurs, et dans le pays et à la cour même. On sentait trop bien que quelqu'un allait payer les frais de cette clémence, et qu'en épargnant une population rebelle le vainqueur se réservait de frapper le moteur de la rébellion. Henri de Montmorenci inspirait un intérêt, une compassion universelle; les citoyens qui avaient blâmé le plus sévèrement sa coupable entreprise, les guerriers qui l'avaient combattu, faisaient des voeux ardents pour son salut. Sa ga

1 Le regime antérieur avait chargé la province de plus de 20 millions de dettes. Mercure, t. XIX, p. 885-912. - Griffet, t. II, p. 335. Richelieu, pendant son séjour en Languedoc, fit commencer la construction d'un nouveau port à Agde; Mercure, t. XIX, p. 914,

« PrécédentContinuer »