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qu'il fallait seulement travailler à détourner l'électeur de Brandebourg de le suivre. La guerre continuait provisoirement, avec assez de mollesse, entre les Saxons et les Impériaux, et la situation était singulière : l'électeur de Saxe, chef du parti protestant dans l'Allemagne orientale, était prêt à trahir la cause protestante, et Wallenstein, qui commandait les forces impériales dans ces mêmes contrées, semblait prèt à trahir l'empereur, dont il avait gravement à se plaindre, et faisait des avances secrètes nonseulement aux Saxons, mais aux Français et aux Suédois. Le Bohémien Kinski, beau-frère de Wallenstein, insinua à Feuquières que Wallenstein s'accommoderait «< avec les princes et états de l'Union, si on le voulait assister à se faire roi de Bohême. » Wallenstein, vers le même temps, proposait aux généraux suédois et saxons de s'entendre pour établir la paix générale, avec l'empereur ou malgré l'empereur; on restaurerait les anciennes libertés; on chasserait les jésuites de l'Empire.

Richelieu entra vivement dans les premières ouvertures du généralissime autrichien, chargea le père Joseph de correspondre avec lui, fit écrire à Kinski par le roi même, el offrit, pour ainsi dire, la carte blanche. Oxenstiern, qui voyait de plus près Wallenstein, ne l'accueillit pas de même et prit ses propositions pour un piége. Il savait que, tout en offrant aux Suédois d'épouser leurs intérêts, Wallenstein disait aux protestants allemands que la première chose à faire, c'était de se réunir contre les étrangers. Ce qu'il y a de plus vraisemblable, c'est que Wallenstein eût désiré s'entendre avec l'électeur de Saxe et les autres princes protestants allemands, pour dicter la loi tout à la fois aux Suédois et à l'empereur, se rendre l'arbitre de la paix générale et s'assurer un établissement que Ferdinand ne

pût lui enlever; mais l'électeur Jean-Georges n'était pas capable de lui servir de second dans une telle entreprise, et Wallenstein lui-même, quelles que fussent ses intentions réelles, montra peu de prudence et d'esprit de conduite, se fit considérer comme un traître par tous les partis, et ne sut être ni fidèle ni rebelle à temps. Durant toute la campagne de 1655, il concentra ses efforts dans la Saxe électorale, la Silésie, la Lusace et le Brandebourg, où il obtint des avantages qui n'avaient rien de décisif, préservant la Bohême comme si elle eût été déjà son royaume et paraissant peu se soucier de ce qui se passait dans le reste de l'Allemagne, où les Suédois et leurs alliés, presque toujours victorieux, semblaient encore guidés par l'ombre de Gustave.

Au mois de septembre, une nouvelle assemblée, tenue à Francfort-sur-le-Mein, accepta, au nom des quatre cercles de la Haute-Allemagne, le traité conclu, en avril, entre la France et la Suède : l'électeur de Brandebourg et le cercle de Basse-Saxe y adhérèrent bientôt également. Quoique le cercle de Westphalie n'eût pas été représenté dans ''assemblée, les protestants, dirigés par le landgrave de Jesse, y avaient aussi une prépondérance décidée. Les afaires d'Allemagne, malgré la conduite plus qu'équivque de l'électeur de Saxe, étaient donc en assez bon éta, lorsque l'ambassadeur Feuquières rentra en Frace 1.

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Podant ce temps, Charnacé négociait non moins heureusement en Hollande. La vieille infante Claire-Eugénie, u plutôt le gouvernement espagnol, dont elle n'était ue le prête-nom, alarmée de la fermentation qui

1 V. le raport de Feuquières sur sa mission; Recueil d'Auberì, t. 1or, p. 391–417. - Griffet, l. \ p. 417-461,- Levassor, t. IV, p. 470-474.

se manifestait en Belgique, avait autorisé les États « des provinces obéissantes des Pays-Bas » à traiter directement, pour la paix ou la trève, avec les États des provinces indépendantes, sans qu'aucun Espagnol prît part aux négociations. Sur ces entrefaites, les intelligences engagées par les seigneurs belges avec la France furent éventées (avril 1655); les généraux espagnols firent surprendre et massacrer le gouverneur wallon de Bouchain, qui projetait de livrer sa place aux Français (Mercure, t. XIX, p. 262); quelques personnages considérables furent arrêtés; d'autres prirent la fuite. Les pourparlers de trêve avaient continué, toutefois, et traînèrent toute l'année, mais pour échouer complétement: l'Espagne, qui s'était réservé le veto, entendait que les Hollandais rendissent ce qu'ils lui avaient pris sur les côtes du Brésil, et renonçassent à la navigation des Indes. Les Hollandais refusèrent. Au printemps suivant, un nouveau traité fut signé entre la France et les Provinces-Unies, par lequel on se promit de ne point transiger séparément avec l'Espagne: la France garantit à la Hollande un subside de deux millions par an, outre l'entretien d'un corps de troupes auxiliairs (15 avril 1654). (Dumont, t. VI, p. 69). La vieille souveraine des Pays-Bas catholiques, Claire-Eugénie, qui énit personnellemeut fort aimée des Belges, et qui les avait ménagés autant que le permettait l'Escurial, étant norte le 1er décembre 1633, la Belgique venait de rentrer en frémissant sous la domination directe de l'Espagie, et l'état des esprits dans ce pays était de nature à encourager le gouvernement français, malgré le peu de sucès d'un premier complot. Richelieu se targuait habilment et bruyamment, auprès de la cour de Rome et après des Belges, du bon traitement qu'il obtenait pour les catho

