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la nature!... Il faut voir cette grande figure de Richelieu, telle que l'a peinte Philippe de Champagne; quelque chose de l'énergie du modèle a passé dans la main affermie de l'artiste, animé d'une inspiration inaccoutumée. Il faut voir cette apparition pâle, élancée, posant à peine sur la terre, ce geste impérieux, ce regard clair et profond qui perce jusqu'au fond des âmes, et qui répand une lumière formidable sur ce long et fier visage, si majestueux dans sa maigreur maladive. Cet homme, comme un éloquent écrivain l'a dit d'un autre grand homme, n'est ni chair ni sang, mais tout esprit.

Plusieurs fois ainsi, l'on crut sa fin assurée; mais toujours, par un effort surhumain, il ressaisissait la vie fugitive; des portes du tombeau, il se relevait terrible, et abattait d'un souffle les imprudents qui avaient osé tendre vers sa dépouille une main trop hâtive !

Ce fut là le sort de Châteauneuf. Quelques semaines après que Richelieu, rétabli, cut rejoint le roi aux environs de Paris, Châteauneuf fut dépouillé de la garde des sceaux, arrêté et emprisonné (février 1653). Des lettres interceptées et une dépêche de Fontenai-Mareuil, alors ambassadeur de France à Londres, avaient révélé une intrigue nouée entre la Chevreuse, Châteauneuf et la reine d'Angleterre, Henriette de France, pour appeler la reine-mère à Londres et tenter un nouvel effort auprès du roi contre le cardinal. Le chevalier de Jars, ami de Châteauneuf, avait plus d'une fois, sans doute par la connivence du garde des sceaux, livré les secrets du conseil de France à la reine d'Angleterre et à ses confidents. De Jars fut condamné à mort; mais Richelieu, pris d'un accès de clémence, lui envoya sa grâce au pied de l'échafaud. Châteauneuf fut mis en liberté après un an

de prison. Madame de Chevreuse fut exilée dans ses terres 1.

De nouvelles rigueurs frappèrent en même temps les partisans de Monsieur dans les provinces : deux maîtres des requêtes furent expédiés, avec le titre d'intendants de justice, police et finances, l'un, dans les contrées du centre, l'autre, dans la Champagne et les Trois-Évêchés, « pour châtier les plus rebelles et faire raser les places fortes dont les seigneurs abusoient pour opprimer les peuples au mépris de la justice. (Mém. de Richelieu, 2o série, t. VIII, p. 454). »

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C'était toujours la suite et l'application de la grande ordonnance de 1626. Un de ces maîtres des requêtes était Laffemas, fils de l'estimable économiste de ce nom. Les mécontents surnommèrent Laffemas le bourreau du cardinal. Ce bourreau, au moins en cette occasion, ne fit mourir personne, car il n'y eut d'exécutions qu'en effigie, si ce n'est à Metz où la justice ordinaire fit rouer et brûler un moine pour divers crimes, « l'un desquels étoit de s'être offert à attenter à la vie du cardinal moyennant 20,000 livres. » Les ennemis de Richelieu se lassaient de compter sur la nature pour les débarrasser du cardinal ou du roi, son appui.

Le parlement de Dijon, de son côté, condamna à mort, par contumace, le duc d'Elbeuf, Puy-Laurens et quel, ques autres compagnons de Monsieur. Le parlement de Paris montra, au contraire, sur des questions de forme,

1 Griffet, (t. II, p. 389-396, 401-403) explique très-bien cette affaire d'après les pièces originales.

2 Nous sommes obligé, pour exprimer une chose qui est de tous les temps, d'employer un mot qui n'était point encore inventé au dix-septième siècle. Voyez 1. XII, p. 8. Le médisant Tallemant reconnaît l'intégrité de Laffemas le fils.

une opposition qui fit envoyer en exil un président. Ces actes de sévérité furent suivis d'une amnistie géné rale, sauf peu d'exceptions, pour les coupables qui n'avaient pas suivi Monsieur dans sa dernière fuite et qui se remirent à la merci du roi (Richelieu, 2 série, VIII, p. 454-455). Les rigueurs du pouvoir n'avaient atteint que «les oppresseurs du peuple': du peuple' : » Richelieu, tandis qu'il châtiait la noblesse factieuse, venait de faire rendre, en faveur des classes populaires, une sage ordonnance qui, améliorant encore le Code Michau, prescrivit qu'à gens de guerre en marche logeraient dans les villes, faubourgs et gros bourgs, et non plus dans les campagnes, et paieraient ce qu'ils prendraient au prix du dernier marché, sans pouvoir exiger des hôtes que le feu et la chandelle, le lit et les ustensiles ordinaires, moyennant une augmentation de solde (Mercure, XVIII, p. 910). Les prescriptions de cette ordonnance sont restées en vigueur pour la plupart.