liques dans les places conquises par les Hollandais, et préparait ainsi sa justification d'avance pour le moment où il envahirait la Belgique de concert avec les hérétiques des Provinces-Unies.

Une autre conquête, plus facile, fut accomplie, longtemps avant que les hostilités éclatassent sur la frontière belge.

Le duc de Lorraine, toujours prêt à caresser des chimères, avait cru tout gagné pour lui par la mort de Gustave: il s'était figuré que les Impériaux allaient balayer les Suédois hors de l'Allemagne, que la trêve se conclurait aux Pays-Bas, et que les Espagnols lui donneraient toutes les troupes que cette trêve rendrait disponibles pour entrer en France avec Monsieur; enfin il attendait un corps d'armée espagnol qui devait partir du Milanais et se porter sur le Rhin. Il agit en conséquence, recommença de lever des soldats pour le compte de l'empereur, ravagea les terres des petits prinees protestants allemands, ses voisins, et de la ville de Strasbourg, se fit donner par l'empereur deux villes de l'évêché de Strasbourg, Saverne * Haguenau, dont il enleva la seconde par surprise aux Sédois, fit dévaliser ou massacrer les soldats français qi traversaient ses terres.

Le châtiment de ces folles provocations ne se fit point attadre. Le 50 juillet 1555, le parlement de Paris ordona la saisie du duché de Bar: Charles de Lorraine, depu; plus de huit ans qu'il régnait, n'avait jamais pu se déider à venir rendre au roi l'hommage qu'il lui devait pour ce fief de la couronne de France. L'armée français, qui occupait l'électorat de Trèves, reçut ordre d'entrer ur les terres du duc Charles: Louis XIII et Richelieu petirent de Monceaux en Brie pour la Lorraine

le 16 août. Le duc commença de s'effrayer les secours sur lequels il avait compté étaient bien loin; ses troupes venaient d'être battues par les Suédois devant Haguenau, et il sentait trop tard son impuissance. Il dépêcha au-devant du roi son frère, le cardinal Nicolas-François de Lorraine, qui essaya d'arrêter Louis en offrant de consentir, au nom du duc, à la rupture du mariage de leur sœur Marguerite avec Monsieur. Richelieu répondit qu'après deux traités violés, on ne pouvait plus prendre confiance en la parole du duc, et qu'il fallait que Nanci fût remis en dépôt entre les mains du roi. Le cardinal François, objectant que le duc son frère s'exposerait, s'il y consentait, à être mis au ban de l'Empire par l'empereur, son suzerain, Richelieu répliqua que la suzeraineté du duché de Lorraine n'appartenait à l'empereur que par une antique usurpation faite sur la couronne de France, et que le roi entendait « rétablir sa monarchie en sa première grandeur. » C'était la première fois que Richelieu laissait entrevoir si clairement la pensée de réunir à la France la vieille Austrasie1.

1 Mém. de Richelieu, 2 série, t. VIII, p. 476. Richelieu avait préparé, longtemps à l'avance, la justification des conquêtes qu'il méditait : il avait chargé deux érudits, Pierre du Puy, conseiller au grand conseil et garde de la Bibliothèque Royale, et Théodore Godefroi, de faire l'inventaire du Trésor des Chartes, et de rechercher les vieux titres, les droits de toute nature que pouvait avoir l; couronne de France sur les pays voisins. Du Puy et Godefroi n'y allèrent pas de main morte, et fournirent au ministre un arsenal inépuisable: le roi, suivant eu, pouvait revendiquer, soit en suzeraineté, soit en domaine direct, non pas seulement la Navarre, la Flandre, l'Artois, la Franche-Comté, la Lorraine, Avignon, Milan et les Deux-Siciles, mais les couronnes d'Angleterre, d'Aragon et de Castille. Le Traité des Droits du Roi Très-Chrétien est un singulier livre! On y érge en droit mille prétentions fondées sur des principes surannés et des traditons contradictoires, et l'on n'y pressent guère le vrai droit des nations à se compléter selon les affinités de langue et d'origine, de mœurs et d'idées, et selon le limites naturelles tracées sur le globe par la main de la Providence, ce droit font Richelieu

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