l'avenir les

Richelieu avait besoin, en ce moment, de toutes ses forces physiques et morales pour suffire aux soins innombrables de sa politique. Les événements du dehors l'avaient contraint, souffrant encore, de hâter son retour

Il y cut cependant une fâcheuse exception dans une occasion absolument étrangère à la révolte de Monsieur. La douane de Lyon, impôt très-onéreux et trèsnuisible au commerce, moins encore par sa quotité que par sa mauvaise organisation (voyez t. XII, p. 56), ayant été augmentée, il y eut une violente émeute à Lyon : le bureau de la douane fut saceage; la maison du prévot des marchands faillit avoir le même sort, et la sédition ne s'apaisa que sur la promesse, faite par les autorités lyonnaises, d'obtenir la suppression du surhaussement. Le gouvernement ne ratifia pas cette promesse, maintint la surtaxe et fit condamner et exécuter sept ou huit des séditieux, quoique l'émeute n'eût pas causé d'effusion de sang. Mercure françois, t. XIX, p. 52. Sur la douane de Lyon, voyez Forbonnais, t. Ier, p.

215-220.

auprès du roi la guerre d'Allemagne avait enfanté de nouvelles catastrophes!

Du mois de juin au mois de septembre 1632, Wallenstein et Gustave étaient demeurés en présence sous les murs de la cité protestante de Nuremberg, sans engager d'action générale. Wallenstein n'avait pas voulu attaquer, lorsqu'il avait l'avantage du nombre; quand Gustave, renforcé par ses lieutenants et ses alliés, fut redevenu égal ou supérieur à l'ennemi, Wallenstein, fortifié dans son camp, repoussa les attaques des Suédois et laissa dévorer sa propre armée par la famine et l'épidémie, pour épuiser la patience et les ressources de son rival. On assure que, dans les deux camps et dans la ville, il périt soixante mille hommes, de misère ou de maladie!

L'impétueux Gustave se lassa le premier, et, après avoir suffisamment muni Nuremberg pour ne pas l'exposer au sort de Magdebourg, il leva son camp, le 6 septembre, et se rejeta sur la Bavière. Wallenstein laissa le duc de Bavière défendre son pays avec quelques renforts impériaux, et alla fondre sur la Saxe, tandis que l'armée saxonne, qu'il avait naguère chassée de la Bohème, était occupée à la conquête de la Silésie. Aux cris de la Saxe foulée sous les pieds de l'ennemi, le roi de Suède abandonna ses avantages sur le duc de Bavière et les nouvelles chances que lui offrait l'insurrection des paysans protestants de la Haute-Autriche, pour accourir, avec une partie de ses forces, au secours d'un allié opprimé. Wallenstein, craignant d'être enfermé entre les Suédois et l'armée saxonne, rappelée de Silésie, retourna au devant de Gustave et rallia Pappenheim, revenu de son infructueuse expédition de Maëstricht.

Après quinze jours de savantes manoeuvres de part et

T. XIII.

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ayant

d'autre, Wallenstein, très-supérieur en nombre, détaché Pappenheim à une dizaine de lieues pour occuper le poste important de Hall, Gustave se précipita en avant, et déboucha, le 15 novembre au soir, dans la plaine de Lutzen, au milieu des quartiers de l'ennemi. Wallenstein ne pouvait plus éviter la bataille; il envoya courrier sur courrier à Pappenheim, et, le lendemain matin, attendit le choc.

On pouvait presque apercevoir, du clocher de Lutzen, ces champs de Leipzig où Gustave, quatorze mois auparavant, avait brisé la fortune de l'Autriche, « Les généraux,» dit Richelieu, « animèrent leurs soldats au combat, le roi de Suède, de paroles qu'il avait à commandement, Wallenstein, par sa seule présence et la sévérité de son silence (Mém., 2a série, t. VIII, p.431)...» Gustave, qui rénuissait, comme notre Henri IV, l'ardeur du soldat au génie du grand capitaine, s'élança, au cri de: Dieu est avec nous! à la tête de sa cavalerie. Une blessure récente l'avait empêché de revêtir son armure, et il n'était couvert que d'une simple casaque de buffle. Dès les premières décharges, une balle lui cassa le bras: il voulut se retirer sans bruit pour se faire panser; on ne le revit plus vivant! Tandis qu'il sortait de la mêlée, un coup mortel, tiré par une main inconnue, l'avait abattu sous les pieds des chevaux.

La fatale nouvelle, loin d'abattre les Suédois, les enivra de rage. La mort de Gustave ne fut que le commencement d'un combat de géants. Un héros se trouva là pour recueillir l'héritage du héros expiré : Bernard de SaxeWeimar dirigea la vengeance. En vain Pappenheim arriva-t-il, au plus fort de la bataille avec sa pesante cava. lerie: Pappenheim tomba percé de balles. L'avantage du

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